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fuit, ob impudicitiam filiæ ac neptis, quas urbe depulit, adulterosque earum morte aut fuga punivit. Nam culpam inter viros ac feminas vulgatam, gravi nomine læsarum religionum, ac violatæ majestatis appellando, clementiam majorum, suasque ipse leges egrediebatur. (Tacitus, Ann., l. III, c. 24).

Aussi Sénèque va nous apprendre qu'Auguste se repentit amèrement de tout l'éclat qu'il avait donné à ces scandales: « Le prince avait autant de raisons de punir que de cacher, parce que la honte de certaines choses retombe sur celui » qui les venge. Peu maître de sa colère, il les avait publiées. » Ensuite, lorsque, après quelque temps, la honte remplaça » la colère, gémissant pour ne pas les avoir ensevelies dans » le silence, puisqu'il les avait ignorées jusqu'au moment où >> il était honteux d'en parler, il s'écria souvent Rien de » tout cela ne me serait arrivé, si Agrippa ou Mécène avaient » existé. »

Hæc tam vindicanda Principi quam tacenda; quia quarumdam rerum turpitudo etiam ad vindicantem redit, parum potens iræ publicaverat. Deinde quum, interposito tempore, in locum iræ subisset verecundia, gemens, quod non illa silentio pressisset, quæ tamdiu nescierat, donec loqui turpe esset sæpe exclamavit: Horum mihi nihil accidisset, si aut Agrippa aut Mæcenas vixisset (Senec. de Beneficiis, l. ví, c. 32, t. 11, p, 625).

Sénèque nous le représente encore comme brisé par la douleur:

« Il n'avait pas encore tout à fait échappé aux poignards » des conspirateurs, que sa fille, et tant de nobles jeunes gens unis par l'adultère comme par un sacrement, épouvantent >> sa vieillesse déjà brisée (âgé de 61 ans). »

Nondum horum effugerat insidias, filia et tot nobiles juvenes adulterio velut sacramento adacti, jam infractam ætatem territabant (Sen. de brevitate vitæ, c. vi, no 4; t. I, p. 432).

Telles étaient les mœurs romaines à cette époque, telle la fille de l'empereur, tels les héritiers des plus nobles familles romaines, telle l'inflexible rigueur d'Auguste. Mais ici se présente une question toute naturelle, celle de savoir quelle était la vie, quelles les mœurs de celui qui exerçait cette rigueur sur les autres. C'est ce que nous allons demander à ses historiens.

VII. Mœurs d'Auguste.

Corruption profonde. Voici donc quelles étaient les mœurs de cet homme si

sévère envers sa fille et envers les jeunes gens les plus renommés de la ncblesse romaine. Écoutons Suétone :

« Durant les premières années de sa jeunesse sa réputation » fut scuillée par plus d'un opprobre. Sextus Pompée le traita › d'efféminé; M. Antcine l'accusa d'avoir mérité l'adoption › de son oncle au prix de son infamie. Lucius, le frère d'An»toine, prétendit qu'après avoir donné à César sa pudeur, › il la prostitua à Aulus Hirtius en Espagne, pour le prix de 300,000 sesierces, et qu'il avait coutume de se brûler les » jambes avec des noix ardentes, afin que le poil repoussa ▸ plus doux.>>

Prima juventa variorum dedecorum infamiam subiit. Sex. Pompeius eum at effeminatum insectatus est : M. Antonius adoptionem avuncnli stupro meritum item Lucius, Marci frater, quasi pudicitiam, dilibatam à Cæsare, A. etiam Hirtio in Hispania CCC millibus nummum substraverit; solitusque sit cruca suburere nuce ardenti, quo mollior pilus surgeret (Suet., August., c. 68.)

C'est ce même Hirtius qu'il fit assassiner, d'après Dion, devant Modène, pour avoir sa charge de consul et son armée1. Nous avons déjà raconté comment au moment même des proscriptions, les mains rouges du sang de Cicéron et d'une infinité des Romains les plus illustres, Auguste avait participé à une orgie dite le Banquet des Dieux, et à laquelle il présidait dans le costume d'Apollon, au milieu des autres Dieux et déesses, chacun avec le costume de son emploi 2. Continuons à citer Suétone :

« Ses amis même ne nient pas, qu'il ait exercé (exercuisse) ■ les adultères, mais ils l'excusent en disant que c'était non par débauche, mais par raison, afin de connaître par le moyen de leurs femmes les desseins de ses adversaires.» Adulteria quidem exercuisse, ne amici quidem negant, excusantes sane, non libidine sed ratione commissa, quo facilius consilia adversariorum per cujusque mulieres exquireret (Suet., ibid.).

« M. Antoine lui reproche, outre la brusquerie de son mariage avec Livie, d'avoir fait passer la femme d'un person▸nage consulaire, en présence de son mari, de la salle à manger dans sa chambre et de l'avoir ramenée à table les 1 Voir les textes dans les Annales, t. xi, p. 221. Voir les textes dans les Annales, t. xv, p. 125.

Doreilles rouges et les cheveux en désordre. Il dit qu'il ré» pudia Scribonia parce qu'elle s'était plainte trop librement ▸ de la prépondérance excessive d'une concubine. »

M. Antonius super festinatas Liviæ nupitas objecit, et feminam consularem e triclinio, viro coram, in cubiculum abductam, rursus in convivium, rubentibus auriculis, incomptiore capillo, reductam; et dimissam Scriboniam, quia liberius doluisset nimiam potentiam pellicis (Suet., ibid.).

