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entend retentir du haut de la chaire une ode en prose. Il suffit de signaler ces exceptions pour les faire juger. L'enthousiasme lyrique à la longueur d'un sermon est une tentative absurde; l'enthousiasme vrai est de moins longue haleine, et le prédicateur chrétien n'est pas un poëte descriptif, un faiseur d'élégies, un rapsode ou un hiérophante.

Ce n'est pas que l'admiration des beautés et de l'ordre de la nature ne puisse être excitée du haut de la chaire chrétienne; il est utile d'y faire parler cette voix des cieux qu'entendit David et de citer ces soins touchants de la Providence que l'Évangile fait ressortir et qui s'étendent jusqu'aux passereaux. (Matt. x, 29). Mais les descriptions doivent être rares et très-courtes; un sermon n'est pas un poëme dans le style du livre de Job pour qu'il convienne d'y énumérer longuement les merveilles de la météorologie et les phénomènes de l'organisation animale. Il faut indiquer seulement et laisser l'imagination ou la science de l'auditeur rassembler les détails et tracer l'ensemble du tableau. Le Psalmiste (Ps. vIII, XIX, XXIX, CIV.), saint Paul (Rom. 1, 20), et le Christ, s'il estpermis de citer sous ce rapport son exemple, nous enseignent (Mat. vi, 28; x, 31; xvi, 2; Luc xii, 6, 27; Jean iv, 35) comment, en invoquant le témoignage de la nature en faveur de la religion, il con

vient de s'adresser simplement au sentiment religieux sans se répandre en des minuties ou des longueurs qui le refroidissent, et en lui laissant la liberté d'attacher ses réflexions ou ses souvenirs aux traits qu'il préfère.

Il en est du deuil et de la mort comme de la nature; c'est sans s'arrêter à faire des descriptions élaborées qu'il est prudent d'en parler. Un défaut qui peut facilement devenir un défaut d'habitude, est celui de trop provoquer l'attendrissement 1. On rencontre des prédicateurs qui font régulièrement pleurer leur auditoire et qui ne sont contents à moins, ni de lui ni d'eux-mêmes. Il est sage de ne pas abuser de la tristesse et des larmes ; celles-ci finiraient par se tarir pour ne plus reparaître. Que tel sujet, tel souvenir, telle conjoncture doive en amener, qui peut songer à y contredire et à le condamner? Je ne m'élève que

'Les larmes, dit Ostervald, ne sont pas toujours un signe certain de la bonté d'un sermon (De l'exercice du ministère sacré, p. 46). Voir encore p. 66 et 119.

Bayle raconte que Castellan, grand aumônier de France, chargé de prononcer l'oraison funèbre de François ler, fit fondre en larmes son auditoire, au point que le chevalier Casal écrivit au pape Paul III: « L'évesque de Mascon a fait l'oraison funébre du roi fort doctement et bien à propos, sauf qu'il n'a pas été bien escouté à cause de la grand plainte et pleurs émeus par les paroles mêmes dudit évesque. (Dict., article Castellan, remarque I.)

contre la régularité hebdomadaire de l'émotion et l'oubli du principe qu'un sermon, à force d'être lugubre, ne devient pas en proportion plus édifiant et plus salutaire.

Le dernier défaut facile à éviter, que je signalerai, est celui des compliments adressés à l'auditoire du haut de la chaire.

Dans l'Église catholique, on sait que ce n'est point à l'auditoire, mais aux grands du monde qui s'y rencontrent que les compliments s'adressent; le talent de les offrir fait une partie essentielle des livres sur l'art oratoire écrits pour ses prédicateurs '. Le cardinal Maury ne craint pas de dire: « L'usage établi ne permet plus aux ministres de l'Évangile d'annoncer la parole sainte en présence

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Essai, etc., tome I, § 34. Principes sur la prédication, par l'abbé Vêtu, tome I, p. 253.

Quoi! saint Paul à Festus fit-il un compliment?

Crut-il devant les grands devoir changer de style?
A-t-il loué Félix? a-t-il flatté Drusille?

(De Villiers, Art de prêcher, chant Iv.)

Et cependant, on trouve dans les recueils catholiques toute une partie consacrée à des modèles de compliments. C'est ainsi que s'ouvrent les Fragments choisis d'éloquence, 2 vol. in-12, Avignon, 1755. Le chap. 1, de 24 pages, n'est composé que de << compliments. >>

Mais il est juste de dire que cet usage a été sévèrement blåmé par divers auteurs catholiques et notamment par le Père Gaichiès (Maximes sur le ministère de la chaire, p. 137).

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>> des maîtres du monde, sans brûler devant eux

>>

quelques grains d'encens. » Notre Église croit qu'il est impossible d'oublier plus irréligieusement que dans le temple de Dieu on est en présence du véritable et unique maître du monde, et que devant lui, à l'entour de la chaire chrétienne, tous les chrétiens sont égaux. Mais, quelquefois, on se laisse aller à adresser aux fidèles des paroles de bienveillance et d'affection trop directes, trop aimables, qui ont un faux air de compliment. C'est là une faiblesse dont tout prédicateur doit se garder et une ressource dont aucun n'a besoin. Les adulations oratoires sont au-dessous de la dignité de l'orateur sacré; il n'a pas de bienveillance à capter; il doit être charitable, non obséquieux, et des flatteries ne sont pas l'expression de la charité chrétienne; entre son auditoire et lui, le respect s'échange, et la prédication ne sera ni évangélique ni éloquente, si elle n'est pas indépendante; comme la religion, elle ne fait jamais acception des personnes.

ΧΙ

DE LA HARDIESSE DANS LA PRÉDICATION.

Ces réserves, ces restrictions, ces règles de pru-dence dépasseraient le but, si elles ne laissaient à la prédication une hardiesse nécessaire. Á mon sens, la prédication moderne pèche bien plus par la timidité que par la hardiesse; elle n'est pas toujours assez courageuse, assez franche, assez directe; elle l'est moins que celle de nos prédécesseurs 1; elle n'attaque pas d'assez près et de front les vices favoris du jour; elle n'entre pas en lutte assez intime avec le siècle; si elle doit être actuelle et s'occuper du temps présent, comme j'espère le montrer, n'est-ce

1

C'est le reproche que Tacite adressait aux orateurs de son temps: « Nous avons plus dégénéré, » dit Maternus à Messala, << de l'antique liberté de nos prédécesseurs que de leur élo» quence.» (Dialogue sur les orateurs, xxvi).

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