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Conseil. Quant aux affaires de police ou criminelles Concernant les mêmes personnes, elles étaient jugées souverainement et en dernier ressort par le prévôt de l'hôtel; toutefois il était assisté d'un nombre plus ou moins considérable de conseillers du grand Conseil, (de 7 à 14), dans les affaires criminelles qui pouvaient entraîner la mort ou des peines sévères, et cela conformément aux dispositions de l'ordonnance criminelle de 1670.

Le prévôt de l'hôtel avait à sa suite tout le cortége d'officiers nécessaires à la justice, procureur du roi, greffier, notaires, avocats, procureurs, huissiers, experts, qui tous suivaient la cour dans les résidences royales. Toutes ces charges de judicature entraient dans le casuel du prévôt de l'hôtel.

Il y avait à cette juridiction une audience des criées ; en décembre 1751 on y vendit, après saisie, moyennant 14,000 livres, une maison et jardin sis près la porte Satory. On y vendait même parfois, au plus offrant, les charges des bas officiers de cette juridiction (4).

Le prévôt de l'hôtel, pendant le séjour de la cour dans une ville, s'occupait des vivres, taxait les denrées (m), faisait des visites chez les fournisseurs, surveillait la distribution des logements, à la craie, était chargé de la surveillance des voitures de la cour (n), de tout ce qui concernait les plaisirs, notamment des spectacles; il faisait arrêter les vagabonds, les gens suspects, s'occupoit enfin de tout ce qui concerne la police.

C'est par son canal qu'avaient ordinairement lieu les grâces que le roi, lors d'un heureux événement, accordait aux condamnés ; aussi, lorsque ceux-ci jugeaient le moment favorable pour obtenir la rémission de leur peine, ils arrivaient en grand nombre se constituer prisonniers dans la prison de la prévôté de l'hôtel (0).

A Paris, capitale de la France, siége de la monarchie, était la juridiction permanente du prévôt de l'hôtel, qui tenait son audience au Louvre.

Cette audience avait toujours un assez grand nombre d'affaires, et on voit la préoccupation du juge de ne pas laisser échapper de causes, en faisant prêter aux syndics des fournisseurs de la cour le serment de ne pas plaider ailleurs que devant lui, sous peine de déchéance de leurs priviléges (p).

Le prévôt de l'hôtel avait pour le remplacer deux lieutenants de

robe longue; l'un tenait le siége de Paris, l'autre suivait la cour. Ils changeaient alternativement, d'année en année.

Jusqu'en 1790, le prévôt de l'hôtel exerça sa justice presque constamment à Versailles, et le siége de son tribunal était le même que celui du bailli, dans les bâtiments de la Geôle, qui s'appelaient alors l'hôtel du bailliage et de la prévôté. Un fait pourra faire apprécier quand la juridiction du prévôt de l'hôtel pouvait s'ex ercer dans Versailles. Le 19 juin 1723, le roi Louis XV se trouvait à Meudon, les officiers du bailliage refusèrent l'entrée de l'auditoire aux officiers de la prévôté de l'hôtel : M. de Noyon, lieutenant du prévôt de l'hôtel, dressa procès-verbal du refus et porta plainte à M. le garde des sceaux. Le conseil des dépêches, saisi de la contestation, jugea, le 26 juin, que le prévôt de l'hôtel devait suivre le roi, dont la maison était transférée à Meudon, et ne pouvait siéger à Versailles ; il déclara qu'il n'en serait pas de même si le roi se trouvait, soit à Trianon, soit à Marly.

La prévôté de l'hôtel avait plusieurs siéges pour sa juridiction : elle dut avoir aussi plusieurs registres; il existe aux archives de l'Empire, une longue série des registres de l'audience de Paris, et, dans les archives du tribunal de Versailles, celle de l'audience de Versailles, qui se trouvait presque une juridiction sédentaire, et celle des autres résidences royales telles que Vincennes, Compiègne, Fontainebleau.

