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Quel était donc, Verrès, votre égarement? n'avez-vous donc point cru que vous rendriez compte un jour de votre administration? n'avez-vous point pensé que ce tribunal incorruptible entendrait enfin le récit de tant de prévarications criminelles? Comment! on revendiquera, au profit d'un préteur avide, une succession sur laquelle on n'a aucun droit; on fera intervenir le nom de tout un peuple; on déshonorera une illustre ville en lui imposant un rôle de délation et de calomnie! Mais ce n'est pas tout encore: on ne cherchera pas même à se couvrir d'une apparence d'équité! Eh! je le demande, que, par l'autorité de sa place, un préteur commande à un homme, et le force d'abandonner tous ses bieus, ou qu'il établisse un jugement par lequel il perdra nécessairement toute sa fortune sans être entendu, quelle différence y a-t-il? qu'importe à l'opprimé?

XVIII. Certes, Verrès, vous ne pouvez nier que vous n'ayez dû suivre la loi Rupilia en tirant des juges au sort, surtout quand Héraclius le demandait. Direzvous que vous vous êtes écarté de la loi du consentement d'Héraclius? Vous vous embarrasserez vous'même par votre défense; vous vous enlacerez dans vos propres filets. Et d'abord, pourquoi Héraclius n'a-t-il pas voulu se présenter, puisqu'il avait des juges dont il approuvait le choix? Ensuite pourquoi, lorsqu'il eut pris la fuite, avez-vous tiré au sort d'autres juges, si ceux qui avaient été donnés auparavant, vous les aviez donnés du consentement des deux parties? Ajoutez que c'est le questeur Postumius " qui, dans ce département, tirait les juges au sort pour toutes les autres affaires : celle d'Héraclius est la seule de ce genre pour laquelle vous l'ayez fait vous-même. On dira peut-être que Verrès a abandonné la succes

illo conventu reperiere sortitus. Ergo, inquiet aliquis, donavit populo Syracusano illạm hereditatem. Primum, si id confiteri velim, tamen istum condemnetis, necesse est : neque enim permissum est, ut impune nobis liceat, quod alicui eripuerimus, id alteri tradere. Verum ex ista reperietis hereditate ita istum prædatum, ut perpauca occulte fecerit; populum quidem Syracusanum in maximam invidiam sua infamia, alieno præmio pervenisse; paucos Syracusanos, eos, qui se nunc publice laudationis causa venisse dicunt, et tunc participes prædæ fuisse, et nunc non ad istius laudationem, sed ad communem litium æstimationem venisse.

Posteaquam damnatus est absens, non solum illius hereditatis, de qua ambigebatur, quæ erat H-S tricies, sed omnium bonorum paternorum ipsius Heraclii, quæ non minor erat pecunia, palæstræ Syracusanorum, hoc est, Syracusanis, possessio traditur. Quæ est ista prætura? Eripis hereditatem, quæ venerat a propinquo, venerat testamento, venerat legibus; quæ bona is, qui testamentum fecit, huic Heraclio, ante aliquanto, quam ' est mortuus, omnia utenda ac possidenda tradiderat; cujus hereditatis, quum ille aliquanto ante te prætorem esset mortuus, controversia fuerat nulla, mentionem fecerat nemo.

XIX. Verum esto, eripe hereditatem propinquis, da palæstritis; prædare, in bonis alienis, no

Meæ aures desiderant esset, e quo sæpe factum est; refertur enim ad tradiderat. Hæc Ernest. Sed nimis forte vir doctus tribuit in multis aurium suarum judicio.

sion au peuple de Syracuse. D'abord, quand j'en conviendrais, vous ne devriez pas moins le condamner, par la raison qu'il n'est pas permis d'enlever impunément à quelqu'un ce qui lui appartient pour le donner à un autre. Mais on verra qu'il s'est approprié la plus grande partie de la succession sans daigner même cacher son vol; que le peuple de Syracuse en a porté la honte, tandis qu'un autre en a recueilli le fruit; qu'enfin quelques Syracusains, ceux qui disent maintenant être venus au nom de leur ville pour faire l'apologie de Verrès, ont partagé alors la proie, et viennent à présent, moins pour le défendre, que pour faire estimer avec les autres les pertes de leur ville. 22

Lors donc qu'Héraclius eut été condamné absent, non seulement la succession contestée, qui montait à trois millions de sesterces, mais tout son patrimoine, qui ne faisait pas le moindre objet, fut livré au gymnase de Syracuse, c'est-à-dire aux Syracusains. Quelle préture que la vôtre, Verrès! vous enlevez à un héritier une succession qu'il tenait de son proche parent, qu'il tenait d'un testament, qu'il tenait des lois; vous lui enlevez des biens dont le testateur lui avait donné la jouissance entière et la possession un peu avant de mourir; vous lui enlevez l'héritage d'un proche parent mort quelque temps avant votre préture; héritage incontesté, et dont tout le monde reconnaissait les titres !

