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OBSERVATIONS PRATIQUES

SUR LA

LA PRÉDICATION

I

PRÉLIMINAIRES.

Ce titre dit assez clairement ce que je veux écrire. Longtemps mon dessein avait été différent; j'avais conçu l'idée d'une histoire de l'éloquence au point de vue chrétien; il s'agissait en remontant aux modèles et aux maîtres de l'art dans l'antiquité, en analysant Cicéron, Quintilien, Tacite, de rechercher ce qui dans les exemples et les règles qu'ils nous ont laissés, est applicable à la prédication chrétienne moderne ; de suivre la trace de celle-ci, en la mettant en balance avec l'état des mœurs, les

variétés des opinions, la nature des gouvernements, d'abord à travers les premiers siècles chez les Pères et les auteurs dits ecclésiastiques; à travers les ténèbres ou les réveils du moyen âge jusqu'à la renaissance des lettres, et depuis l'époque de la renaissance jusqu'à celle de la Réformation; de montrer à quel point la fréquence et la rudesse de la polémique de cette période avait nui aux progrès de l'art de bien dire; ensuite, restreignant ces recherches à la France, d'examiner combien l'esprit factice et servile du règne de Louis XIV s'était imprégné dans la prédication; ce qu'elle avait été et parmi nous et au sein des Églises du Refuge après la révocation de l'Édit de Nantes; comment l'esprit incrédule et moqueur du siècle dernier l'avait (qu'on me passe le terme) contrecarrée; enfin d'étudier ce qu'elle a été depuis le rétablissement des cultes et ce qu'elle devrait être de nos jours. Ce plan est si vaste qu'il paraîtra présomptueux d'en avoir rêvé l'exécution et tracé les contours, et je suis tout à fait de cet avis, maintenant que je le juge, comme de loin, froidement et après y avoir renoncé. Mais j'y renonce en le recommandant à l'attention de ceux de mes collègues que peut tenter une œuvre d'un grand intérêt, éminemment utile, et qui, si je ne me trompe, aurait même l'attrait de la nou

veauté, surtout en la prenant au point de vue de la pratique, non de la théorie de l'éloquence. Cette rapide esquisse du dessein de l'ouvrage explique assez pourquoi, non sans quelque regret, j'y re-· nonce; d'autres publications et les devoirs nécessaires du ministère ont retardé d'année en année ce travail, quoique j'eusse déjà rassemblé en assez grand nombre les livres nécessaires, et recueilli cà et là beaucoup de notes et d'extraits; le temps, pour moi, est venu de quitter ce que le poëte nomme « les longs projets et les vastes pensées. » Mais on peut glaner quelques épis mûrs au bord du champ que l'on désespère de moissonner, et je crois faire une chose utile à nos Églises en jetant sur le papier les souvenirs et les principales expériences d'une carrière de plus de quarante années de prédication.

Peu de fidèles se font une idée juste de l'extrême difficulté du travail de la prédication dans la chaire protestante, et des labeurs que, de nos jours, elle exige plus que jamais. Ces pages rectifieront, je l'espère, à cet égard leur manière de voir, et l'on

'C'était déjà l'opinion de l'un des plus excellents esprits que notre pays ait produits :

« L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humain et >> du talent de l'orateur, est cachée, connue de peu de person>> nes et d'une difficile exécution. »>

LABRUYÈRE. Caractères, chap. XV.

nous épargnera peut-être, après les avoir lues, le pénible encouragement qui nous est souvent offert ; Un sermon vous coûte si peu !......

Exposer d'abord le danger pour les prédicateurs de l'imitation et la nécessité des conseils (§ 2 et 3); étudier le meilleur genre de sermons, les caractères qui les distinguent, les défauts qui les déparent (§ 4 à 14); indiquer les règles de la composition et les moyens les plus sûrs d'y réussir (§ 15 à 17); examiner les questions concernant le débit, lecture, récitation ou improvisation (§ 18 à 21); enfin, discuter l'importance de la prédication comme acte de culte et devoir du pasteur (§ 22 à 26), tel est le plan que je me suis tracé.

Un écrit de ce genre rencontre souvent des préventions qui font révoquer en doute son utilité; mais peu de mots suffiront, je crois, pour la faire admettre. Pensez-vous, demande-t-on, que des conseils, des expériences, les ruses de la pratique oratoire, puissent faire un orateur? Avez-vous foi aux cailloux de Démosthènes? admettez-vous la vieille distinction que l'on devient orateur, si on naît poëte, et que, sans être pourvu des dons naturels qu'exige l'éloquence, on puisse, par les études les plus persévérantes, en suivant les méthodes les plus sages, réussir à devenir orateur? A ces questions, si sou

vent posées, dont on peut faire un prétexte de s'endormir dans la paresse ou de désespérer de tout succès, la réponse m'a toujours paru très-facile. Je demande à mon tour: Existe-t-il un art de la parole? Oui, sans nul doute; en ce cas, cet art, si votre carrière vous appelle à vous en servir, cultivez-le; un art, quel qu'il soit, s'apprend, et, selon la mesure des facultés que l'on a reçues, on y réussit plus ou moins. Ce travail ne sera jamais stérile. A quelque degré que vous soyez doué ou dépourvu des forces naturelles d'esprit et de corps favorables à l'éloquence, l'étude de l'art vous fera parler mieux, et si la prédication, comme j'espère le montrer, est le premier devoir du ministère de notre Église, cette étude devient un devoir sacré.

Le meilleur juge de l'antiquité en fait d'éloquence, celui qui a le plus écrit d'ouvrages didactiques sur l'art qui lui a donné tant de gloire, Cicéron, a répondu à ces objections avec une grande force : « Quand il nous manquerait, dit-il, quelques » dons naturels, ou l'élévation et la force du génie, » ou le secours des grandes études, ne laissons pas » de diriger notre course aussi loin que nous pou»vons atteindre 1.

1 « Quod si quem aut natura sua, aut illa præstantia ingenii

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