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XV

DES PLANS DE SERMONS.

Il est temps de passer à la composition même des sermons, sans faire la différence des sermons écrits, destinés à être lus ou récités en chaire, et des sermons improvisés sur une analyse étendue ou de simples notes. On se figure quelquefois que les règles de la composition diffèrent selon que le prédicateur lit, récite ou improvise. C'est, je n'en puis douter, une grande et périlleuse erreur ; j'essayerai de le démontrer; il importe au contraire, quelque méthode de débit que l'on ait adoptée, qu'il y ait composition dans le sens complet de ce mot dont je me sers à dessein.

On discute, en général, une foule de questions oiseuses dans les cours et les traités d'art ora

toire au sujet de la composition des sermons et de l'avantage d'y ranger en ordre, d'abord un exorde, ensuite, le « nexe, » vieux mot 2 qu'on trouve à la

1 On n'a pas en général une idée exacte du nombre d'ouvrages publiés sur l'art de la chaire. Le Dictionnaire des Prédicateurs françois (1 vol. in-12. Lyon, 1757) en indique et en analyse, de 1628 à 1745, environ 70 pour la seule chaire catholique en France. Mais le double défaut du très-grand nombre, et de ceux même qui ont joui d'une certaine réputation, depuis l'Ecclesiasta d'Erasme jusqu'aux écrits de Claude et d'Ostervald, est de s'occuper beaucoup plus de la facture que du débit, et d'abonder en règles tellement minutieuses et détaillées que le talent le plus docile s'étiolerait à marcher parmi tant d'entraves. Le Traité de Claude, notamment, n'est, à peu de chose près, qu'un recueil de plans de sermons et d'analyses de textes, rédigés dans un esprit de détail tel que, dans le seul chap. vi, il compte 27 «<< Sources de l'invention » pour découvrir, selon le genre du passage des livres saints choisi, la meilleure manière de le traiter. Le même inconvénient se reproduit dans divers ouvrages modernes. Pour ne citer que deux exemples, le professeur Van Hengel (Institutio Oratoris sacri, part. II, chap. 3, 25) discute la question de savoir si l'insertion du texte doit précéder ou suivre l'introduction, et cite Ammon au sujet de la longueur de l'exorde, qui ne doit former au plus que la huitième partie du discours, et que la douzième au moins!

2 Voir le complément du Dictionnaire de l'Académie française, de Firmin Didot, 1856.

On néglige trop le soin de lier d'une façon naturelle et ingénieuse l'exorde au corps du sermon : cependant il y a un avantage réel à ce qu'un dernier mot excite l'intérêt de l'auditeur. Un modèle en ce genre est le nexe, sous forme de vœu, du sermon (inédit) de M. de Bellefontaine sur l'impudicité : « Dieu >> veuille que, si vous rougissez en public à la vue du portrait >> de l'impudique que je vais tracer, vous n'ayez jamais à rougir

marge de quelques vieux sermonnaires et qui désigne la liaison entre l'exorde et le discours; ensuite, l'invitation ou le conseil donné à l'auditoire d'être attentif et de s'édifier; ensuite, les première et deuxième parties, découpées ou non en points distincts et suivis d'une péroraison. J'ai trouvé, je l'avoue, les livres de rhétorique très-prolixes, mais stériles, sur ces préceptes, qui me paraissent très-simples. On parle d'exorde; ce qui veut dire qu'un sermon doit avoir un début, une entrée en matière, et de péroraison; ce qui veut dire sans doute qu'un sermon doit avoir une terminaison; à ces remarques, on peut ajouter qu'un discours doit présenter quelque chose qui soit le corps du discours, entre le commencement et la fin; il serait difficile de contester cette théorie et de ne pas admettre que le commencement sera une sorte d'introduction et la fin une sorte de résumé, l'un et l'autre d'une moindre étendue que la partie centrale qui renfermera le développement du sujet, quel qu'il soit. Mais il m'a toujours été impossible de comprendre l'utilité de cette creuse rhétorique, et malgré l'étiquette rigoureuse de toutes choses sous Louis XIV, La Bruyère ne la comprenait pas mieux, lorsqu'il livrait à la risée

>> en secret de la honte d'être coupable des mêmes désor> dres! »

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de ses lecteurs, ces prédicateurs de son temps qui, « ont toujours, » dit-il, « d'une nécessité indispen»sable et géométrique, trois sujets admirables de nos >> attentions ils prouveront une telle chose dans la première partie de leur discours, cette autre dans

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» la seconde, et cette autre encore dans la troisième ; >> ainsi vous serez convaincus d'abord d'une cer

1 Caractères, chap. xv.

«Oh! quand viendra celui qui saura, plus habile,
>> D'un tyrannique usage affranchir l'Evangile,
» Et rendre à nos sermons l'heureuse liberté
» Que donne à ses discours la sage antiquité!
» De la division elle ignore la gêne,

>> Et jamais orateur, dans Rome ou dans Athène,
>> Partageant avec art les sujets proposés,

>> N'en distingua d'abord les membres opposés ;
>> Chaque point dans son rang arrivait de lui-même;
>> Du premier, sans le dire, on passait au deuxième,
» Et l'on l'attendait pas que, du premier lassé,

>> Pour passer au second, l'auditeur eût toussé.
>> Le sujet simple et clair, n'embrassant qu'une chose,
>> S'avançait vers la fin sans détour et sans pause,

>> Et, sur cette unité, l'orateur scrupuleux,

» Jamais, pour un discours, n'en fit entendre deux. »
De Villiers, Art de précher, chant II.

Les Dissertations de P. W. Leemans sur la meilleure Mé-thode de Sermons (De optimo Concionum genere, Leyde, 1768) contiennent deux plans de Sermons différents sur l'Entretien du Christ et des disciples d'Emmaüs; l'un, que l'auteur critique, a 34 parties ou points; l'autre, qu'il préfère, en a 34 aussi !

Il faut lire les excellentes réflexions de Fénélon sur les divisions (Dialogues sur l'Eloquence).

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» taine vérité et c'est leur premier point, d'une >> autre vérité et c'est leur second point, et puis >> d'une troisième vérité et c'est leur troisième point; » de sorte que la première réflexion vous instruira » d'un principe des plus fondamentaux de votre religion; la seconde d'un autre principe qui ne l'est » pas moins, et la dernière réflexion d'un troisième » et dernier principe, le plus important de tous............ » Certes, le grand moraliste a raison, et pourtant, depuis qu'il a écrit ces lignes, que de sermons ont été écrits sur des plans pareils! L'éloquence chrétienne des premiers siècles ignorait cette servitude des divisions, que la scolastique nous a léguée.

Il faut toujours se souvenir qu'un sermon est fait, non pour être lu; lire est de la part des fidèles une œuvre surérogatoire en fait de sermons, mais pour être débité et écouté, et que l'éloquence, répétons-le encore, est chose profondément personnelle. J'en conclus que chaque prédicateur peut composer comme il l'entend ses discours, mettre en tête des exordes longs ou courts, ingénieux ou simples; deux divisions bien tranchées ou des points liés entre eux d'un bout à l'autre du corps du discours; une péroraison, résumé du tout, application directe

' Cette distinction, trop souvent négligée, est pleinement admise par Aristote; Rhétorique, liv. III, chap. 12.

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