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physique; la sixième, des réflexions sur les choses que Descartes « croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, » et sur les raisons qui l'ont déterminé à écrire.

EXTRAITS DE LA PREMIÈRE PARTIE DU DISCOURS DE LA MÉTHODE.

Considérations touchant les sciences.

Je ne laissois pas d'estimer les exercices auxquels on s'occupe dans les écoles. Je savois que les langues que l'on y apprend sont nécessaires pour l'intelligence des livres anciens; que la gentillesse des fables réveille l'esprit; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu'étant lues avec discrétion elles aident à former le jugement; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l'éloquence a des forces et des beautés incomparables; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très-ravissantes; que les mathématiques ont des inventions très-sublimes, et qui peuvent beaucoup servir tant à contenter les curieux qu'à faciliter tous les arts et diminuer le travail des hommes; que les ecrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles; que la théologie enseigne à gagner le ciel; que la philosophie donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants; que la jurisprudence, la médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent; et enfin qu'il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connoître leur juste valeur et se garder d'en être trompé.

Mais je croyois avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c'est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles que de voyager : il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coutume de faire ceux qui n'ont rien vu; mais lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger à son pays, et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquoient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles, qui ne le sont point; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses pour les rendre plus dignes d'être

lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances: d'où vient que le reste ne paroît pas tel qu'il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu'ils en tirent sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins de nos romans, et à concevoir des desseins qui passent leurs forces.

J'estimois fort l'éloquence, et j'étois amoureux de la poésie; mais je pensois que l'une et l'autre étoient des dons de l'esprit plutôt que des fruits de l'étude. Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne parlassent que bas-breton, et qu'ils n'eussent jamais appris de rhétorique; et ceux qui ont les inventions les plus agréables, et qui les savent exprimer avec le plus d'ornement et de douceur, ne laisseroient pas d'être les meilleurs poëtes, encore que l'art poétique leur fût in

connu.

Je me plaisois surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l'évidence de leurs raisons; mais je ne remarquois point encore leur vrai usage, et, pensant qu'elles ne servoient qu'aux arts mécaniques, je m'étonnois de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n'avoit rien bâti dessus de plus relevé. Comme au contraire je comparois les écrits des anciens païens, qui traitent des mœurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques qui n'étoient bâtis que sur du sable et sur de la boue: ils élèvent fort haut les vertus, et les font paroître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde, mais ils n'enseignent pas assez à les connoître, et souvent ce qu'ils appellent d'un si beau nom n'est qu'une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide.

Je révérois notre théologie, et prétendois autant qu'aucun autre à gagner le ciel; mais ayant appris, comme chose très-assurée, que le chemin n'en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes, et que les vérités révélées qui y conduisent sont au-dessus de notre intelligence, je n'eusse osé les soumettre à la foiblesse de mes raisonnements, et je pensois que, pour entreprendre de les examiner et y réussir, il étoit besoin d'avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d'être plus qu'homme.

Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu'elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s'y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n'avois point assez de présomption pour espérer d'y rencontrer mieux que les autres; et que, considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu'il y en puisse avoir plus d'une seule qui soit vraie, je réputois presque pour faux tout ce qui n'étoit que vraisemblable.

Puis, pour les autres sciences, d'autant qu'elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeois qu'on ne pouvoit avoir rien bâti

qui fût solide sur ces fondements si peu fermes; et ni l'honneur ni le gain qu'elles promettent n'étoient suffisants pour me convier à les apprendre car je ne me sentois point, grâces à Dieu, de condition qui m'obligeât à faire un métier de la science pour le soulagement de ma fortune, et, quoique je ne fisse pas profession de mépriser la gloire en cynique, je faisois néanmoins fort peu d'état de celle que je n'espérois point pouvoir acquérir qu'à faux titres. Et, enfin, pour les mauvaises doctrines, je pensois déjà connaître assez ce qu'elles valoient pour n'être plus sujet à être trompé, ni par les promesses d'un alchimiste, ni par les prédictions d'un astrologue, ni par les impostures d'un magicien, ni par les artifices ou la vanterie d'aucun de ceux qui font profession de savoir plus qu'ils ne savent.

PASCAL.

