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Lut l'Iliade et l'Odyssée,

Chacune à les louer se montrant empressée,
Apprenez un secret qu'ignore l'univers,
Leur dit alors le dieu des vers :

'Jadis avec Homère, aux rives du Permesse,
Dans ce bois de lauriers où seul il me suivait,
Je les fis toutes deux plein d'une douce ivresse :
Je chantais, Homère écrivait.

de 1713.

Cette épigramme a son histoire. Le 4 mars 1703, Boileau l'envoie à Brossette et lui dit : « J'ai été obligé d'étendre ainsi la chose, parce qu'autrement elle ne serait pas amenée. Charpentier l'a exprimée en ces termes :

Quand Apollon vit le volume

Qui sous le nom d'Homère enchantait l'univers,
Je me souviens, dit-il, que j'ai dicté ces vers,
Et qu'Homere tenait la plume.

Cela est assez concis et assez bien tourné; mais, à mon sens, le volume est un mot fort bas en cet endroit, et je n'aime point ce mot de palais tenait la plume. » Le 4 avril, Brossette écrit à ce sujet : « La paraphrase que vous avez faite du vers de l'Anthologie sur l'Iliade et sur l'Odyssée a toute la dignité et la grandeur qui lui convient je chantais.. Homère écrivait... la brièveté et la noblesse de cette expression récompense bien ce que le reste a de prolixe. » A quoi Despréaux répond un peu piqué, 8 avril 1703 : « Je ne mérite pas les louanges que vous me donnez au sujet du vers de l'Anthologie. Permettez-moi pourtant de vous dire que vous vous abusez un peu quand vous croyez que j'aie fait ni voulu faire une paraphrase de ce vers, qui est même plus court dans ma copie que dans l'original, puisque j'en ai retranché l'épithète oisive de ocios et que j'ai dit simplement Homère, et non point le divin Homère. La vérité est que j'y ai joint une petite narration assez vive, sans quoi la pensée n'est point dans son jour. Que si cette narration. vous paraissait prolixe, il serait aisé d'y donner reinède, puisqu'il n'y aurait qu'à mettre à la place de la narration les paroles qu'on y trouve en prose dans le recueil de l'Anthologie au-dessus du vers; les voici : Paroles que disait Apollon à propos des ouvrages d'Homère : je chantais.. » Le 15 mai 1703, Brossette convient qu'il a eu tort de confondre la petite narration avec le vers de l'Anthologie: je chantais, Homère écrivait... qui fait, pour ainsi dire, le corps de l'épigramme, tandis que les vers précédents n'en sont que le préambule, ou l'introduction qui prépare la pensée. Toutefois il se permet de charpenter l'épigramme de Boileau, c'est-à-dire de mêler les vers de Boileau et ceux de M. Charpentier de cette manière :

Apollon voyant les ouvrages

Qui sous le nom d'Homère enchantaient l'univers,
C'est moi, dit-il, qui lui dictai ces vers,

J'étais sous ces sacrés ombrages,

Dans ce bois de lauriers, où seul il me suivait;
Je chantais, Homère écrivait.

(Lettre du 14 juin 1703.)

Boileau n'y tient plus; il n'approuve pas la correction de l'épigramme : « Et avec qui, bon Dieu! y associez-vous mon style? Avec le style de Charpentier : jungentur jam tigres equis. Est-il possible que vous n'ayez pas vu que le sens de l'épigramme est que c'est Apollon, c'est-à-dire le génie seul, qui, dans une espèce d'enthousiasme et d'ivresse, a produit l'Iliade et l'Odyssée; que c'est lui qui les a faits et non pas seulement dictés, et que, lorsque Homère les écrivait, à peine Apollon savait qu'Homère était là ?... D'ailleurs, quel air dans l'épigramme, de la manière dont vous la tournez, donnez-vous à Apollon, qui est supposé lisant ces ouvrages dans son cabinet et se disant à lui-même : C'est mos qui ai dicté ces vers, etc. » (Lettre du 3 juillet 1703.) Boivin avait traduit en grec cette épigramme de Boileau (voir la lettre du 2 d'août 1703).

-

XXX

SUR LE COMTE DE GRAMMONT (1705) •

Fait d'un plus pur limon, Grammont à son printemps
N'a point vu succéder l'hiver de la vieillesse;
La cour le voit encor, brillant, plein de noblesse,
Dire les plus fins mots du temps,

Effacer ses rivaux auprès d'une maîtresse ;
Sa course n'est au fond qu'une longue jeunesse,
Qu'il a déjà poussée à deux fois quarante ans.

FRAGMENTS DU

XXXI

2

CHAPELAIN DÉCOIFFÉ

En cet affront, La Serre est le tondeur,
Et le tondu père de la Pucelle...

Mille et mille papiers dont la table est couverte
Semblent porter écrit le destin de ma perte.

1. Voir Saint-Simon sur le comte de Grammont; les pages de cet annaliste sont plus véridiques que ce portrait de Despréaux.

2. Philibert, d'abord chevalier, puis comte de Grammont, que les Mémoires de Grammont, d'Hamilton, son beau-frère, ont rendu célèbre, naquit en 1621 et mourut le 10 de janvier 1707.

3. Ce sont les seuls vers de cette parodie que Boileau ait faits (voir une lettre à Brossette du 10 de décembre 1701).

« A l'égard du Chapelain décoiffé, c'est une pièce où je vous confesse que M. Racine et moi avons eu quelque part; mais nous n'y avons jamais travaillé qu'à table, le verre à la main... Je n'y ai reconnu de moi que ce trait :

et celui-ci :

Mille et mille papiers, etc.;

En cet affront La Serre...

Celui qui avait le plus de part à cette pièce, c'était Furetière, et c'est de lui:

O perruque, ma mie! etc.

