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statut Impérial est que les Arbitres Provinciaux soient unanimes, alors la règle posée en cause de Grinley v. Barker, qu'il faut avant tout consulter l'esprit du législateur, est fausse et illusoire.

Mais, dira-t-on, si telle était l'intention du législateur, pourquoi ne l'a-t-il pas déclarée en termes formels? Suivant l'autorité de Grinley v. Barker et d'autres précédents, cette déclaration expresse n'est pas nécessaire; il suffit qu'elle puisse tacitement être déduite du texte du statut et des circonstances. Et même a-t-on besoin d'expressions plus précises que celles de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord? Pourquoi le législateur sera-t-il supposé avoir ordonné que la majorité des arbitres suffira, lorsqu'il dit purement et simplement que la question sera sommise à la décision de trois arbitres, sans même indiquer que l'un d'eux agira comme tiers arbitre ou umpire? Ne peut-on pas soutenir avec raison que si le Parlement Impérial eùt voulu autoriser la simple majorité à décider, il en aurait ainsi ordonné, comme il le fit d'ailleurs dans des occasions analogues.

Les exemples de ces arbitrages entre colonies sont rares; mais on peut en citer. Lorsqu'en 1822, alors qu'il s'agissait d'un arbitrage entre ces mêmes provinces, le Parlement Impérial passa le Canada Trade Act,* s'est-il exprimé comme dans l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord? Puisque ces actes sont soumis aux règles ordinaires sur les arbitrages publics, pourquoi n'at-il pas tout simplement gardé le silence? Non, il voulait que la majorité des trois arbitres eut pouvoir de juger; et supposant que ce pouvoir n'existait pas de droit commun, il déclara à la section 21e that the award of the majority of the said arbitrators shall be final and conclusive. Il ne faut pas s'imaginer que le langage du législateur est quelquefois superflu et inutile. Les principes veulent qu'il ne parle que pour combler une lacune, corriger un vice du droit commun ou au moins pour en faire disparaitre les doutes.†

La règle que le principe de la majorité ne s'applique pas aux arbitrages intercoloniaux a son fondement dans l'essence même des choses, dans l'existence des colonies et la nature de l'objet de l'arbitrage intercolonial.

Les précédents cités par les honorables arbitres n'ont en effet aucun rapport au cas actuel. Là, il ne s'agissait que d'arbitrages

* 3 Geo. IV, C. 119.

† Dwarris on Statutes, p. 637, 641.

publics intéressant une faible portion d'un même État. Ici, il s'agit d'un arbitrage entre des pays distincts et étrangers l'un à l'autre quant à leurs biens, leurs lois et leurs législatures locales. Peut on avec raison et logique appliquer à cet arbitrage les règles qui régissent les arbitrages publics ordinaires, ordonnés dans l'intérêt d'un certain nombre des membres d'une même nation et d'un même gouvernement?

Et par quelle autorité les honorables arbitres imposent-ils ce droit commun anglais à la Province de Québec? Est-ce parceque l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, étant un acte Impérial, devrait être interprété suivant le droit commun anglais, qui en serait pour ainsi dire le complément? C'est ce que les honorables arbitres ont omis de nous faire connaître. Peu importe! L'acte Impérial, étant exécuté en dehors du territoire de la Grande Bretagne, n'apporte pas avec lui le droit commun anglais; car aucune partie de ce droit ou des actes Impériaux ne s'étend aux colonies sans une déclaration expresse des Parlements compétents. Sans une telle introduction, la Province de Québec ne reconnait aucune des lois anglaises, excepté celles qui se rapportent à la Couronne.* Sous tous les autres rapports, elle a ses lois propres, et elle ne peut par conséquent admettre le principe du droit anglais introduit seulement par les honorables arbitres Gray et Macpherson.

