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XIX

DE LA RÉCITATION.

La mémorisation est la méthode la plus répandue. Incontestablement, c'est la plus prudente et la plus sûre; ce doit être celle de tous les jeunes ministres pendant un long noviciat, un noviciat de plusieurs années, pour la simple et sûre raison que si on commence par l'improvisation, on se perd; il sera facile de le démontrer.

J'ai hâte d'ajouter que j'entends parler ici de la récitation entière, complète, s'attachant à ce qui a été écrit, sans plus ni moins, et jusqu'au bout. Les avantages de ce système sont certains.

1 « La méthode, sans contredit la plus efficace, et, pour dire » la vérité, celle que nous suivons le moins à cause du travail » qu'elle exige, c'est d'écrire beaucoup; la plume nous forme » à bien dire; c'est le premier et le plus habile des maîtres. >>

D'abord, on écrit et on s'accoutume, on se forme, on se force à écrire 1. Le style se fait, la facilité s'acquiert, les sermons se remplissent; on y met des choses, non des mots; on y met en bien moindre quantité les plats lieux communs, les insupportables répétitions, les finales ne finissant jamais, de l'improvisation inexpérimentée; le discours présente cette méthode, cette liaison des parties, cette progression d'intérêt et de chaleur, qui sont si nécessaires, et l'écrivain fait valoir l'orateur, si l'élocution est peu heureuse, si l'orateur ne réussit guère à faire valoir l'écrivain.

Delprat, l'éminent chapelain du roi Guillaume Ier, avait la voix si faible, si flûtée, que dans le vaste temple de La Haye, on l'entendait à peine, que les mouvements oratoires lui étaient impossibles, et qu'il appelait ses prédications des confidences; mais le style et les pensées de ses sermons, écrits avec le

<< Caput autem est, quod, ut vere dicam, minime facimus (est » enim magni laboris, quem plerique fugimus), quam plurimum >> scribere; stylus, optimus et præstantissimus dicendi effector » et magister (De Orat., 1, 33). »>

Ce passage de Cicéron est parfaitement applicable à nos jours. Sur ce même sujet, il faut méditer les admirables conseils de Quintilien, De Inst. Orat., x, 3, et lire les réflexions d'Ostervald qui réfute avec un grand sens « les gens qui croient qu'on >> peut se passer d'écrire (De l'Exercice du Ministère sacré, p. 48 >> et suiv.). >>>

plus grand soin, dédommageaient de tous les efforts. d'attention.

En tout cas, par la mémorisation on échappe aux imprudences soudaines, aux inconvenances irréparables, aux chutes d'une improvisation juvenile; on sait qu'il en peut arriver de si graves qu'elles influent sur toute une carrière; un ministère qui commence s'environne ainsi d'une sorte de discrédit prématuré dont a bien de la peine à le sortir. Rappelons-nous que la langue française est la plus prude des langues, ne pardonne rien et ne souffre aucun compromis.

La question pourrait se poser au simple point de vue du devoir religieux. N'est-ce pas en vérité faire trop bon marché du saint ministère et traiter son auditoire, quel qu'il soit, trop sans façon, que de se mettre au sortir des bancs de l'école à prêcher d'abondance, selon l'expression consacrée, mot perfide dont il faut se défier; la pénurie est là plus souvent que l'abondance? N'est-ce pas s'arranger pour se donner le moins de peine possible, à l'âge où il est sage d'en prendre le plus? Si l'on met la main à la charrue, il faut, non-seulement ne point regarder en arrière, mais la pousser en avant de toute sa vigueur, et surtout tant que le bras est jeune et vigoureux à l'ouvrage.

La seule méthode que comme prudence sous le

rapport de l'art, comme responsabilité sous celui de la religion, il soit possible de recommander à nos jeunes collègues est évidemment d'écrire, d'apprendre et de réciter.

Quelles objections soulève-t-on d'ordinaire contre ce conseil ?

Le temps considérable qu'exige la mémorisation complète d'un discours : si la prédication a dans le culte l'importance que notre église lui a toujours reconnue et dont j'examinerai plus loin les motifs, c'est un temps très-bien employé.

Le courage nécessaire pour réciter en chaire et se confier à une mémoire souvent ingrate en faut-il moins pour improviser? D'ailleurs, il n'est pas permis à un orateur d'arguer de sa timidité, surtout quand le sentiment d'un devoir religieux à remplir le soutient. J'ai même toujours conseillé de poser le cahier hors du regard 1; il est bon de forcer la mémoire à remplir son office; si le manuscrit est à portée, on y jettera les yeux; la tentation sera trop forte. Jamais je ne suis monté en chaire sans mon manuscrit; c'eût été une bravade inconvenante et inutile à la fois; mais je l'ai toujours relégué derrière moi, hors de vue, de manière à n'y recourir qu'en cas de nécessité absolue.

Ce conseil est donné par Quintilien (De Inst. Orat., XI, 2).

Le danger, le chagrin, l'affront de rester court et, selon le vers fameux de Sanlecque, de relire dans la voûte un sermon mal appris, ou de feuilleter à la hâte le cahier pour secourir la mémoire défaillante : il faut se bien persuader qu'un auditoire chrétien tolère bien plus aisément chez un jeune homme un tort de mémoire qu'il ne pardonne la paresse de celui qui lit ou la présomption de celui qui improvise.

On prétend que la récitation donne au débit quelque chose de contraint, de compassé, d'emphatique, un geste guindé, un accent redondant, et que l'improvisation au contraire amène un débit plus naturel, plus chaleureux, plus sympathique; bien des exemples protestent contre la justesse de ces alternatives; si la mémoire est sûre d'elle-même, l'élocucution n'encourra point ces reproches, et le débit d'un discours improvisé peut être aussi désordonné que le discours même.

Cependant la difficulté que l'on oppose le plus communément à la méthode de la récitation et qui semble indiscutable, est simplement celle-ci : Je n'ai pas de mémoire. J'avoue qu'en l'entendant énoncer, je me sens toujours enclin à demander: Avez-vous essayé d'en avoir une?

Il serait absurde de soutenir qu'il n'y a point de

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