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à écouter une prétendue voix du ciel, n'entend plus la diversité de leur langage; il en résulte que la morale de ces sermons est coulée dans un moule unique, et les nuances si variées de nos vices et de nos vertus n'y jettent aucun reflet. C'est cependant un principe évident, reconnu par la sagesse païenne. et confirmé par la science chrétienne, que la véritable éloquence doit connaître le cœur de l'homme que le but de ses efforts est de toucher, et si les orateurs 'de la Grèce et de Rome ont tous avoué la nécessité de cette science, combien plus est-elle nécessaire à l'orateur chrétien!

VI

DES SERMONS Allégoriques.

Quelque extension qu'il convienne de donner à la règle que chaque prédicateur fera bien de s'attacher au genre qu'il préfère, et quelque avantage que présente une grande variété de prédication, il faut convenir que certains sermons, autrefois en grande faveur, doivent être sévèrement proscrits et bannis sans retour de la chaire moderne, notamment les sermons allégoriques.

Le plus mauvais usage de la Bible en chaire est l'allégorie. Ce système d'interprétation a été, depuis Origène, la première atteinte portée à sa vérité; il l'avait emprunté aux anciens Juifs, et l'on peut

L'espace me manque pour transcrire l'amusant et curieux passage de Daillé (Traicté de l'Emploi des Saincts-Pères, liv. 11, chap. 3) sur l'abus des interprétations allégoriques; il méritę d'être étudié par tous ceux que ce genre séduit encore,

dire que du temps de ce fameux docteur jusqu'à nos jours, l'absurde interprétation allégorique, après avoir longtemps coulé à pleins bords en faussant l'Écriture sainte, poursuit son cours, et souvent encore vient noyer le sens. L'abus que les anciens prédicateurs en ont fait dépasse ce que l'on peut croire. Il est malheureusement certain qu'ils trouvent parmi nos contemporains de fidèles imitateurs, et que çà et là des imaginations presque en délire s'obstinent à prêcher sur ce ton. Quelques exemples suffiront pour permettre de comparer sous ce rapport les sermons anciens et modernes, pour faire apprécier cette méthode d'après ses fruits, et montrer qu'elle conserve des admirateurs; on verra que ses partisans, aujourd'hui, se livrent encore à des tours de force dignes des allégoristes des premiers siècles, du moyen âge ou des temps qui ont suivi la Réforme.

On a de Béde, dit le Vénérable, mort en 735, le premier auteur d'une histoire ecclésiastique, un recueil de sermons pour tous les dimanches et fêtes de l'année. Dans son homélie sur les noces de Cana, le changement de l'eau en vin est une figure des sacrements; l'eau dont on remplit les cruches, une figure de la sagesse qui purifie; les six vases représentent les six grands personnages dont la vertu

a servi d'exemple durant les six âges qui ont précédé la mort du Christ; ces vases sont de pierre, parce que les âmes sont affermies par la foi; ces vases contenaient deux ou trois mesures; ainsi les écrivains sacrés ont parlé tantôt du Père et du Fils seulement, tantôt du Saint-Esprit aussi; la différence de l'eau au vin est celle de la loi à la grâce; le Seigneur pouvait faire remplir de vin les cruches; s'il a préféré y faire verser de l'eau, son intention était de montrer que sa loi n'était point au fond une loi nouvelle, mais la perfection de l'ancienne, etc. J'abrége cet extrait, et l'on se récrie en le lisant. J'ai choisi à dessein cet exemple donné par un auteur célèbre, en plein moyen âge, et une allégorie dont le vin est le principal emblème. Environ sept siècles plus tard, tant cette fausse interprétation de l'Écriture a continué de séduire des hommes d'un savoir plus réel et d'un goût plus pur, la même allégorie se retrouve dans le 32 sermon de Théodore de Bèze sur l'histoire de la passion, au sujet de la cinquième parole de la croix : J'ai soif! et de l'éponge imprégnée du mélange de vinaigre et d'eau, le seul breuvage que dans les pays chauds la discipline romaine permît aux soldats de service d'emporter avec eux et qui fut présenté aux lèvres du Christ. A la marge de l'édition de 1598, on lit ce

sommaire : « Le Seigneur requiert du vin de sa vi>> gne sans qu'il en ait besoin; mais ce n'est le plus » souvent que vinaigre, » et une page entière est employée à tourner et retourner en tout sens cette bizarre figure!

Ce mauvais genre, aussi peu favorable à l'éloquence que contraire aux plus simples règles de la critique sacrée, est-il abandonné?

Il existe un sermon moderne de la chaire catholique sur la résurrection de Lazare qui renferme les points suivants: Seigneur, celui que tu aimes est malade (vers. 3): l'homme, créature chérie de Dieu, a contracté la maladie spirituelle du péché; Lazare est mort (vers. 16) mort morale du pécheur; le corps a de l'odeur; il est là depuis quatre jours (vers. 39) putréfaction morale de l'âme qui rend tout secours humain impuissant; Lazare, sors! (vers. 43) retour à la vie spirituelle; déliez-le de ses bandelettes et le laissez aller (vers. 44) : délivrance entière des liens du péché.

J'ai eu connaissance d'un sermon plus récent encore de la chaire protestante sur la guérison de l'aveugle Bartimée; exorde : il y a deux cécités, celle du corps, celle de l'âme; le Christ a guéri quelquefois l'une, il guérit surtout l'autre, quand on le lui demande; Bartimée et son compagnon, assis sur le

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