Il y aurait un curieux travail à faire sur la prévôté de l'hôtel, juridiction fort peu connue, en consultant ces trois séries de registres. On y verrait qu'à Paris le grand prévôt ou le prévôt de l'hôtel n'avait aucun droit de police dans la ville; qu'il avait la prétention d'exercer la police générale dans Versailles, et cela contrairement aux dispositions des ordonnances, mais qu'il avait incontestablement ce droit dans les autres résidences royales.

Entre la prévôté de l'hôtel et le bailliage, les rapports les plus fréquents étaient les contestations, à propos des conflits que les rois cherchèrent en vain à apaiser. Pour bien délimiter les fonctions de chaque justice, un réglement de 1684 (9) attribue au prévôt de l'hôtel la connaissance de tout procès civil, entre les officiers de Sa Majesté, les domestiques de gens de cour; celle de tous crimes des mêmes, sans que le juge ordinaire puisse recevoir la plainte, ni

TOME VI.

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faire aucune poursuite. Toutes les instances entre les personnes de la cour et les habitants sont, d'après ce réglement, de la compétence de la justice prévôtale de l'hôtel, et cette justice, à laquelle sont déférées les contestations de ceux qui relèvent des juridictions diverses, est de fait la juridiction de droit commun, quoique le réglement désigne le bailli sous l'appellation de juge ordinaire.

Le prévôt de l'hôtel était chargé des visites à faire chez les fournisseurs privilégiés, le bailli chez les autres marchands: mais il restait à décider quels étaient les privilégiés, et ils étaient nombreux dans la ville de Versailles, qui ne vivait que du séjour de la cour; il était difficile qu'il y eût un seul marchand qui ne fût le fournisseur de quelque objet du roi, du dauphin, de la dauphine, ou de quelque puissant personnage et qui ne pût trouver de cette sorte le moyen de se soustraire, lui, sa famille, ses ouvriers et ses domestiques, à la juridiction du bailli. Très souvent ce juge se trouvait entravé dans l'exercice de ses fonctions. En 1723 et 1724, plusieurs marchands avaient été condamnés à l'amende par le bailli, l'un pour avoir acheté des volailles avant 9 heures du matin, un autre, un sieur Ravenel, rôtisseur privilégié, pour avoir étalé pendant le service de la messe; ces condamnés se pourvurent devant les officiers de la prévôté de l'hôtel, qui défendirent au receveur des amendes du bailliage de poursuivre le recouvrement de ces amendes; le bailli dut, par un nouveau jugement, ordonner l'exécution des précédentes condamnations.

Dans une affaire de rixe, en 1736,les deux parties portèrent plainte, l'une au bailliage, l'autre à la prévôté de l'hôtel : les deux juges donnèrent chacun gain de cause à leur plaignant; la partie condamnée par le prévôt paya le montant du jugement rendu contre elle, mais, lorsque pour arriver à l'exécution de la condamnation obtenue à son profit, elle fit enlever les meubles de son débiteur, le lieutenant de la prévôté de l'hôtel intervint assisté de gardes et, par ses violences, força l'huissier du bailliage à se retirer (r). De la part d'officiers d'un tribunal, de pareils faits sont déplorables et ne tendent rien moins qu'à faire perdre à la justice le prestige et le respect dont le peuple doit toujours l'entourer.

Dans les affaires entre parties, les envahissements de la prévôté de l'hôtel sur le bailliage étaient assez rares, parce que la partie

poursuivante préférait porter sa demande devant le juge ordinaire, juge sédentaire, et devant lequel les frais étaient moindres; mais au criminel, la prévôté de l'hôtel se trouvait plus souvent saisie, parce qu'elle avait dans la ville deux postes occupés par ses gardes, qui lui transmettaient le procès-verbal d'arrestation du coupable ou les premiers actes d'instruction. D'ailleurs le prévôt de l'hôtel était chargé d'arrêter les vagabonds, et plusieurs procédures criminelles se poursuivirent contre des accusés sous la désignation de gens sans aveu. Dans un grand nombre de condamnations, on se demande ce qui pouvait justifier la compétence du prévôt de l'hôtel (s).