Mais, dira-t-on, la règle du droit commun anglais doit servir d'interprétation au statut Impérial, parcequ'elle fait partie du droit commun de la Province d'Ontario. Ainsi, ce serait la force du droit colonial et particulier de l'une des parties à l'arbitrage qui devrait gouverner. Je comprendrais ce raisonnement si les arbitres avaient été nommés en vertu d'un statut de la Province d'Ontario, et s'il s'agissait d'un arbitrage public entre les membres de cette colonie. Mais ici les arbitres procèdent en vertu d'un statut Impérial, qui ne leur prescrit pas même de siéger de préférence dans l'une ou l'autre des Provinces; et de fait ils ont siégé dans chacune d'elles. Il est évident qu'ils ne sont pas autorisés à prendre connaissance des lois particulières d'aucune de ces Provinces.

Enfin si le droit privé d'un État ou d'une colonie pouvait prévaloir dans une matière de cette nature, il en résulterait des

* 14 Geo. 3, c. 83, 1774, ou Statuts Refondus du Canada, sec. 8e, page 10 et suiv. Forsyth, Constitutional Law, pp. 2, 11, 16, 18, 19, 21.

injustices innombrables, lorsque les deux colonies intéressées auraient des règles de droit différentes, comme dans l'espèce actuelle.

Le Code de Procédure Civile de la Province de Québec, il est vrai, pose comme règle que la majorité des arbitres lie la minorité, mais il ne parle que des arbitrages privés sur compromis ou ordres des tribunaux. Il ne contient aucune disposition sur les arbitrages autorisés par des statuts spéciaux de la Législature fédérale ou locale; et aucun précédent ne peut être invoqué, consacrant le principe qu'en matière d'arbitrage public la règle en Bas Canada est la même qu'en matière d'arbitrage privé. La Province de Québec n'a pas de droit commun sur le sujet.

Il y existe un droit public consacré par la pratique de sa Législature. Dans tous ses statuts ordonnant la nomination d'arbitres ou commissaires, le pouvoir a été donné d'une manière expresse et invariable à la majorité des arbitres de juger. Ainsi à propos des expropriations faites sons l'empire de l'Acte Municipal de 1860, le législateur déclare que les évaluateurs municipaux ou deux d'entr-eux (ils sont au nombre de trois) pourront déterminer l'indemnité. Il en est de même des expropriations dans la Cité de Montréal; deux des trois Commissaires ont le droit de décider. A l'égard de la codification de nos lois civiles, les Statuts Refondus du Bas Canada ‡ déclarent que le rapport de deux des trois Codificateurs suffira. Même au sujet des arbitrages dans les cours des commissaires pour la décision sommaire des petites causes dans chaque paroisse, le statut a le soin de dire que la majorité des trois arbitres décidera.§ Tous ces exemples, auxquels on pourrait en ajouter un grand nombre d'autres, ne démontrent-ils pas que la Législature de la Province de Québec a consacré le principe qu'en matière d'arbitrage public l'unanimité est requise, à moins qu'il en soit ordonné autrement?

Il y a plus. Dans la Province d'Ontario, il ne parait pas que la prétendue règle du droit commun anglais ait été adoptée par sa propre Légistature. Qu'on ouvre ses Statuts Refondus, et l'on verra que dans tous les cas où une ordonnance autorise un arbitrage public, elle déclare formellement que le vote de la majorité l'emportera. Ainsi la Se Vict. c. 20, s. 5, à propos des arbi

23 Vict. c. 61, S. 50.
C. 2 Sect. 16.

† 27-28 Vict. c. 60, s. 13.

§ 7 Vict. c. 19, s. 17.

trages par les trois inspecteurs de clôtures, dit que "the fence viewers, or any two of them," décideront. L'Acte Municipal du Haut Canada,* tel qu' amendé par le chapitre 26 de ses Statuts locaux de 1869, veut pareillement que les arbitrages qu'il permet puissent être déterminés par la majorité des arbitres. On trouve une semblable disposition dans le statut concernant les Compagnies à fonds social des Chemins, Joint Stock Road Companies: "and any award made by a majority of the said arbitrators shall be final."

Ce n'est pas tout. Il y a sur le sujet un droit public colonial commun au Bas et au Haut Canada, même à toute la Puissance.

