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XXVI.

XXVI

RESPONSABILITÉ DE LA PRÉDICATION.

La responsabilité d'une tâche librement entreprise, d'une carrière librement acceptée, peut se mesurer sur le bien même qui s'opère, si on y réussit. En conséquence (les remarques que je viens de présenter suffiraient pour le prouver) aucune responsabilité ne dépasse celle du prédicateur chrétien, et les dispositions morales et religieuses dont il se montre animé entrent pour une part immensè dans le succès qu'il recherche et les moyens de l'obtenir. Chez lui, les talents les plus éminents ne peuvent suppléer au zèle, à la piété, à l'humilité, à la foi, au désir ardent de la gloire de Dieu, au service fidèle du règne de l'Évangile, à l'amour de ses frères, à la joie d'en sauver au moins quelques-uns, comme parle Saint

Paul (Rom. xi, 14) et d'affermir sur le sol mouvant du monde le seul fondement qui ait été posé, savoir Jésus-Christ. (1 Cor. II, 11). Un mauvais chrétien ne sera jamais un bon prédicateur 1.

Frappés de ces simples remarques, quelques lecteurs s'étonneront peut-être que ce livre ne renferme pas une partie spéciale consacrée à la discussion et à la défense des sentiments religieux que l'office de la prédication exige. Je dois avouer que le rôle de prédicateur des prédicateurs ne me tentait nullement, et je prie instamment qu'on veuille bien le comprendre je n'ai point essayé d'écrire, à l'usage des pasteurs, un traité de vie chrétienne, mais un traité d'art de la chaire; ce sont choses, certes, fort distinctes; j'avais peut-être quelque droit, après un si long exercice, de soumettre à mes collègues des idées pratiques sur la prédication; je ne m'en reconnais aucun de prétendre conseiller leur conscience ou leur conduite pastorale. Aussi bien, le zèle, la piété, la foi, l'ardeur d'être utile, la persévérance à le tenter, ne sont pas choses qui s'enseignent dans les froides

Une belle pensée de l'abbé Gros de Besplas est celle-ci : << l'orateur qui suit le goût profane du siècle, peut quelquefois >> blanchir les tombeaux : l'orateur chrétien les ouvre et rap» pelle les morts à la lumière. » (Essai sur l'Éloquence de la Chaire, p. 113).

pages d'un manuel, et celui qui ne sait pas les chercher où elles se trouvent, se ferait une étrange illusion en s'imaginant qu'un livre spécial lui révèlerait le secret de les trouver.

J'ai suivi l'exemple du pieux et sage Ostervald, qui, dans la première partie de son ouvrage sur l'exercice du ministère sacré qui traite de la prédication, consacre six pages à indiquer les dispositions morales et religieuses indispensables au prédicateur de l'Évangile, et le reste du volume à l'art oratoire.

Cependant, parmi ces dispositions, il en est deux qui sont tellement essentielles à l'éloquence de la chaire, qui contribuent si puissamment à la féconder et à la soutenir, qu'on me permettra de les indiquer en finissant,

La première est la sincérité, non cette sincérité vulgaire qui évite de mentir et de tromper et ne fait pas de l'éloquence une hypocrisie; mais cette sincérité plus élevée, appuyée sur le principe qu'il faut croire soi-même pour faire croire les autres. Un chrétien seul persuadera des chrétiens, et la sincérité de la prédication, comme toute autre, a un accent qui la fait reconnaître. Notre chaire n'est la chaire de vérité, que si elle est telle pour celui qui l'occupe. « Vous serez toujours un orateur très>> imparfait, » a dit Fénelon, « si vous n'êtes péné

» tré des sentiments que vous voulez peindre et

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inspirer aux autres, et ce n'est pas par spiritualité » que je dis ceci; je ne parle qu'en orateur1. » Que Fénelon a raison!... On disait d'un orateur politique: Il a de l'éloquence, mais elle sonne faux. Le Père Lamy, dans son Art de parler, a naïvement intitulé un de ses chapitres : « Les qualités que l'on » a montré être nécessaires à un orateur ne doivent » pas être feintes 2. » Il est certain que dans une série régulière et continue de prédications la fausseté du fond, l'embarras de prêcher ce qu'on ne croit pas, finira promptement par se refléter et se trahir dans la fausseté involontaire du débit, dans les tournures évasives du style, dans le vague des raisonnements et des exhortations. « Avant tout, » a dit Limborch, «< il est indispensable que nous soyons pénétrés des >> sentiments que nous voulons exciter chez nos audi>> teurs, de peur que nos paroles ne soient écoutées » comme partant du bord des lèvres et non du fond » du cœur3. >> Comment, en effet, rester maître de

1 Dialogues sur l'Éloquence, II.

2 L'Art de parler avec un discours dans lequel on donne une idée de l'Art de persuader. 1 vol. in-12, d'abord anonyme, publié ensuite avec son nom. Chap. 2. § 3. p. 264.

3 Ces lignes sont extraites d'un très-court sommaire d'homélitique du célèbre théologien Ph. de Limborch, longtemps conservé inédit dans la bibliothèque de l'Église remonstrante de

son élocution, quand on est forcé de parler, tantôt avec effusion, parce qu'on est convaincu, tantôt avec habileté, parce qu'on ne l'est pas; le glaive à deux tranchants de la Parole (Héb. iv, 12) frappera mal, si en le maniant on doit prendre soin d'en émousser toujours un côté.

Erasme a dit : «La première condition pour » réussir à persuader est d'aimer soi-même ce que >> l'on persuade aux autres ; à celui qui chérit sa con>>viction, cet amour même communiquera l'ardeur » de l'éloquence, et la puissance de l'enseignement » sera surtout augmenté, si l'on découvre en l'ora>>teur ce qu'il enseigne1.

Rotterdam et publié pour la première fois par Van Der Hoeven dans son Essai biographique déjà cité (page 246). « Ante omnia >> requiritur ut ipsi affectibus, quos in auditoribus excitare cu>> pimus, vacui non simus, ne verba extremis tantum labiis » hærere, non autem ex animo procedere credantur. » P. de Limborch, le petit neveu d'Episcopius, le correspondant de Locke, un des théologiens les plus laborieux et les plus érudits de son église et de son époque, né en 1663, mort en 1712, doit compter parmi les rares prédicateurs de ce temps qui ont porté l'improvisation en chaire. (Van Der Hoeven, Dissertatio de Ph. a Limborch, 21). Un des premiers aussi,fil renonça au mauvais goût, au langage figuré, à l'afféterie qui trop souvent déshonorait encore la chaire. C'est le témoignage que lui rend deux fois Jean Le Clerc, dans l'oraison funèbre qu'il prononça sur sa tombe et l'article qu'il lui a consacré, tome XXIV de la Bibliothèque choisie (Art. 5. p. 354).

1 Præcipuum igitur ad persuadendum est,amare quod suades;

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