Les conflits des deux juridictions arrêtèrent souvent la justice dans la répression des crimes. En 1740, des malheureux du village de Montreuil allèrent faire des fagots dans les bois de Porchéfontaine, domaine de leurs seigneurs les Célestins de Paris; quelques pauvres de Versailles les imitèrent, et furent bientôt suivis des habitants, des ouvriers, des soldats, et même des palefreniers des écuries et du chenil. Le 10 février, on estimait à quatre ou cinq mille le nombre des dévastateurs, qui ne respectaient pas plus les jeunes arbres que les chênes les plus vieux. La partie du bois dé vastée fut évaluée à cent arpents. Les bourgeois allèrent à Porchéfontaine, les uns par curiosité, les autres pour acheter à bon marché du bois qu'ils faisaient transporter à Versailles, par grandes voitures, et la foule était telle que l'on pouvait à peine passer sur l'avenue de Paris.

Le bailli de Versailles, chargé de la police de la ville, se considéra sans droits pour réprimer ce désordre en dehors de sa juridiction; les officiers de la prévôté de l'hôtel n'étaient pas assez sûrs de l'étendue de leur pouvoir, pour se compromettre en agissant sans ordres des rapports avaient été adressés au gouvernement de Versailles, même au cardinal de Fleury, sans que ceux-ci se missent en mesure de faire cesser les dévastations. Ce ne fut qu'après avoir rendu ce compte au roi qui se trouvait à Marly, que M. le comte de Noailles fit diriger les gardes-françaises et les suisses pour arrêter le désordre qui durait depuis quatre ou cinq jours.

Les officiers de justice, craignant de se voir désavoués, n'osaient pas employer la force publique pour arrêter le pillage, et l'exis

tence de deux juridictions, loin d'être une garantie pour la sécurité publique, mettait des entraves à la répression.

Permettez-moi d'aborder une dernière question qui, de nos jours, a acquis une certaine importance, et qui, sous la juridiction du prévôt de l'hôtel, était régie par de curieuses ordonnances.

Versailles, petit village du val de Galie, n'était devenu ville de quelque importance que depuis que Louis XIV y avait fixé sa résidence; les maisons et hôtels ne suffisaient pas pour loger les personnes qui suivaient la cour, aussi les loyers étaient devenus d'un prix excessif.

Louis XIV meurt à Versailles, le 1er septembre 1715; les courtisans quittent cette ville pour le Palais-Royal, le séjour du régent, et la cité des rois, trop petite la veille pour sa riche population, devient le lendemain déserte et abandonnée. Toutefois un grand nombre de seigneurs avaient laissé dans Versailles des locations importantes et de longs baux; le régent prit part à leur embarras : il devait bien cette marque d'intérêt à ceux qui s'étaient empressés à lui faire leur cour. A la date du 23 juin 1716, il fit rendre une déclaration royale, enregistrée au Parlement, par laquelle les baux faits à Versailles sont, même par effet rétroactif, annulés, à compter du 1er janvier 1716, pour tous ceux qui, dès cette époque, avaient quitté la ville; à l'égard de ceux dont le séjour avait continué, les baux se trouvaient résolus à compter du congé qu'ils avaient pu donner ou qu'ils donneraient.

Pour tous, le prix des loyers se trouvait réduit, à compter du 1 janvier 1716, au tiers du prix stipulé par les baux.

Combien était arbitraire, injuste et préjudiciable aux propriétaires, cette mesure qui brisait tous les contrats et qui, pour le cas le plus favorable, où les logements ne restaient pas vacants, en réduisait les revenus des deux tiers: réservons, toutefois, une partie de notre pitié pour les locataires, que, six ans après, nous voyons aussi maltraités. Ces locataires ne sont plus, il est vrai, de grands seigneurs, mais de petits rentiers qui s'étaient réfugiés dans la ville abandonnée.

Le régent songe à ramener Louis XV dans le palais de son aïeul; le conseil d'Etat rend, le 15 avril 1722, un arrêt motivé sur la résolution du roi de transférer son séjour à Versailles, et la nécessité

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