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Il vous comble partout d'éloges fastueux :
La vérité n'a point cet air impétueux. 1

Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,"
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase.
Votre construction semble un peu s'obscurcir :
Ce terme est équivoque; il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.

Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable

A les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.

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Ah! monsieur, pour ceers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord. Ce mot me semble froid;
C'est le plus bel endroit !

Je le retrancherais.

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Ce tour ne me plaît pas. Tout le monde l'admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,

Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour pe point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique;

1.

2.

Ut qui conducti plorant in funere dicunt

Et faciunt prope plura dolentibus ex animo, sic
Derisor vero plus laudatore movetur.

(HORACE, Art poétique, v. 431-433.)

Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes,
Culpabit duros, incomptis allinet atrum
Transverso calamo signum, ambitiosa recidet
Ornamenta, parum claris lucem dare coget,
Arguet ambigue dictum, mutanda notabit.

(HORACE, Art poétique, v. 445-449.)

Audebit quæcumque parum splendoris habebunt,
Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,
Verba movere loco, quamvis invita recedant..
Luxuriantia compescet; nimis aspera sano

Lævabit cultu, virtute carentia tollet.

(HORACE, liv. II, ép. 11, v. 111-125.)

3. Voir la scène du sonnet dans le Misanthrope, acte 1,scène 11:

Et comme votre esprit a de grandes lumières,

Je viens pour commencer entre nous ce beau nœud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,

Et s'avoir s'il est bon qu'au public je l'expose.

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TAYLOR

1

Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique,
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piège adroit pour vous les réciter..
Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse :
Car souvent il en trouve : ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

CHANT II

Teile qu'une bergère, 2 au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements :
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,

ORONTE.

C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte,
Si, m'exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.

Et verum, inquis, amo; verum mihi dicite de me.
(PERSE, sat. I, v. 55.)

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,

Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

(LA FONTAINE, liv. II, fable xiv, le Lièvre et les Grenouilles.)

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2. Le Journal des Savants, février 1723, a cru découvrir dans ce vers une faute considérable de langue en ce que la phrase n'est susceptible d'aucune construction... telle qu'une bergère, c'est comme si l'on disait... telle qu'est une bergère; il s'ensuit que pour rendre la phrase correcte, il faut que le substantif soit suivi de qui. Quand on ne pourrait pas répondre avec la grammaire qu'après tel que, la proposition se construit d'une manière pleine et séparée; puis on répète tel devant une autre proposition également complète (Gram. franç. de P.-A. Lemaire, p. 193), on voit par l'usage constant de nos poètes que cette construction est autorisée par une double ellipse. Mal. herbe a dit :

Tel qu'à vagues épandues,

Marche un fleuve impétueux,
De qui les neiges fondues
Rendent le cours furieux, etc.
Tel, et plus épouvantable
S'en allait ce conquérant,
A son pouvoir indomptable
Sa colère mesurant.

Doit éclater sans pompe une élégante idylle.'
Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
„Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille. *
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois;

Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète,
Au milieu d'une églogue entonne la trompette. 3

L'é

1. Idylle (en grec auto, petit tableau, diminutif d'eidos), petit poème dont le sujet est ordinairement pastoral ou relatif à des objets champètres. glogue, ouvrage de poésie pastorale où l'on introduit des bergers qui conversent ensemble. Il n'y a aucune différence fondamentale entre les églogues et les idylles. Toutefois, si l'on veut accepter la légère distinction que l'usage semble avoir établie, l'églogue veut plus d'action et de mouvement: les égiogues de Virgile. L'idylle peut ne contenir que des peintures, des sentiments, des comparaisons champêtres; Mmo Deshoulieres a fait de jolies idylles. » (E. LITTRE, Dict. de la langue française.)

2. Desmarets, Pradon, Saint-Marc, Condillac ont relevé dans ce morceau si orné, si délicat et si fin, toutes sortes de fautes de sens et de goût: on ne partage pas leur sentiment. Ce passage reste digne de toutes sortes d'éloges, et Marmontel a été bien inspiré quand il a dit : « Lorsque Despréaux a peint l'idylle comme une bergere en habit de fête, il l'a parfaitement définie telle que nous la concevons; une simplicité élégante en fait le mérite: elle ne mêle point les diamants à sa parure; mais elle a un chapeau de fleurs.» (Elém. de litt.)

Un quatrain de l'ode burlesque de Scarron, Héro et Léandre, a pu fournir à Boileau l'image qui donne tant de charme à ces vers:

Avec l'émail de nos prairies,
Quand on le sait bien façonner,
On peut aussi bien couronner
Qu'avec l'or et les pierreries.

« Si on ajoute à ce rapprochement ces vers de Segrais

Telle que se fait voir, de fleurs couvrant sa tête,

Une blonde bergère, un beau jour d'une fête,

on aura une juste idée de l'art de Boileau dans l'imitation qu'il sait rendre originale. (GERUZEZ, Euvres poétiques de Boileau.)

3. A l'exception de Racan et de Segrais, chez qui l'on trouve quelques vers élégants empreints d'une poésie champêtre, tous les écrivains du xviie siècle ont échoué dans ce genre. Il faut se souvenir de ces vers de Racan pour justifier Boileau des éloges qu'il lui donne le poète parle de l'homme qui vit dans la retraite :

Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille;
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il ne faut pas non plus oublier les vers suivants de Ménage pour comprendre la justesse de cette critique. Le poète dans son églogue adressée à Christine, reine de Suede, fait dire à Ménalque :

Un jour qui n'est pas loin ses superbes armées
Joindront à ces lauriers les palmes idumées,
Et l'on verra périr l'infidèle croissant

A l'aspect lumineux de cet astre naissant.

