Il vous comble partout d'éloges fastueux : Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible," Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable A les protéger tous se croit intéressé, Et d'abord prend en main le droit de l'offensé. Ah! monsieur, pour ceers je vous demande grâce, Je le retrancherais. Ce tour ne me plaît pas. Tout le monde l'admire. Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, 1. 2. Ut qui conducti plorant in funere dicunt Et faciunt prope plura dolentibus ex animo, sic (HORACE, Art poétique, v. 431-433.) Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes, (HORACE, Art poétique, v. 445-449.) Audebit quæcumque parum splendoris habebunt, Lævabit cultu, virtute carentia tollet. (HORACE, liv. II, ép. 11, v. 111-125.) 3. Voir la scène du sonnet dans le Misanthrope, acte 1,scène 11: Et comme votre esprit a de grandes lumières, Je viens pour commencer entre nous ce beau nœud, Et s'avoir s'il est bon qu'au public je l'expose. TAYLOR 1 Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique, CHANT II Teile qu'une bergère, 2 au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête, Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants, Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements : ORONTE. C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte, Et verum, inquis, amo; verum mihi dicite de me. Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre, Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. (LA FONTAINE, liv. II, fable xiv, le Lièvre et les Grenouilles.) 2. Le Journal des Savants, février 1723, a cru découvrir dans ce vers une faute considérable de langue en ce que la phrase n'est susceptible d'aucune construction... telle qu'une bergère, c'est comme si l'on disait... telle qu'est une bergère; il s'ensuit que pour rendre la phrase correcte, il faut que le substantif soit suivi de qui. Quand on ne pourrait pas répondre avec la grammaire qu'après tel que, la proposition se construit d'une manière pleine et séparée; puis on répète tel devant une autre proposition également complète (Gram. franç. de P.-A. Lemaire, p. 193), on voit par l'usage constant de nos poètes que cette construction est autorisée par une double ellipse. Mal. herbe a dit : Tel qu'à vagues épandues, Marche un fleuve impétueux, Doit éclater sans pompe une élégante idylle.' Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète, L'é 1. Idylle (en grec auto, petit tableau, diminutif d'eidos), petit poème dont le sujet est ordinairement pastoral ou relatif à des objets champètres. glogue, ouvrage de poésie pastorale où l'on introduit des bergers qui conversent ensemble. Il n'y a aucune différence fondamentale entre les églogues et les idylles. Toutefois, si l'on veut accepter la légère distinction que l'usage semble avoir établie, l'églogue veut plus d'action et de mouvement: les égiogues de Virgile. L'idylle peut ne contenir que des peintures, des sentiments, des comparaisons champêtres; Mmo Deshoulieres a fait de jolies idylles. » (E. LITTRE, Dict. de la langue française.) 2. Desmarets, Pradon, Saint-Marc, Condillac ont relevé dans ce morceau si orné, si délicat et si fin, toutes sortes de fautes de sens et de goût: on ne partage pas leur sentiment. Ce passage reste digne de toutes sortes d'éloges, et Marmontel a été bien inspiré quand il a dit : « Lorsque Despréaux a peint l'idylle comme une bergere en habit de fête, il l'a parfaitement définie telle que nous la concevons; une simplicité élégante en fait le mérite: elle ne mêle point les diamants à sa parure; mais elle a un chapeau de fleurs.» (Elém. de litt.) Un quatrain de l'ode burlesque de Scarron, Héro et Léandre, a pu fournir à Boileau l'image qui donne tant de charme à ces vers: Avec l'émail de nos prairies, « Si on ajoute à ce rapprochement ces vers de Segrais Telle que se fait voir, de fleurs couvrant sa tête, Une blonde bergère, un beau jour d'une fête, on aura une juste idée de l'art de Boileau dans l'imitation qu'il sait rendre originale. (GERUZEZ, Euvres poétiques de Boileau.) 