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Grands défenseurs de l'Espagne,
Montrez-vous, il en est temps.
Courage! vers la Méhagne,1
Voilà vos drapeaux flottants.
Jamais ses ondes craintives
N'ont vu sur leurs faibles rives
Tant de guerriers s'amasser.
Courez donc; qui vous retarde?
Tout l'univers vous regarde :
N'osez-vous la traverser?

Loin de fermer le passage
A vos nombreux bataillons,
Luxembourg a du rivage
Reculé ses pavillons.

2

Quoi! leur seul aspect vous glace!
Où sont ces chefs pleins d'audace,
Jadis si prompts à marcher,
Qui devaient, de la Tamise
Et de la Drave3 soumise,
Jusqu'à Paris nous chercher

Cependant l'effroi redouble
Sur les remparts de Namur:
Son gouverneur, qui se trouble,
S'enfuit sous son dernier mur.
Déjà jusques à ses portes
Je vois monter nos cohortes
La flamme et le fer en main;

Et sur les monceaux de piques,

1. Rivière près de Namur. (BOILEAU, 1713.)

Boileau a remanié ces trois stances. Dans sa lettre du 6 juin 1693, il parle ainsi de son premier jet : « Trouvez bon que je vous prie encore ici de ne rien montrer à personne du fragment informe que je vous ai envoyé, et qui est tout plein des négligences d'un ouvrage qui n'est pas encore digéré. Le mot de voir y est répété jusqu'au dégoût. La stance, Grands défenseurs de l'Espagne, etc., rebat celle qui dit : Approchez, troupes altières, etc. Celle sur la plume blanche du roi est un peu encore en maillot, et je ne sais pas si je la laisserai avec Mars et sa sœur la Victoire. J'ai déjà retouché à tout cela, mais je ne veux pas l'achever que je n'aie reçu vos remarques... »

2. Dans sa lettre du 6 de juin 1693, Boileau dit à Racine: «< Mandez-moi vous croyez que je doive parler de M. de Luxembourg. Vous n'ignorez pas combien notre maître est chatouilleux sur les gens qu'on associe à ses louanges: cependant j'ai suivi mon inclination. »>

3. Rivère qui passe à Belgrade en Hongrie. (BOILEAU, 1713.) Où le duc de Bavière, l'un des chefs ennemis, s'était signalé contre les Turcs. (BROSSETTE.)

4. M. de Vimbergue, vieillard de quatre-vingts ans.

De corps morts, de rocs, de briques,
S'ouvrir un large chemin,

C'en est fait. Je viens d'entendre
Sur ces rochers éperdus

Battre un signal pour se rendre.
Le feu cesse : ils sont rendus.
Dépouillez votre arrogance,
Fiers ennemis de la France;
Et, désormais gracieux, 1
Allez à Liége, à Bruxelles,
Porter les humbles nouvelles
De Namur pris à vos yeux.

Pour moi, que Phébus anime
De ses transports les plus doux,
Rempli de ce dieu sublime,
Je vais, plus hardi que vous,
Montrer que, sur le Parnasse,
Des bois fréquentés d'Horace
Ma muse dans son déclin
Sait encor les avenues,

1. " Boileau, dans son ode sur Namur, semble l'avoir employé (le mot gracieux) d'une manière impropre, pour signifier moins fier, abaissé, modeste.» (VOLTAIRE, Dict. philos., au mot Gracieux.) -Boileau emploie ce mot dans le sens de doux, courtois et civil. Voi ce qu'en pensait Vaugelas : « Ce mot ne me semble pas bon, quelque signification qu'on luy donne; la plus commune et la meilleure est de signifier doux, courtois, civil, et de fait, quand on dit gracieux, on le met d'ordinaire après doux: doux et gracieux, courtois et gracieux, et en cette compagnie il passe plus aisément. Un de nos plus célèbres écrivains a dit ils lui avaient apporté des réponses les plus gracieuses du monde, pour dire les plus honnestes, les plus civiles. Je ne voudrais pas m'en servir. Il y a de certaines provinces où l'on s'en sert pour dire qu'une personne a bonne grâce à faire quelque chose: Il est gracieux, disent-ils, quand il fait ce conte-là. Mais il ne vaut rien du tout et ce n'est point parler français. On dit bien malgracieux, comme vous estes bien malgracieux, qui est opposé au premier et au vray sens de gracieux, et qui veut dire rude, mais il est bas, et je ne le voudrais pas écrire dans le style noble. » Ménage est d'avis contraire: Monsieur de Vaugelas a condamné ce mot en toutes ses significations, il est tres bon; et MM. de la Motte le Vayer et Dupleix ont raison de blåmer en cela M. de Vaugelas. Tous nos bons auteurs s'en sont servis, et en prose et en vers: Malherbe, dans son ode à M. de Bellegarde :

Donne m'en d'un clin de tes yeux

Un témoignage gracieux;

le père Bouhours dans son entretien du Bel-Esprit : Je ne say quel air tendre et gracieux, qui charme les connaisseurs. J'ay dit aussi dans mon Eglogue pour la reine de Suede :

Pour moi de qui le chant n'a rien de gracieux. »>

(Obesrvations sur la langue française, p. 226.)

Et des sources inconnues

A l'auteur du Saint-Paulin.1

ODE

SUR UN BRUIT QUI COURUT, EN 1656, QUE CROMWELL ET LES ANGLAIS

ALLAIENT FAIRE LA GUERRE A LA FRANCE 2

Quoi! ce peuple aveugle en son crime,

Qui, prenant son roi3 pour victime,

Fit du trône un théâtre affreux,
Pense-t-il que le ciel, complice
D'un si funeste sacrifice,

N'a pour lui ni foudres ni feux?