Mais sache encor, Daphnis, que sa main adorable,
En adresse, en valeur, à nulle autre semblable,

Au milieu de la guerre et dans les champs de Mars,
Cultive les vertus et fait fleurir les arts.

De peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux;
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux
Au contraire cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement :
On dirait que Ronsard, sur ses «< pipeaux rustiques »,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon. 1

Entre ces deux excès la route est difficile."
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile :3

Son esprit grand et vaste embrasse toute chose,
Et l'histoire, et la fable, et les vers, et la prose.
Elle sait des métaux les nobles changements;
Des globes azurés les divers mouvements, etc.

1. Ronsard, dans ses églogues, appelle Henri 11, Henriot; Charles IX, Carlin; Catherine de Médicis, Catin; etc. Il emploie aussi les noms de Margot, Pierrot, Michau, et autres semblables. (BROSSETTE.) Là n'est pas le plus grand mal, tous ces noms diminutifs n'avaient rien de bas et d'indécent; mais ces personnages n'ont rien de naïf et de champêtre, leurs conversations sont bien éloignées du ton pastoral. Margot et Catin y célèbrent la science profonde de Turnébe et de Vatable. Du reste, Vauquelin de la Fresnaye n'approuvait pas l'emploi de ces noms. Il dit dans l'avertissement de ses Idillies et Pastoralles que « les noms de Guillot, de Pierrot, Mario, au lieu de Tyrsis, Tityre, Lycoris, ne contentent pas assez son opinion. »

2. Si l'on en croit le Boloana, Despréaux disait que l'églogue était un genre de poésie où notre langue ne pouvait réussir qu'à demi, que presque tous nos auteurs avaient échoué et n'avaient pas seulement frappé à la porte de l'églogue; qu'on était fort heureux quand on pouvait attraper quelque chose de ce style comme Racan et Segrais. Notre temps, plus favorisé que celui de Boileau et que le xvIIe siècle, a vu chez nous un poète pastoral qui sut unir la vérité de Théocrite et l'élégance de Virgile au sentiment profond de la nature. Ces vers d'André Chénier me paraissent répondre aux vœux de Boileau :

Mon visage est flétri des regards du soleil;

Mon pied blanc sous la ronce est devenu vermeil ;
J'ai suivi tout le jour le fond de la vallée;

Des bêlements lointains partout m'ont appelée :
J'ai couru, tu fuyais sans doute loin de noi:
C'était d'autres pasteurs. Dis-moi, fais-moi connaître
Où sont donc tes troupeaux, où tu 'les mènes paitre ?...
(Idyl. vII, Lydé.

Et encore ceux-ci :

Je sais quand le midi leur fait désirer l'ombre,
Entrer à pas muets sous le roc frais et sombre,
D'où, parmi le cresson et l'humide gravier,
La Naïde se fraie un oblique sentier.

3. Théocrite naquit à Syracuse, vécut à la cour des rois d'Alexandrie et mourut vers 280 avant Jésus-Christ. Ses idylles resteront comme le modèle le plus parfait de ce genre de poésie. Virgile l'a beaucoup imité en donnant à son tour moins de naïveté et plus d'élégance.

Molle atque facetum
Virgilio annuerunt gaudentes rure camœnæ.

Vauquelin de la Fresnaye dit que Théocrite

Mourant, sa musette à Corydon laissa
Corydon, Mantouan, qui depuis la haussa
D'un ton si haut qu'enfin les forêts chevelues
Des consules romains dignes furent rendues

Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,

Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.1
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers;

Au combat de la flûte animer deux bergers,
Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce ;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce;
Et par quel art encor l'églogue quelquefois
Rend dignes d'un consul la campagne et les bois. 2
Telle est de ce poème et la force et la grâce.

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,

3

La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amants la joie et la tristesse;"
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.

Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcéc
M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée;
Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis,
S'érigent, pour rimer, en amoureux transis.

Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines : Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,

Que bénir leur martyre, adorer leur prison,

Et faire quereller les sens et la raison. 5

1.

Vos exemplaria græca

Nocturna versate manu, versate diurna.

(HORACE, Art poétique, v. 268-269.)

2. Virgile, églogue iv, vers 3. (BOILEAU, 1713.) Voici le vers:

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Si canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ.

3. L'Elégie (theyiz, étym. hélas ! éyev, dire) fut d'abord un chant de tristesse et de deuil Versibus impariter junctis querimonia primum.

que Boileau ait eu en vue ces vers d'Ovide sur la mort de Tibulle:

Flebilis effusos, Elegeia, solve capillos;

Ah! nimis ex vero nunc tibi nomen erit!

Il semble

4. Ce fut Mimnerme, dit-on, qui lui fit chanter des amants la joie et la tristesse: Post etiam inclusa est voti sententia compos. C'est ainsi qu'elle se présente dans Ovide:

Venit odoratos elegeia nexa capillos.

On ne comprendra bien tout le mérite des vers de Boileau qu'en les rappro chant de ceux de Vauquelin de la Fresnaye sur le même sujet :

Les vers que les Latins d'inégale jointure
Nommoient une élégie, aigrete en sa pointure,
Servoient tant seulement aux bons siècles passez,
Par dire après la mort les faits des trépassez,
Depuis à tous sujets..., etc., etc.

5. Ces phrases vaines, ces amoureux qui s'affligent par art, ces martyres, ces

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