Les Statuts Refondus du Canada, c. 28, s. 4, ordonnent que les arbitres officiels, chargés d'estimer les dommages causés par des travaux publics, ou la majorité d'entr'eux jugeront. Pareillement, à l'égard des expropriations par des Compagnies de Chemins de Fer, et des arbitrages sur applications concurrentes pour patentes ou brevêts d'invention. § De semblables clauses se trouvent dans les statuts de la Puissance de 1867 à propos des arbitres officiels || et des évaluateurs des terrains appropriés pour le Chemin de fer Intercolonial. Nous ne voulons pas prolonger cette liste. Elle est plus que suffisante pour établir que nos Législatures Coloniales n'ont jamais considéré la règle du droit commun anglais comme étant en force en Canada; et, remarquons le en passant, elle fait aussi voir que la clause de l'Acte d'Interprétation, déclarant que quand un acte doit être accompli par plus de deux personnes, la majorité de ces personnes pourra l'accomplir, ne s'applique qu'aux corporations et non aux arbitres ou commissaires non incorporés. Aussi, les divers actes d'incorporation en existence dans le pays sont silencieux à l'égard du pouvoir de la majorité des membres de la corporation de lier la minorité.

Il ne nous reste plus qu'un dernier point à developper pour clore cette étude déjà peut-être trop longue. Existe-il quelque doute dans l'esprit du lecteur sur la nullité de l'Arbitrage Provincial? Se trouve-t-il encore quelques parties de cet im

Sect. 339, par. 13.

† Stat. Ref. du H. C., c. 70, s. 17.

S. R. du C., c. 66, s. 11, par. 11.

Ibid c. 34, s. 15.

31 Vict. c. 12.

31 Vict. c. 13, § 14.

important débat non comprises oudouteuses. La considération suivante devra dissiper toute incertitude. Il ne faut pas regarder l'acte de l'Amérique Britannique du Nord, 1867, comme un simple statut, ni l'arbitrage qui y est ordonné comme d'intérêt public seulement. Cet acte Impérial doit être vu à la lunière des règles sur les traités entre nations ou États étrangers, et cet arbitrage doit être soumis aux règles du droit international public.

L'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, 1867, a tous les caractères d'un traité entre les provinces confédérées, parcequ'elles ont toutes les marques des États confédérés ou unis, et qu'il est de leur intérêt particulier et général qu'elles soient ainsi considerées.

Mais, objectera-t-on, la Puissance du Canada ne forme pas un État souverain. On ne saurait soutenir que le Canada bien qu'il ait aujourd'hui de vastes territoires, sa législature et son gouvernement propres, ses lois civiles et criminelles distinctes de la métropole, son systême indépendant de douanes, monaies et de papier crédit ou national, ses statuts particuliers de milice intérieure et de protection de ses côtes maritimes, ses agents d'immigration à l'étranger, sa représentation dans les expositions internationales, et qu'il exerce plusieurs autres droits des nations souveraines, même à l'encontre des lois ordinaires de la Grande Bretagne, on ne saurait soutenir, disons-nous, que le Canada soit un État ou un pouvoir indépendant et souverain.

Néanmoins ses actes devront être soumis aux règles du droit international, tant qu'ils auront lieu dans les limites de sa constitution. Il semble qu'on doit considérer la Puissance du Canada comme un de ces États que les auteurs appellent mi-souverains.

"Un Etat," dit Esbach,* "n'est plus que mi-souverain, quand un autre a acquis contractuellement le droit de s'immiscer dans l'exercice de son gouvernement ou de le déterminer dans une partie de ses actes intérieurs ou extérieurs. Pareille restriction affecte surtout la souveraineté extérieure, et le degré s'en détermine par les clauses du traité qui a créé cette semi-dépendance. Un Etat, quoique mi-souverain, n'en est pas moins un Etat: il continue à pouvoir invoquer directement les principes du droit international, et conserve le droit de traiter, comme puissance indépendante avec les autres Etats, sur tous les points autres que ceux sur lesquels il est tenu à subordination."

* Introduction à l'Etude du Droit, p. 65.

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