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XII

DE L'ACTUALITÉ DE LA PRÉDICATION.

Un des caractères de la hardiesse prudente que le pasteur doit porter en chaire, est l'actualité. La prédication n'atteindra pleinement son but d'utilité religieuse que si elle est actuelle, occasionnelle, contemporaine pour ainsi dire.

Certes, elle ne doit pas l'être toujours. Les vérités du christianisme, les leçons du christianisme sont éternelles comme la pensée même de Dieu dont elles émanent; il serait insensé de les laisser là pour ne parler en chaire que des idées et des systèmes, des intérêts et des événements du jour; ce serait oublier la foi et la morale qui ne changent pas, pour suivre dans ses évolutions variées à l'infini l'activité humaine; ce serait oublier le ciel pour ce monde et Dieu pour l'homme. Évidemment la part

de beaucoup la plus grande appartient dans une prédication régulière à l'Évangile, à ses doctrines, ses préceptes, ses espérances, et les bruits du siècle ne doivent jamais couvrir sa voix.

Avec la même force, je serais le premier à m'élever contre l'imprudence qui ferait de la prédication un écho des gazettes et la laisserait tomber au niveau des petites circonstances, des petites passions du moment, d'attaques infimes qu'elle doit dédaigner de toute sa hauteur, de mondanités honteuses qu'elle doit passer sous silence, et de ces mobiles caprices de la mode indignes de son attention. Il y aurait folie à tenter d'imiter aujourd'hui les excès des orateurs de la Ligue en France ou de l'époque de Charles et de Cromwell en Angleterre, qui parlaient bien moins en prédicateurs qu'en tribuns. Il y aurait une autre genre de folie à critiquer en chaire les vêtements des femmes, l'un des sujets favoris des orateurs catholiques du xvie siècle. D'un côté, nos lois ont sagement coupé court à ces fureurs politiques qui compromettaient à la fois les deux domaines, le spirituel et le temporel ', et, de l'autre, la délicatesse du goût moderne ne saurait tolérer ces mesquines inconvenances. Quelques essais des deux

'Code pénal, art. 201-207.

genres tentés assez récemment dans d'autres églises que les nôtres ont rencontré un blâme général. Mais je n'admets pas que la chaire chrétienne doive être étrangère au siècle qui se presse autour d'elle; je n'admets pas que la prédication puisse, si ce n'est à son détriment, ne point s'enquérir de la marche de l'esprit humain, ne point s'intéresser à ses grandes et nouvelles découvertes, à ses grandes et nouvelles erreurs, aux événements imposants qui se passent, aux institutions qui se créent, aux progrès considérables qui s'accomplissent; en un mot, à tout ce qui a prise d'une façon notable sur l'attention d'un peuple, à tout ce qui importe à son sort et à ses travaux. Se figure-t-on la prédication évangélique en Angleterre muette sur la question de l'émancipation des catholiques qui a changé du tout au tout la situation respective des diverses communions; en Allemagne, muette sur le réveil du vieux luthéranisme qui s'acharne à faire reculer s'il était possible le protestantisme de 200 ans et plus; muette en Suède sur ces lois d'intolérance, de persécution et de confiscation qui sont la plus cruelle, la plus mauvaise inconséquence où une église protestante puisse donner; muette enfin, aux États-Unis sur la question. de l'esclavage, cette menace sociale, cette abomination religieuse, grosse d'un orage dont le jour s'ap

prête et qui ne peut qu'éclater? Non, la religion chrétienne est la religion définitive de l'humanité, et à ce titre elle a son mot à dire sur tout; elle prend parti, pour ou contre tout; elle s'immisce de plein droit dans ce qui arrive, ici où se fait un pas rétrograde, pour l'arrêter; là où se fait un pas en avant, pour le conduire. Cette intervention de la chaire dans les choses contemporaines impose une mesure, une prudence, une dignité même, sans laquelles on court risque de compromettre l'évangile et le culte; c'est affaire de tact; mais il est incontestable que nous surtout qui ne croyons pas à la distinction romaine de ce qui est le monde et de ce qui ne l'est pas, nous qui n'entrons pas « en religion, » mais qui y sommes et qui ne reconnaissons aucune sainteté de cellule ou de cloître, nous ne pouvons fermer les yeux aux signes du temps; nous montons en chaire pour voir le siècle de plus haut, à l'abri de ses hontes comme de ses atteintes, et pour lui dire chrétiennement son fait.

J'ajoute que l'actualité de la prédication sera un élément précieux de variété.

Les sermons composés en vue des conjonctures présentes sont loin d'être les plus faciles; ils imposent un surcroît fort lourd de travail et de plus ils ont l'inconvénient d'exciter souvent de sourds mé

contentements, qui même peuvent éclater et entraver pour un temps la carrière. Néanmoins j'ai toujours cru que mon devoir de prédicateur, comme mon droit, allait jusque-là, et je n'ai point reculé devant les opportunités, sans les rechercher. J'ai pris à l'occasion pour sujets de sermons le jubilé de la Réformation en 1817, quoique ce fût une commémoration luthérienne; une rupture des digues et l'envahissement de la mer dont Amsterdam fut menacé; la guerre civile dans nos rues en 1832; la cessation du choléra; le crime de Fieschi, la consécration d'une chapelle séparatiste en 1840, les inondations de 1846, l'ouverture du temple de Pentemont, la révolution de Février, les journées de Juin, les élections au synode de 1848; à cette occasion, la fusion vainement désirée des deux Églises réformée et luthérienne et le schisme qui a suivi l'assemblée; la polémique du socialisme (plusieurs discours), l'exposition universelle, la folie irréligieuse de l'évocation des esprits par le mouvement des tables 1, l'anniversaire

A propos de l'actualité de la prédication, j'ai la plus grande peine, je l'avoue, à me figurer ce que les curés des communes rurales mettent dans leurs prônes. Quand on pense à la masse incroyable de préjugés, de crédulités absurdes, de pratiques superstitieuses, qui encombre les esprits des gens de la campagne dans ce prétendu siècle des lumières, les sorts, le mauvais œil, les guérisons par maléfices de mille sortes, les divinations, les apparitions du diable ou des morts, on ne comprend pas

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