Blaise Pascal, né à Clermont-Ferrand le 19 juin de l'année 1623, et mort à Paris en 1662, donna dès le plus jeune âge des marques d'un esprit extraordinaire. A douze ans, il parvint à trouver, sans le secours d'aucun livre, les trente-deux premières propositions d'Euclide; à seize ans, il composait un traité des Sections coniques. Les sciences mathématiques et physiques lui doivent de nombreuses découvertes. Il s'était lié avec les chefs du parti janséniste : à propos d'une censure que la Sorbonne se proposait de faire d'un écrit d'Arnauld, il publia en 1656 et 1657 les Lettres provinciales, chef-d'œuvre d'ironie et d'éloquence.

Les Lettres à un Provincial n'étaient pas l'œuvre de prédilection de Pascal. Il préparait en silence les matériaux d'un grand ouvrage que la mort ne lui laissa pas le temps d'achever, et dont les débris épars suffisent pour assurer à leur auteur l'admiration de la postérité. Pascal voulait aller plus loin que Descartes, et, prenant un lecteur dans l'indifférence et le doute, l'amener docile et fidèle aux pieds de

1. Histoire de la Littérature française, page 392: Pascal et PortRoyal.

la religion. Les notes qu'il avait jetées sur le papier au jour le jour, furent publiées d'abord avec des changements nombreux par sa famille et ses amis en 1670. Les éditeurs reproduisirent les uns après les autres ce texte altéré, jus qu'à ce que M. Cousin, en 1842, démontrât dans un Rapport resté célèbre, la nécessité d'une nouvelle édition des Pensées, conforme aux manuscrits de Pascal.

M. Prosper Faugère, en 1844, fit connaître pour la première fois au public le texte original des PENSÉES. M. Havet, en 1852, en a donné une nouvelle édition avec une excellente Étude et un très-utile commentaire. Le troisième livre du PORT-ROYAL de M. Sainte-Beuve est consacré tout entier à Pascal.

Mme Périer, sœur aînée de Pascal, a écrit une histoire de sa vie.

L'intérêt immense des Pensées, c'est que la vie intime de l'auteur y éclate à chaque pas par des accents d'une vérité profonde. Ses doutes, ses déchirements, ses dédains pour lui-même et pour la raison, ses terreurs religieuses s'y trahissent tour à tour par une éloquence sublime. On a dit justement que c'est avec le sang de son cœur qu'il écrit. Aussi quels éclairs de pensée et de sentiment sillonnent sans cesse ces magnifiques débris ! combien cet homme, qui méprisait la poésie ainsi que la philosophie et les sciences, est poëte lui-même par l'éclat de son style! Soit qu'il anéantisse l'homme entre les deux infinis, soit que ce roseau pensant se redresse vivement sous l'univers qui l'écrase, soit que levant les yeux vers le ciel, Pascal se sente tout à coup effrayé par le silence éternel de ces espaces infinis, on reconnaît à chaque page le libre et sincère essor d'une grande âme vers Dieu, et l'on suit l'écrivain, avec une anxiété pleine de terreur, à travers ce long drame religieux, dont l'expression morcelée et énigmatique semble encore augmenter la puissance. « C'est par l'âme que Pascal est grand comme homme et comme écrivain : le style qui réfléchit cette âme en a toutes les qualités, la finesse, l'ironie amère, l'ardente imagination, la raison austère, le trouble

à la fois et la chaste discrétion. Ce style est, comme cette âme, d'une beauté incomparable '.

L'HOMME ET L'INFINI.

Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté : qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paroisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'un point très-délicat à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphèrè infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi3, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connoît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arri

1. V. Cousin, Des Pensées de Pascal, avant-propos, page vII. 2. Le soleil. Pascal conforme son langage au système erroné qui faisait de la terre le centre du monde.

3. Ayant fait retour sur lui-même.

4. C'est-à-dire que l'homme juge combien c'est peu de chose que lui-même, en songeant que cet univers, dans lequel la terre qu'il habite n'est qu'un point, disparaît lui-même «< dans l'ample sein de la nature. De ce cachot, signifie d'après ce cachot, d'après ce qu'est ce cachot. Par univers, il faut entendre, non pas l'universalité des choses, l'ample sein de la nature, mais le « canton » visible à l'homme, le monde solaire.

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