2 Si je veux d'un galant dépeindre la figure, Et, maudissant vingt fois le démon qui m'inspire, Je trouverais bientôt à nulle autre seconde; Si je voulais vanter un objet non pareil, Je mettrais à l'instant plus beau que le soleil ; Enfin, parlant toujours d'astres et de merveilles, De chefs-d'œuvre des cieux, de beautés sans pareilles, 1. Ménage était quelque peu dameret, Boileau lui avait d'abord donné la préférence. Si je pense parler d'un galant de notre âge, Ma plume pour rimer rencontrera Ménage. 2. Quinault n'avait fait alors que des tragédies tombées dans l'oubli. Il fut de l'Académie française en 1670; il mourut en 1688. Ses opéras ont eu beaucoup de succès, et présentent quelques bons vers. 3. Horace fait le même serment, et avoue le même parjure (livre II, épître 1, ▼. 3): Ipse ego qui nullos me affirmo scribere versus, Et moi-même, quand j'affirme que je ne fais point de vers, je me trouve être plus menteur que les Parthes, » 4. Ce mouvement rappelle le passage de la quinzième satire de Régnier, v. 19, et suivants : Encor si le transport dont mon âme est saisie Ou qu'il fist choix des jours des hommes et du temps. 5. Dans sa comédie des Académistes, Saint-Évremond a mis Chapelain en scène; i nous le représente qui travaille à des vers avec un soin ridicule et peu de géaie. On y trouve toutes les épithètes banales dont Boileau se moque ici. Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard, Maudit soit le premier dont la verve insensée Mais depuis le moment que cette frénésie Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume 1. Boileau a dit dans son Art poétique : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. 2. Et le jour à rien faire. La Fontaine dit dans son épitaphe : l'une à dormir et l'autre à ne rien faire. Voltaire (vie discours, vers 155): Et formé pour agir se plaisait à rien faire. l'usage a donné à rien l'idée d'une négation: De pas mis avec rien tu fais la récidive Et c'est, comine on t'a dit, trop d'une négative Peut tous les mois sans peine enfanter un volume!1 Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire, Toi donc, qui vois les maux où ma Muse s'abîme, 4 1. Balzac avait dit avant Boileau: O bienheureux écrivains, M. de Saumaise en latin et M. de Scudéri en françois, j'admire votre facilité et j'admire votre abondance. Vous pouvez écrire plus de calepins que moi d'almanachs.» (Lettre x11, livre XXIII, cité par Brossette.) Se rappeler ici le sens primitif de Calepin; voir sur ce mot, p. 21, note 8. 2. Bienheureux sont ces écrivains qui se contentent si facilement ;... qui, sans choisir, écrivent tout ce qu'ils savent, qui ne travaillent que de la mémoire et des doigts. Balzac. Lettre x1, liv. XXIII. 3. D Voilà, s'écria Moliere en entendant ce vers la plus belle vérité que vous ayez jamais dite; je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez; mais tel que je suis, je n'ai rien fait en ma vie, dont je sois véritablement content. >> Ridentur mala qui componunt carmina Verum HORACE. Épit. II, 11, v. 105. 4. On peut rapprocher de cette satire la pièce de Sainte-Beuve sur la rime: SATIRE III. (1665) LE REPAS RIDICULE1. Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère ? D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère, Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier 3 1. Récit d'un festin donné par un hôte d'un goût extravagant qui se pique néanmoins de raffiner sur la bonne chère. Horace, liv. II, sat. vIII, et Régnier (sat. x) ont traité un sujet semblable. BROSSETTE. Imité de la neuvième satire de Juvénal: 2 A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier ? 1 - Ah! de grâce, un moment souffrez que je respire. « Ah! monsieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain. 1. Le roi avait, en 1654, supprimé un quartier des rentes de l'hôtel-de-ville. On fit alors cette épigramme: De nos rentes pour nos péchés Nous n'aurons qu'à changer de lieu: Et nous irons à l'hôtel-Dieu. C'était la banqueroute d'un trimestre de revenu. 2. Bisque, potage fait avec un coulis d'écrevisses. 3. Ces rubis viennent de Régnier et du nez authentique de son pédant. Où maints ru bis balais, tout rougissant de vin, 4. Boucingo, illustre marchand de vin. Boileau. 5. Jacques de Souvré, commandeur de S. Jean de Latran et ensuite grand prieur de France, aimait la bonne chère, et tenait ordinairement une table somptueuse à laquelle s'asseyaient souvent M. du Broussin et M. de Villandri. Les repas du commandeur étaient renommés en ce temps-là, et Saint-Évremond en fait mention dans sa conversation avec le duc de Candale. Villandri, homme de qualité, qui allait fréquemment chez le commandeur de Souvré. BOILEAU. 6. Dans ce vers, l'adverbe y veut dire chez moi. Le sens est clair. Grammati calement, il se rapporterait à chez le commandeur. C'est un accord (ou syllepse) de pensée. Le Tartufe en ce temps-là avait été défendu et tout le monde voulait avoir Molière pour le lui entendre réciter. BOILEAU. La défense dura jusqu'en 1669. Molière allait alors dans le monde lire son chef-d'œuvre, qui ne put se produire au théâtre qu'en 1669. Il l'avait achevé en 1664. Joué cette année même à la cour, il eut, en 1667, une seule représentation et resta suspendu jusqu'à nouvel ordre. |