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Le système républicain fait place aux diverses royautés des successeurs d'Alexandre, ensuite à la monarchie romaine; la société tombe en dissolution sous les douze Césars, se remet et s'épure un peu sous les Antonins, redescend avec Héliogabale ou Caracalla, puis se relève plus complétement par le triomphe de l'idée chrétienne; en somme, les institutions, les mœurs, tout devient autre eh bien! si quelque différence d'allure s'introduit dans le style, et s'il devient nécessaire, pour répondre à des besoins survenus, de créer quelques nouveaux termes ou d'ajouter à des termes anciens certaines acceptions de plus, voilà tout. — L'évolution glossale ne devient point révolution; pas une règle de grammaire n'est violée; et sur la fin du iv siècle de notre ère, à la mort du grand Théodose, la Grèce classique écrit encore dans le même idiome qu'au commencement du Iv° siècle avant J. C. C'est si vrai, que Gail ou Burnouf, voulant faire faire des thèmes grecs à leurs élèves, ont pu leur proposer des exemples de syntaxe pris indifféremment dans Platon ou dans saint Basile, dans Eschyle ou dans saint Grégoire de Nazianze.

Mais ensuite cela continue-t-il?

Non pas.

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Que de l'an 400 on passe à l'an 700, le style s'altère; on commence à voir apparaître des choses qui font pressentir la décomposition de l'hellénique et sa tendance vers le grec moderne. C'est que les crises maladives sont arrivées; c'est que les infirmités de la vieillesse sont venues à se faire sentir; c'est qu'on a passé, des changements doux et légers qu'amène le simple cours de la vie, à ces changements considérables, fâcheux, inquiétants, que produit un état morbide.

La même série de phénomènes a eu lieu chez les Latins, quoique la durée en ait été moins longue. Là la corruption s'est manifestée plus vite, mais enfin, pendant quatre cents ans au moins, la langue correcte est restée dominante et reconnue; ne l'altérait que qui voulait l'altérer; les gens de goût demeuraient maîtres d'en suivre les règles. Lactance, par exemple, ou Sulpice Sévère, tout rénovateurs, tout chrétiens qu'ils étaient, n'éprouvaient encore aucun besoin, pour rendre leurs idées, d'estropier l'idiome classique de Catulle et de Cicéron; ils l'écrivaient gram

maticalement, dans sa primitive pureté, et l'expression de leur pensée ne s'en trouvait pas plus mal.-C'est l'invasion réitérée des Barbares, c'est leur domination prolongée, qui a définitivement ruiné le latin, dont, au reste, la santé, moins vigoureuse que celle du grec, n'a pas si longtemps résisté aux causes de mort, puisqu'il s'est transformé plus promptement en italien que l'hellénique en romaïque.

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Chez nous, pareille marche, quoique plus rapide encore. Une fois que la langue française a eu obtenu de Malherbe, de Pascal et de Corneille, ses lettres patentes, et qu'elle a commencé à prendre son cours régulier, elle n'a, d'aucune façon, consenti à s'égarer, même sous prétexte de s'enrichir. Cette fière dame, à laquelle il faut être si habile pour faire accepter une aumône,» ne s'est pas, à plus forte raison, détournée de la droite route pour s'en aller chercher des avantages douteux. Elle a bien pu, selon les époques, se montrer sous des teintes différentes, donner à sa physionomie des aspects variés; mais au fond, pendant près de deux cents ans, chez tous nos bons auteurs, y compris les derniers (Ducis, Bernardin de Saint-Pierre, les deux Chénier et Casimir Delavigne), elle est restée la même, c'est-à-dire irréprochable au point de vue du rudiment. Qu'il y eût en France (comme il y en a et comme il y en aura constamment partout) de mauvais écrivains, ceci ne fait rien à la chose. Ils imprimaient des platitudes; ils ne commettaient point de solécismes.

