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sans nouvelles nuances de simplicité, d'aménité, d'émotion, d'énergie, lorsqu'elle se retrouve toujours semblable à elle-même depuis tant d'années, la satiété vient nuire à l'attention.

Il faut lire et relire dans le Brutus de Cicéron (XCIII) l'admirable passage où le prince des orateurs romains raconte comment son ami et son émule, le célèbre Hortensius, à qui d'ailleurs il rend une si éclatante justice, commence, au sortir de son consulat, à négliger son éloquence qu'il croyait sans rivale, du moins parmi les personnages consulaires, et par quelle chute rapide il descendit, dans l'admiration de ses contemporains, au-dessous des compétiteurs qu'il avait surpassés. Hortensius perdit par sa faute un rang qu'il eut grand peine à reconquérir, quand le consulat de Cicéron le réveilla de sa torpeur et le fit se remettre au travail.

XXIII

POINTS DE VUE MORAL ET ARTISTIQUE DE LA
PRÉDICATION COMPARÉS.

Les lecteurs de cet essai, pasteurs ou laïques, s'ils approuvent les vues qu'il expose, justifiées autant que je l'ai pu, par les expériences, par les souvenirs dont il est semé, ne doivent cependant en accepter ou en recommander l'usage, qu'en reconnaissant ce point de départ que la prédication est un art, ainsi que le sévère Ostervald ne craint point de la nommer (De l'Exercice du Ministère sacré, p. 17.) et que le pieux de Bellefontaine la nommait après lui. L'assertion, à bien des esprits, peut ne point paraître douteuse; elle a besoin cependant d'être justifiée.

Cet art a repris faveur avec la Réformation, et ses détracteurs aujourd'hui ne devraient pas l'oublier. Il est remarquable sans nul doute que depuis Augus

tin jusqu'à la Réformation, c'est à peine si l'on s'est occupé de la science de bien dire, et moins encore peut-être au sujet de l'éloquence de la chaire que de toute autre. Dans le quatrième livre de son traité « de la Doctrine chrétienne, » qu'il a laissé incomplet, Augustin en a exposé les bases, et depuis l'évêque d'Hippone jusqu'à la fin du moyen âge, il se fait un grand silence sur l'art de la chaire; à peine çà et là peut-on glaner quelques conseils, quelques critiques, dans les écrits des Pères ; on ne songe pas à reprendre, à achever l'ouvrage d'Augustin; la Réformation commence Erasme publie l'Ecclesiasto, et Mélancthon écrit un discours sur l'art oratoire, dans lequel il insiste avec une grande force sur les services que les lettres et l'éloquence sont appelées à rendre à la religion.

« En ces derniers temps, » dit l'illustre ami de Luther, « lorsque le Dieu tout bon eut commencé à » regarder vers ses enfants affligés et se préparait à »> nous rendre l'Évangile, dans sa bonté il nous ren

'Au nom d'Augustin il faut joindre ceux de Chrysostome et de Grégoire le Grand, et les ouvrages à consulter sont : Chrysostome, De Sacerdotio; Opera omnia, cura et studio D. Bernardi de Montfaucon, ordinis sancti Benedicti ; 1718. Vol. I. p. 362. — Augustin, De Doctrina christiana (Edition des Bénédictins. 1700) Vol. III. 1re partie. liv. Iv, p. 1. Grégoire: Liber Reguli pastoralis, Vol. II, p. 1. Gregoria Papa opera omnia (Édition des Bénédictins) 1705.

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» dit aussi les Lettres, par lesquelles l'étude de l'Évangile devait être secondée. Et le don des lan» gues accordé aux apôtres n'a pas été un bienfait >> plus spécial que les lettres, retirées d'une si pro>> fonde décadence, sorties du sein de ténèbres si épaisses et rendues à la lumière. » Et plus loin : Ceux que l'amour de la piété anime sont tenus, » comme d'un devoir envers le Christ et envers l'in» térêt général de l'Église, de s'étudier à bien par>> ler1. >>>

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Une épigramme de Théodore de Bèze (s'il fallait ajouter un témoignage à celui de Mélancthon) attesterait l'importance qui dès les commencements de la

Nuper vero, cum respicere afflictos iterum cœpisset optimus Pater, essetque redditurus nobis Evangelium, pro sua liberalitate et litteras restituit, quibus Evangelii tractatio adjuvaretur. Nec magis novum videri debet donum linguarum apostolis collatum, quamque hæ a tanto squalore receptæ ex tenebris plusquam Tartareis in lucem revocatæ sunt... Quos pietatis tenet studium, ii vel Christo, vel publicæ necessitati Ecclesiæ, hoc præstent officii ut recte loqui discant. (Philippi Melanchthonis de Arte dicendi Declamatio. p. 11 et 12, Parisiis ex officina, Rob. Stephani 1527.) Mélancthon a traité aussi à diverses reprises dans ses écrits des devoirs du prédicateur et a donné des éléments de rhétorique en trois livres.

Ce réveil de l'art de la chaire, cette renaissance de la prédication, se fit bientôt sentir dans l'Église catholique, où les sermons avant la Réforme avaient presque cessé, et de là les sévères admonitions du concile de Trente (V. Session. chap. 2). L'enseignement fut une des premières questions dont il s'occupa.

Réforme a été attachée à l'éloquence de la chaire. Il a retracé en six vers d'une grande élégance les mérites divers de l'éloquence de Calvin, de Farel et de Viret : « Jamais, » dit-il, « on n'a enseigné avec plus de >> science que Calvin; jamais on n'a tonné avec plus » de force que Farel; jamais on n'a fait couler plus » de miel que Viret et parlé avec plus de douceur. Tous les souvenirs du temps s'accordent sur la justesse de ces appréciations et sur les effets extraordinaires de ces prédications; celle, notamment, de Viret attirait et retenait les âmes captives sous le charme de sa parole 1.

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L'éloquence allemande de cette époque, plus inculte, plus désordonnée, plus véhémente, produisait néanmoins dans la bouche des Luther, des Zwingle et de leurs émules, les impressions les plus vives. On peut citer surtout les quatre sermons que Luther prononça à Wittemberg, sur la mort, la résurrection et le jugement dernier; dans un des morceaux les

Gallica mirata est Calvinum Ecclesia nuper,
Quo nemo docuit doctius;

Est quoque te nuper mirata, Farelle, tonantem,
Quo nemo tonuit fortius;

Et miratur adhuc fundentem mella Viretum
Quo nemo fatur dulcius.

Scilicet aut tribus his servabere testibus olim,.
Aut interibis, Gallia.

(Epigramm. lib. p. 90. Ed. de 1624. Genève.)

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