1. Poème héroïque de M. P*** (Perrault). (BOILEAU, 1713.)

« C'est un labeur, dit Perrault, que de remarquer toutes les négligences de cette dernière stance. Phebus y est un peu Phebus. De ses transports les plus doux, comment cela s'accorde-t-il avec la sainte ivresse qui lui fait la ior, et avec ce qu'il a promis dans l'Avis aux lecteurs, où il dit qu'il va paraitre plutôt entraîné par le démon de la poésie que guidé par la raison ?... Y a t-il de la hardiesse à montrer qu'on sait un chemin ? Comme il est sur la fin de son ode, il devait dire qu'il a montré qu'il savait un chemin, et non pas qu'il le sait. Mais supposé qu'il y ait de la hardiesse à savoir des routes et des sources inconnues. peut-on ajouter que cette hardiesse est plus grande que celle des dix mille Alcides, qui ont défendu Namur avec tant de vigueur? Pour ce qui est du trait de satire contre l'auteur du Saint-Paulin, il a été désapprouvé de tout le monde... On sait qu'en ces sortes d'ouvrages, il faut qu'après que la lecture en est finie, on demeure dans une douce et agréable rèverie, que cause la grandeur des choses qu'on a lues: et ici on est invité à rire mal à propos par une plaisanterie hors de sa place. »

L'Ode sur la prise de Namur a été traduite en latin par Rollin, par Pierre Lenglet et par l'abbé de Saint-Rémi. De toutes les œuvres de Boileau, c'est certainement celle qui a été le plus critiquée.

Voltaire, dans le Temple du goût, suppose que Boileau revoit ses ouvrages,

Et rit des traits manqués du pinceau faible et dur
Dont il défigura le vainqueur de Namur.

Quarante ans après, dans l'Épître à Boileau ou Mon Testament, il répète

encore:

On admira dans toi jusqu'au style un peu dur,
Dont tu défiguras le vainqueur de Namur.

2. Je n'avais que dix-huit ans (il en avait dix-neuf ou vingt) quand je fis cette ode, mais je l'ai raccommodée. (BOILEAU, 1713.) Cette ode a paru pour

la première fois dans le troisième volume de : Recueil de poésies chrétiennes et diverses..., par M. de La Fontaine, 1671, avec ce titre : A la France, durant les derniers troubles de l'Angleterre.

3. Charles [er,

Déjà sa flotte à pleines voiles,
Malgré les vents et les étoiles,
Veut maîtriser tout l'univers; '
Et croit que l'Europe étonnée
A son audace forcenée

Va céder l'empire des mers.

Arme-toi, France; prends la foudre;
C'est à toi de réduire en poudre
Ces sanglants ennemis des lois.
Suis la Victoire qui t'appelle,
Et va sur ce peuple rebelle
Venger la querelle des rois. 2

Jadis on vit ces parricides,
Aidés de nos soldats perfides,
Chez nous, au comble de l'orgueil,
Briser tes plus fortes murailles,
Et par le gain de vingt batailles
Mettre tous les peuples en deuil."

Mais bientôt le ciel en colère,

Par la main d'une humble bergère
Renversant tous leurs bataillons,

1. Pascal disait : « Cromwell allait ravager toute la chrétienté : la famille royale était perdue et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même allait trembler sous lui; mais ce petit gravier s'étant mis là, il est mort, sa famille abaissée, tout en paix, et le roi rétabli. » Ou ne voit pas, dit M. Havet, que Cromwell ait eu de tels projets, ni contre la chrétienté, ni contre Rome. Mais on craignait tout de cet hérétique, de ce chef d'une république établie par le meurtre d'un roi.

2.

Vengeait de tous les rois la querelle commune.

(RACINE, Mithridate, acte I, scène 1.)

Et venger avec moi la querelle des rois.

(VOLTAIRE, Henriade, ch. I, v. 360.)

3. Dans le Recueil de 1671, après la première stance,

O que la mer dans les deux mondes

Va voir de morts parmi ses ondes
Flotter à la merci du sort!

Déjà Neptune, plein de joie,
Regarde en foule à cette proie
Courir les baleines du Nord.

y a celle-ci :

Dans le Recueil de 1671, les quatre derniers vers sont ainsi :

De sang inonder nos guérets,
Faire des déserts de nos villes.
Et dans nos campagnes fertiles
Brûler jusqu'au jonc des marais.

4. La Pucelle d'Orléans,

Borna leurs succès et nos peines; 1

1

Et leurs corps, pourris dans nos plaines,
N'ont fait qu'engraisser nos sillons.

POÉSIES DIVERSES 2

CHANSON A BOIRE,

QUE JE FIS AU SORTIR DE MON COURS DE PHILOSOPHIE, A L'AGE DE DIX-SEPT ANS (1653).

Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir,
Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir :
Vos esprits s'en font trop accroire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boirc.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien. 3

S'il faut rire ou chanter au milieu d'un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin:

Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous," etc.

1. Dans le Recueil de 1671 :

Mais bientôt, malgré leurs furies,
Dans ces campagnes refleuries,
Leur sang coulant à gros bouillons
Paya l'usure de nos peines.

2. Nous comprenons sous ce titre toutes les pièces autres que les épigram mes. (B.-S.-P.) C'est l'ordre que Daunou a suivi en tâchant de faire le classement des pièces d'après leurs dates.

3. Un autre chansonnier a dit depuis:

A quoi sert d'apprendre l'histoire ?

N'est-ce pas la même partout?
Apprenons seulement à boire,

Quand on sait bien boire on sait tout.

4. Ce second couplet a été omis dans plus de trente éditions de 1716 à 1824. (B.-S.-P.)

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