Voilà, monsieur, toutes les lumières que je vous puis donner sur cet ouvrage, qui n'est ni de moi ni digne de moi. Je vous prie donc bien de détromper ceux qui me l'attribuent. »

ÉPIGRAMMES

I

A CLIMÈNE (1660) 1

Tout me fail peine,

Et depuis un jour
Je crois, Climène,
Que j'ai de l'amour.

Cette nouvelle

Vous met en courroux :

Tout beau, cruelle,

Ce n'est pas pour vous.

II

SUR UN FRÈRE AINÉ QUE J'AVAIS, ET
J'ÉTAIS BROUILLÉ (1669) ·

De mon frère, il est vrai, les écrits sont vantés;
Il a cent belles qualités;

Mais il n'a point pour moi d'affection sincère.
En lui je trouve un excellent auteur,
Un poète agréable, un très bon orateur :

Mais je n'y trouve point de frère.

AVEC QUL

1. « A l'égard de l'épigramme à Climène, c'est un ouvrage de ma première jeunesse, et un caprice imaginé pour dire quelque chose de nouveau. » (Lettre à Brossette, 15 juillet 1702). On peut remarquer quelque analogie entre cette épigramme et la fable de La Fontaine, Tircis et Amarante, liv. VIII, fable xIII.

2. Il s'agit de Gilles Boileau, frère aîné de Despréaux, avocat au parlement de Paris, payeur des rentes de l'hôtel de ville et ensuite controleur de l'argenterie du roi. Il naquit à Paris le 10 d'octobre 1631 et mourut le 10 de mars 1669. Gilles Boileau, qui cultiva surtout les lettres, était de l'Académie française. Il y eut souvent entre les deux frères des querelles littéraires qui les brouillaient. pour quelque temps; Linière fit, à ce sujet, l'épigramme suivante :

Veut-on savoir pour quelle affaire
Boileau le rentier aujourd'hui

En veut à Despréaux son frère ?

Qu'est-ce que Despréaux a fait pour lui déplaire?

Il a fait des vers mieux que lui.

(M. CHERON.)

III

CONTRE SAINT-SORLAIN (1670) 1

Dans le palais hier Bilain
Voulait gager contre Ménage
Qu'il était faux que Saint-Sorlain
Contre Arnauld eût fait un ouvrage.
Il en a fait, j'en sais le temps,
Dit un des plus fameux libraires,
Attendez... C'est depuis vingt ans;
On en tira cent exemplaires.

C'est beaucoup, dis-je en m'approchant:
La pièce n'est pas si publique.
Il faut compter, dit le marchand,
Tout est encor dans ma boutique.

IV

SUR LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION
DE L'AGESILAS

DE M. DE CORNEILLE, QUE J'AVAIS VUE (1CCC)

J'ai vu l'Agésilas
Ilélas !

V

SUR LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE L'ATTILA

(1667) 3

Après l'Agésilas,
Hélas!

1. De 1683 à 1713, ce nom est écrit de la sorte: S.-Sorlin. Boileau altaque aussi le même auteur dans le chant III de l'Art poétique, vers 310. Brossette prétend que cette épigramme avait été faite d'abord contre Gilles Boileau et commençait ainsi :

Hier un certain personnage
Au palais voulait nier
Qu'autrefois Boileau le rentier
Sur Costar eût fait un ouvrage.
Il en a fait...

2. Agesilas fut représenté à l'hôtel de Bourgogne à la fin d'avril 1666. « Agésilas n'est guère connu dans le monde que par le mot de Despréaux. !! eut tort sans doute de faire imprimer dans ses ouvrages ce mot qui n'en valait pas la peine, mais il n'eut pas tort de le dire. La tragédie d'Agesilas est un des plus faibles ouvrages de Corneille. Le public commençait à se dégoûter.» (Préface de Voltaire sur Agesilas.)

3. Attila fut joué par la troupe de Molière, au Palais-Royal, le 4 de mars 1667.

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A UN MÉDECIN (1674)

Oui, j'ai dit dans mes vers qu'un célèbre assassin,
Laissant de Galien la science infertile,
D'ignorant médecin devint maçon habile:
Mais de parler de vous je n'eus jamais dessein,
Lubin, ma muse est trop correcte :

Vous êtes, je l'avoue, ignorant médecin,

Mais non pas habile architecte. "

Attila parut malheureusement la même année qu'Andromaque. La comparaison ne contribua pas à faire remonter Corneille à ce haut point de gloire où il s'était élevé; il baissait et Racine s'élevait; c'était alors le temps de la retraite; il devait prendre ce parti honorable. La plaisanterie de Despréaux devait l'avertir de ne plus travailler, ou de travailler avec plus de soin. (VOLTAIRE, Remarques sur Attila)

1. Desmarets de Saint-Sorlin avait entrepris une critique générale des œuvres de Despréaux (c'était la Défense du poème héroïque), il la fit paraître en 1674. 2. Boileau l'appelle prophète parce que dans ses Délices de l'esprit, part. III, p. 2, il disait fort sérieusement que Dieu, par sa bonté infinie, lui avait envoyé la clef du trésor de l'Apocalypse. Dans son Avis au Saint-Esprit, il assurait que Dieu l'avait destiné à faire une réformation générale du genre humain, et que, pour cet effet, il levait une armée de trois cent quarante mille victimes dévouées à tout faire et à tout souffrir, selon ses ordres.

3. Il avait écrit contre les religieuses de Port-Royal.

4. Poème de Desmarets ennuyeux à la mort. (BOILEAU, 1713.)

5. Il s'agit de Claude Perrault. Voyez Art poétique, chant IV.

6. Boileau préférait cette épigramme à toutes les suivantes. (BROSSETTE.)

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