XIX. Mais soit : enlevez une succession aux proches parents pour la donner à un gymnase; enrichissezvous du bien d'autrui sous le nom d'une ville; renversez les lois, les testaments, les volontés des morts, les droits des vivants: deviez-vous encore dépouiller Hé

mine civitatis; everte leges, testamenta, voluntates mortuorum, jura vivorum : num etiam patriis Heraclium bonis exturbare oportuit? Qui simul ac profugit, quam impudenter, quam palam, quam acerbe, dii immortales, illa bona direpta sunt! quam illa res calamitosa Heraclio, quæstuosa Verri, turpis Syracusanis, miseranda omnibus videbatur! Nam illud quidem statim curatur, ut, quidquid calati argenti fuit in illis bonis, ad istum deferatur: quidquid Corinthiorum vasorum, stragulæ vestis, hæc nemo dubitabat, quin non modo ex illa domo capta et oppressa, verum ex tota provincia ad istum comportari necesse esset. Mancipia, quæ voluit, abduxit; alia divisit. Auctio facta est; in qua cohors istius invicta dominata est. Verum illud est præclarum Syracusani, qui præfuerant his Heraclii bonis, verbo, redigendis; re, dispertiendis, reddebant eorum negotiorum rationem in senatu dicebant, scyphorum paria complura, 'hydrias argenteas, pretiosam vestem stragulam, multa mancipia pretiosa, Verri data esse; dicebant, quantum cuique, ejus jussu, nummorum esset datum. Gemebant Syracusani; sed tamen patiebantur. Repente recitatur, uno nomine H-S CCL millia jussu prætoris data. Fit maximus clamor omnium, non modo optimi cujusque, neque eorum, quibus indignum semper visum erat, bona privati, populi nomine, per summam injuriam erepta; verum etiam ipsi illi auctores injuriæ, et ex aliqua particula socii prædæ ac rapinarum, clamare cœ

'H. argenteas pretiosas, v. str, multam, m. pr. Lamb., Grut., al.

raclius de son patrimoine? Dès qu'il eut pris la fuite, avec quelle publicité, grands dieux! avec quelle impudence, avec quelle cruauté ses biens n'ont-ils pas été pillés! Qui ne vit pas alors, dans cette infâme déprédation, la ruine totale d'Héraclius, des gains énormes pour le préteur, la honte de Syracuse, le malheur de toute la Sicile? On a soin de faire porter aussitôt chez Verrès tout ce qu'il y avait dans la succession de vases d'argent ciselés : nul ne doutait plus qu'il ne fallût enfin lui abandonner tout ce qu'il y avait de vases de Corinthe et de tapis magnifiques, non seulement dans la maison d'Héraclius, prise et emportée d'assaut, mais dans toute l'étendue de la province. Le préteur garda pour lui les esclaves qu'il voulut ; il distribua les autres. On fit une vente; la cohorte 23 prétorienne, cette invincible cohorte, y eut toujours l'avantage. Mais voici le plus curieux. Les Syracusains qu'on avait chargés en apparence de recueillir la succession au profit de leur trésor, mais en effet de la distribuer à d'autres, rendaient compte de cette affaire dans leur sénat. On avait donné à Verrès, disaient-ils, nombre de belles coupes, des aiguières d'argent, de riches tapis, beaucoup d'esclaves précieux; ils ajoutaient ce qu'on avait compté d'argent à chacun par son ordre. Les sénateurs gémissaient, mais en silence. On lit tout à coup, pour un seul article, une somme de deux cent cinquante mille sesterces*, donnée par ordre du préteur. Un cri s'élève de toute l'assemblée; non seulement les plus honnêtes, et ceux qui trouvaient indigne que, sous le nom d'un peuple, on enlevât à un particulier sa fortune par la plus criante des injustices, mais les artisans mêmes de cette manoeuvre, associés pour quelque part au butin et aux rapines, se mirent à crier qu'il

* 31,250 liv. A.

VII.

20.

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