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SATIRE MÉNIPPÉE.

La satire Ménippée est un pamphlet politique, composé en 1593, en faveur de Henri IV et contre les ligueurs. Les auteurs en furent Pierre Leroy, chanoine de la cathédrale de Rouen et aumônier du cardinal de Bourbon; Pierre Pithou, avocat, procureur général au Parlement de Paris, auteur d'un grand nombre d'ouvrages de droit et de philologie; Nicolas Rapin, avocat, maire de Fontenay-le-Comte; Florent Chrestien, philologue estimé, précepteur de Henri IV; Jean Passerat, professeur de Rhétorique et ensuite d'Eloquence au Collège de France, et Gilles Durand, avocat au Parlement de Paris.

Le nom de Menippée vient du philosophe cynique Menippe, de Gadare, qui vécut à Thèbes au quatrième siècle avant J. C., et qui fut renommé pour la vivacité mordante de son langage. Terentius Varron, le plus savant des Romains, contemporain de Pompée et de César, composa des satires en prose mêlée de vers, auxquelles il donna, en souvenir du cynique grec, le nom de Ménippées; les pamphlétaires français, à l'imitation de l'imitateur, donnèrent le même titre à leur libelle royaliste.

Les premières éditions de la Satire Ménippée sont celles de Tours, 1593, et de Paris, 1594. La dernière est celle de Nodier, Paris, 1824, 2 vol. in-8o1.

Le seizième siècle éleva aux passions oratoires une tribune inconnue à l'antiquité il créa le pamphlet. Les politiques trouvèrent l'idéal du genre, une raillerie fine et mordante, une raison acérée qui renverse le sophisme par la vérité et l'adversaire par le ridicule. Les protestants, austères et énergiques, avaient écrit souvent des traités éloquents; les ligueurs, violents et grossiers, avaient fait des

1. Voir l'Histoire de la Littérature française, page 316.

déclamations tribunitiennes et, comme dit Montaigne, des exhortations enragées; le tiers parti, spirituel et sensé, atteignit dans ses pamphlets à la véritable satire.

La Ménippée n'abattit pas la Ligue, elle la trouva par terre; mais elle l'ensevelit dans le ridicule. Les auteurs de ce pamphlet appartenaient à cette classe moyenne, lettrée, pacifique, qui n'avait ni l'ignorance du peuple, ni les traditions héréditaires de la noblesse. C'étaient sept bons bourgeois, amis de la paix, parce que la paix était le bien-être, dévoués à la royauté et à leur repos, haïssant la Ligue parce qu'elle était séditieuse et aussi parce qu'elle ne payait plus les rentes de l'hôtel de ville; gardant rancune à Mayenne pour les longs jeûnes du siége de Paris, pour les gardes et sentinelles où ils avaient perdu la moitié de leur temps, et acquis des catarrhes et maladies qui ruinaient leur santé. » Quand le plus fort du danger fut passé, et qu'il ne fut plus nécessaire de ne crier que tout bas, les malins compères réunis, dit-on, chez l'un d'entre eux, Jacques Gillot, résolurent de composer en l'honneur de la bonne cause un pamphlet où chacun payerait son écot. Le dessein général de l'ouvrage n'exigea pas de grands efforts : on débute par mettre en scène dans la cour du Louvre deux charlatans, l'un Espagnol (le légat, cardinal de Plaisance) et l'autre Lorrain (le cardinal de Pellevé), débitant à qui en voulait du catholicon, espèce de drogue merveilleuse avec laquelle on peut être à loisir perfide et déloyal, vendre les intérêts de son pays, assassiner son ennemi par trahison, et autres gentillesses pareilles, le tout en sûreté de conscience « et pour notre sainte mère Église.

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Le second acte de cette comédie politique consiste dans la séance d'ouverture des états généraux de la Ligue, « convoqués à Paris au dixième février 1593; et dans les discours bouffons et sérieux que prononcent successivement les plus illustres ligueurs.

Chacun des collaborateurs de la Ménippée se chargea de faire parler à sa guise l'un des orateurs des états. Rien de plus mordant que ces discours des ligueurs où chacun,

comme forcé par une maligne et invincible puissance, révèle naïvement toute la vérité de son caractère et de sa position. Les voilà tous qui, au lieu de se renfermer dans l'hypocrite décorum de leur rôle, viennent nous faire confidence de leurs folles ambitions ou de leur honteuse vénalité. Jusqu'à la harangue de d'Aubray, député du tiers état, la Satire ménippée est une ironie admirable. Cette harangue, œuvre du savant Pithou, est un modèle de bon sens, de dialectique et parfois d'éloquence. La langue française ne s'était pas encore élevée dans la prose noble à d'aussi purs accents.