3. A l'exception de Racan et de Segrais, chez qui l'on trouve quelques vers élégants empreints d'une poésie champêtre, tous les écrivains du xviie siècle ont échoué dans ce genre. Il faut se souvenir de ces vers de Racan pour justifier Boileau des éloges qu'il lui donne le poète parle de l'homme qui vit dans la retraite : Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille; Il ne faut pas non plus oublier les vers suivants de Ménage pour comprendre la justesse de cette critique. Le poète dans son églogue adressée à Christine, reine de Suede, fait dire à Ménalque : Un jour qui n'est pas loin ses superbes armées A l'aspect lumineux de cet astre naissant. Mais sache encor, Daphnis, que sa main adorable, Au milieu de la guerre et dans les champs de Mars, De peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux; Entre ces deux excès la route est difficile." Son esprit grand et vaste embrasse toute chose, 1. Ronsard, dans ses églogues, appelle Henri 11, Henriot; Charles IX, Carlin; Catherine de Médicis, Catin; etc. Il emploie aussi les noms de Margot, Pierrot, Michau, et autres semblables. (BROSSETTE.) Là n'est pas le plus grand mal, tous ces noms diminutifs n'avaient rien de bas et d'indécent; mais ces personnages n'ont rien de naïf et de champêtre, leurs conversations sont bien éloignées du ton pastoral. Margot et Catin y célèbrent la science profonde de Turnébe et de Vatable. Du reste, Vauquelin de la Fresnaye n'approuvait pas l'emploi de ces noms. Il dit dans l'avertissement de ses Idillies et Pastoralles que « les noms de Guillot, de Pierrot, Mario, au lieu de Tyrsis, Tityre, Lycoris, ne contentent pas assez son opinion. » 2. Si l'on en croit le Boloana, Despréaux disait que l'églogue était un genre de poésie où notre langue ne pouvait réussir qu'à demi, que presque tous nos auteurs avaient échoué et n'avaient pas seulement frappé à la porte de l'églogue; qu'on était fort heureux quand on pouvait attraper quelque chose de ce style comme Racan et Segrais. Notre temps, plus favorisé que celui de Boileau et que le xvIIe siècle, a vu chez nous un poète pastoral qui sut unir la vérité de Théocrite et l'élégance de Virgile au sentiment profond de la nature. Ces vers d'André Chénier me paraissent répondre aux vœux de Boileau : Mon visage est flétri des regards du soleil; Mon pied blanc sous la ronce est devenu vermeil ; Des bêlements lointains partout m'ont appelée : Et encore ceux-ci : Je sais quand le midi leur fait désirer l'ombre, 3. Théocrite naquit à Syracuse, vécut à la cour des rois d'Alexandrie et mourut vers 280 avant Jésus-Christ. Ses idylles resteront comme le modèle le plus parfait de ce genre de poésie. Virgile l'a beaucoup imité en donnant à son tour moins de naïveté et plus d'élégance. Molle atque facetum Vauquelin de la Fresnaye dit que Théocrite Mourant, sa musette à Corydon laissa Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés, Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.1 Au combat de la flûte animer deux bergers, D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, 3 La plaintive élégie, en longs habits de deuil, Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcéc Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines : Ils ne savent jamais que se charger de chaînes, Que bénir leur martyre, adorer leur prison, Et faire quereller les sens et la raison. 5 1. Vos exemplaria græca Nocturna versate manu, versate diurna. (HORACE, Art poétique, v. 268-269.) 2. Virgile, églogue iv, vers 3. (BOILEAU, 1713.) Voici le vers: Si canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ. 3. L'Elégie (theyiz, étym. hélas ! éyev, dire) fut d'abord un chant de tristesse et de deuil Versibus impariter junctis querimonia primum. que Boileau ait eu en vue ces vers d'Ovide sur la mort de Tibulle: Flebilis effusos, Elegeia, solve capillos; Ah! nimis ex vero nunc tibi nomen erit! Il semble 4. Ce fut Mimnerme, dit-on, qui lui fit chanter des amants la joie et la tristesse: Post etiam inclusa est voti sententia compos. C'est ainsi qu'elle se présente dans Ovide: Venit odoratos elegeia nexa capillos. On ne comprendra bien tout le mérite des vers de Boileau qu'en les rappro chant de ceux de Vauquelin de la Fresnaye sur le même sujet : Les vers que les Latins d'inégale jointure 5. Ces phrases vaines, ces amoureux qui s'affligent par art, ces martyres, ces |