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Les premières fautes de langage qui aient apparu comme menaçantes, se sont montrées au début du second quart de notre siècle. Vers 1825, on en aperçoit une petite avant-garde; de 1830 à 1832, elles gagnent du terrain, et la présence du mal ne peut plus être niée. On dirait que son invasion coïncide avec l'introduction du choléra en Europe, ou du moins que celui-ci la présage, et que l'une des deux épidémies sert de symbole à l'autre.

Depuis lors il a été fait quelques efforts, mais insuffisants et mal dirigés, pour repousser le fléau pestilentiel qui s'attaque ainsi à la langue française; fléau qui, si l'on ne s'en occupe tout de bon, la rendra bientôt méconnaissable. Il ne faudra pas longtemps

pour qu'elle se décompose, se transforme, et soit remplacée par un jargon, en attendant des métamorphoses ultérieures.

Or qu'y a-t-il à faire?

Publier et répandre des Cacologies? Soit! Mais c'est un pauvre remède, parce que, renfermant trop de choses, les Cacologies ne sauraient attirer assez sur les points importants l'attention des lecteurs. Elles mentionnent une foule de fautes trop grossières, que l'on n'a peut-être jamais beaucoup faites; qu'en tout cas on ne fait plus, ou presque plus, et qui, supposé qu'elles gardent un reste de vogue, ne la conservent que dans les classes de gens dont personne ne s'applique à imiter le langage. De tels livres passent donc, avec raison, pour un peu enfantins; et le public sérieux, celui même des adolescents, des lycéens, n'en prend d'ordinaire aucun souci.

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Ce qu'il y aurait de tout autrement efficace, ce serait un petit recueil choisi et raisonné, se bornant aux erreurs de langage, soit récentes et à la mode, soit qui, bien que déjà anciennes, n'ont pas jusqu'à présent disparu, même en assez hauts lieux, et que l'on voit certaines personnes bien élevées commettre quelquefois encore. Un recueil, d'ailleurs, où les locutions interdites ne fussent pas seulement énoncées, mais commentées, et où l'on prît la peine d'expliquer les causes de leur prohibition, de manière que le motif de la défense se gravât dans l'esprit avec la défense elle

même.

Tel est le besoin qui se fait sentir. cherchons à y subvenir par un essai1.

Pour notre part, nous

Tant mieux s'il fait naître l'envie d'en composer d'autres, et si l'impulsion ainsi donnée fait que, d'ici à peu d'années, il soit dépassé par des livres analogues plus satisfaisants.

Le Redresseur, rectification raisonnée des principales fautes de français qu'on est encore exposé à entendre ou à lire. Un vol. in-12.

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MEMBRE DE LA Société historique, archéologique et scientifiqUE DE SOISSONS.

Le sieur de Rieux, tour à tour capitaine et commandant de Marle, de Pierrefonds et de Laon, faussement défiguré par la plupart des auteurs qui ont écrit sur la Ligue, nous apparaît sous une physionomie bien différente d'après les documents inédits récem ment découverts aux archives de l'ambassade de France à Madrid.

Appuyé sur les chroniques contemporaines, nous allons, à l'aide de ces documents, essayer de remettre en lumière cet homme tout à fait méconnu, qu'on a représenté jusqu'ici dans l'histoire comme l'un de ces routiers ou chefs de bandes mal famés qui désolaient les campagnes et pillaient sur les grands chemins.

S'il fallait en croire la Satire Ménippée et tous ceux qui l'ont imitée, le capitaine de Rieux aurait été « un voleur, jadis petit « commis aux vivres, qui était parvenu parmi les ligueurs à cause de sa bravoure 1. » Palma Cayet, réformateur converti, semble reproduire la même opinion, sans se donner la peine d'en vérifier l'exactitude, lorsqu'il dit, presque dans les mêmes termes, que Rieux devint si insolent pour avoir soutenu le siége de Pierreroyaux,

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fonds, et se mit à exécuter de telles cruautés sur les qu'étant pris quelque temps après par les royaux de Compiègne,

Voir la Satire Ménippée, t. II, p. 215.

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