FRAGMENTS DU DISCOURS DE D'AUBRAY.

MISÈRE DES PARISIENS,

Il faut confesser que nous sommes pris à ce coup, plus serfs et plus esclaves que les chrestiens en Turquie, et les Juifs en Avignon. Nous n'avons plus de volonté, ni de voix au chapitre. Nous n'avons plus rien de propre, que nous puissions dire cela est mien : tout est à vous, Messieurs, qui nous tenez le pied sur la gorge, et qui remplissez nos maisons de garnisons. Mais l'extrémité de nos misères est, qu'entre tant de malheurs et de necessitez, il ne nous est pas permis de nous plaindre, ny demander secours et faut qu'ayant la mort entre les dents, nous disions que nous nous portons bien, et que nous sommes trop heureux d'estre malheureux pour si bonne cause. O Paris qui n'est plus Paris, mais une spelunque de bestes farouches, une citadelle d'Espagnols, Wallons et Napolitains, un asyle, et seure retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir qui tu as été, au prix de ce que tu es? Ne veux-tu jamais te guérir de cette frenesie, qui pour un légitime et gracieux Roi, t'a engendré cinquante Roytelets et cinquante Tyrans? Te voilà aux fers, te voilà en l'Inquisition d'Espagne, plus intolerable mille fois, et plus dure à supporter aux esprits nez libres et francs, comme sont les François, que les plus cruelles morts, dont les Espagnols se sçauroient adviser. Tu n'as peu supporter une legere augmentation de tailles et d'offices, et quelques nouveaux Edicts qui ne t'importoient nullement; mais tu endures qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusques au sang, qu'on emprisonne tes Senateurs, qu'on chasse et bannisse tes bons citoyens et Conseillers, qu'on pende, qu'on massacre tes principaux Magistrats : tu le vois, et tu l'endures; tu ne l'endures pas seulement, mais tu l'approuves, et le loues, et n'oserois et ne sçaurois faire autrement. Tu n'as peu supporter ton Roy debon

1. Caverne, du latin spelunca.

naire, si facile, si famillier, qui s'estoit rendu comme concitoyen, et bourgeois de ta ville, qu'il a enrichie, qu'il a embellie de somptueux bastiments, accreüe de forts et superbes remparts, ornée de privileges et exemptions honorables. Que dis-je ? Peu supporter? C'est bien pis : tu l'as chassé de sa ville, de sa maison, de son lict. Quoy chassé ? Tu l'as poursuivy. Quoi poursuivy? Tu l'as assassiné, canonizé l'assassinateur et fait des feux de joye de sa mort. Et tu vois maintenant combien cette mort t'a profité, car elle est cause qu'un autre est monté en sa place, bien plus vigilant, bien plus laborieux, bien plus guerrier, et qui sçaura bien te serrer de plus près, comme tu as à ton dam1 déja experimenté. Je vous prie, Messieurs, s'il est permis de jetter ces derniers abois en liberté, considerons un peu, quel bien et quel profit nous est venu de cette detestable mort que nos Prescheurs nous faisoient croire estre le seul et unique moyen pour nous rendre heureux. Mais je ne puis en discourir qu'avec trop de regret de voir les choses en l'estat qu'elles sont, au prix qu'elles estoient lors. Chacun avoit encore en ce tems-là du bled en son grenier, et du vin en sa cave; chacun avoit sa vaisselle d'argent, et sa tapisserie et ses meubles; les Reliques estoient entières; on n'avoit point touché aux joyaux de la Couronne. Mais maintenant, qui se peut vanter d'avoir de quoy vivre pour trois semaines si ce ne sont les voleurs, qui se sont engraissez de la substance du peuple, et qui ont pillé à toutes mains les meubles des présens et des absens. Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions, vendu nos meubles, fondu nostre vaisselle, engagé jusques à nos habits pour vivoter bien chétivement? Où sont nos sales et nos chambres tant bien garnies, tant diaprees et tapissees? Où sont nos festins et nos tables friandes? Nous voilà reduits au laict et au fromage blanc, comme les Suisses; nos banquets sont d'un morceau de vache pour tout metz; bienheureux qui n'a point mangé de chair de cheval et de chien, et bienheureux qui a toujours eu du pain d'avoine, et s'est passé de bouillie de son, vendue au coing des rues, aux lieux qu'on vendoit jadis les friandises de langues, caillettes et pieds de mouton; et n'a pas tenu à Monsieur le Légat2 et à l'Ambassadeur Mendosse que n'ayons mangé les os de nos pères, comme font les sauvages de la nouvelle Espagne. Peut-on se souvenir de toutes ces choses sans larmes et sans horreur? Et ceux qui en leur conscience sçavent bien qu'ils en sont cause, peuvent-ils en ouïr parler sans rougir, et sans apprehender la punition que Dieu leur reserve pour tant de maux, dont ils

1. Détriment, dommage, de damnum.

2. Le cardinal de Plaisance.

3. Le 15 juin 1590, don Bernardin de Mendoce, ambassadeur d'Espagne, dans une assemblée chez le conseiller Courtin, proposa de faire passer sous la meule les os des morts qui étaient au cimetière des Innocents, pour les réduire en poudre, et en faire du pain, ce qui fut exécuté. Ceux qui en mangèrent moururent.

sont autheurs? Mesmement, quand ils se representeront les images de tant de pauvres bourgeois, qu'ils ont veus par les rues tomber tous roides morts de faim; les petits enfans mourir à la mammelle de leurs meres allangouries, tirants pour néant, et ne trouvant que succer; les meilleurs habitants et les soldats marcher par la ville, appuyez d'un baston, pasles et foibles, plus blancs et plus ternis qu'images de pierre, ressemblants plus des fantosmes que des hommes. Fut-il jamais tyrannie et domination pareille à celle que nous voyons et endurons ? Où est l'honneur de nostre Université? Où sont les Colleges? Ou sont les Escoliers? Ou sont les Leçons publicques, ou l'on accourroit de toutes les parties du monde? Ou sont les Religieux estudiants aux convents? Ils ont pris les armes, les voilà soldats débauchez. Ou sont nos precieuses Reliques? Les unes sont fondues et mangees, les autres sont enfouies en terre de peur des voleurs et sacrileges. Ou est la reverence qu'on portoit aux gens d'Eglise et aux Sacrés Mysteres? Chacun maintenant fait une Religion à sa guise, et le service divin ne sert plus qu'a tromper le monde par hypocrisie. Ou sont les Princes du sang, qui ont toujours esté personnes sacrées, comme les colonnes et appuis de la Couronne et Monarchie Françoise? Ou sont les Pairs de France, qui devroient estre icy les premiers pour ouvrir, et honorer les Estats 1? Tous ces noms ne sont plus que noms de faquins, dont on fait littiere aux chevaux de Messieurs d'Espagne et de Lorraine. Ou est la majesté et gravité du Parlement, jadis tuteur des Roys, et mediateur entre le peuple et le Prince? Vous l'avez mené en triomphe à la Bastille, et trainé l'authorité, et la justice captive plus insolemment et plus honteusement que n'eussent fait les Turcs; vous avez chassé les meilleurs, et n'avez retenu que la racaille passionnée ou de bas courage.

COMPLICITÉ DU DUC DE MAYENNE, LIEUTENANT DE L'ÉTAT,
DANS LE CRIME DE JACQUES CLÉMENT.

Vous vistes au progrez des affaires du Roy, que les vostres s'en alloient ruinées, et qu'il n'y avoit plus moyen de vous en sauver, sans un coup du ciel, qui estoit par la mort de vostre maistre, vostre bienfaicteur, vostre Prince, vostre Roy. Je dis vostre Roy, car je trouve emphase en ce mot, qui emporte 2 une personne sacrée, oincte, et chérie de Dieu, comme mitoyenne entre les anges et les hommes. Je ne veux pas dire que ce fut vous, qui choisistes particulièrement ce méchant que l'Enfer créa3 pour aller faire cet exécrable coup, que les furies d'Enfer eussent redouté de faire; mais il est assez notoire

1. Il n'y avait aux États de la Ligue ni officiers de la couronne, ni chancelier, ni maréchaux de France, ni présidents de cours souveraines, ni procureurs, ni avocats généraux légitimement établis. 2. Qui signifie, qui fait entendre.

3. On avait fait l'anagramme du nom de frère Jacques Clément, et on était arrivé à y trouver cette phrase: C'est l'enfer qui me créa.

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