« M. Antoine dit encore que ses amis, chargés de lui trou» ver des maîtresses, déshabillaient les mères de famille et » les jeunes filles nubiles, et les examinaient comme ils eussent faits pour des esclaves vendues par Thoranius. >>

Et conditiones quæsistas per amicos, qui matres familias et adultas ætate virgines denudarent atque perspicerent, tanquam Thoranio mangone vendente. (Suet., ibid.).

« Antoine lui écrit même familièrement avant qu'il fût » complétement son adversaire et son ennemi : « Pourquoi > es-tu changé à mon égard? Est-ce parce que je vois une > reine? C'est ma femme. Est-ce aujourd'hui que j'ai com» mencé ou depuis 9 ans? Et toi ne vois-tu que Drusilla? » Porte-toi bien, aussi vrai que je souhaite que lorsque tu > recevras cette lettre, tu n'aies pas vu Tertulla1, ou Teren» tilla 2, ou Rufilla, ou Salvia Titiscenia3, ou toutes ensemble.»

Scribit etiam ad ipsum hoc familiariter adhuc, necdum plane inimicus aut hostis: Quid te mutavit? quod reginam ineo? uxor mea est. Nunc cœpi, an abhinc annos novem? Tu deinde solam Drusillam inis? Ita valeas uti tu hanc epistolam quum leges, non inieris Tertullam, aut Terentillam, aut Ruffillam, aut Salviam Titisceniam, aut omnes. Anne refert, ubi et in qua arrigas (Suet., ibid.).

Tel est Auguste, d'après Suétone, le plus véridique de ses historiens, au jugement de M. Egger.

Dion va nous apprendre comment Auguste en agissait avec les plus respectables matrones:

a Anthénodore, s'étant fait porter, comme une femme, en litière couverte dans son appartement, et s'étant tout à coup » élancé de cette litière, l'épée à la main, en lui disant: Ne crains-tu pas que quelqu'un ne vienne ainsi pour te tuer?

C'était Tertia, la femme de Cassius, et la sœur de Brutus.

C'était Terentia, la femme de Mécène.

C'était la fille ou la femme d'un Gaulois, qui avait pris le parti d'Auguste.

» Auguste, loin d'en témoigner de la colère, lui en sut gré1.»

C'est ainsi que s'exprime le texte actuel de Dion; mais on convient qu'il est tronqué et abrégé. Zonare, qui copiait Dion, va nous donner son véritable texte :

Auguste était porté aux plaisirs de Vénus: on lui appor» tait, dans des litières couvertes, les femmes qu'il voulait, et Don les introduisait ainsi dans sa chambre. Auguste donc se >> les faisait amener et abusait d'elles. Un jour il s'éprit d'une ▷ femme et l'envoya prendre. Par hasard, Athénodore, qui » était lié avec le mari de cette femme, était venu lui rendre » visite, et l'ayant trouvé chagrin, ainsi que sa femme (la » résistance leur était impossible), il les engagea à se tran» quilliser; lui-même, il irait trouver Auguste et réprimerait » sa passion. Lorsqu'on apporta la litière dans laquelle la femme devait se jeter, Anthénodore y entra; puis armé >> d'une épée et ordonnant de tenir la litière exactement » close, il se fit ainsi porter à la chambre d'Auguste, et, au » moment où celui-ci ouvrait la litière, il s'élança, l'épée à la » main, en s'écriant: « Est-ce ainsi que tu ne crains pas que ▷ quelqu'un, entrant de la sorte, vienne te tuer2?»

D

Aurélius Victor va nous révéler des mœurs plus ignobles encore, écoutons :

« Bien qu'il fût très-sobre, pour le boire et le manger, et » qu'il s'abstînt en quelque sorte de dormir, il était esclave » des passions honteuses jusqu'à l'opprobre de la réputation ▷ la plus vulgaire. Car il avait l'habitude de coucher entre D 12 garçons corrompus et autant de jeunes filles. »

Cumque esset cibi ac vini multum, aliquatenus vero somni abstinens, serviebat tamen libidini usque ad probrum vulgaris famæ. Nam inter duodecim catamitos 3, totidemque puellas accubare solitus erat. (Aur. Victor, Cæsarum Epitome, c. 1, p. 455, in-4°, Amst., 1733).

Comme nous, Aur. Victor s'étonne de la grande sévérité

1 Dion, Hist. rom., 1. LVI, c. 43; trad. franç., t. vii, p. 127. Zonare, Annales, 1. x, c. 38; dans Pat. grecque, t. 134, p. 919.

Les anciens disaient Catamitus au lieu de Ganymedes. Voir Festus qui dit: Catamitum pro Ganymede dixerunt, qui fuit Jovis concubinus. Voir en outre Plaute, Men., sc. 11, act. 1, v. 35. Cicéron appelle Antoine Catamitum (Phil. 11), et Arnobe qui dit : Catamitus rapitur delicium futurus), dans Adversus gentes, 1. iv, c. 26; dans Patr. latine, t. v. p. 1058.

de cet homme, si corrompu, pour punir les vices qu'il pratiquait.

« Quoiqu'il fût livré à l'impudicité, il était cependant le trèsD sévère vengeur de ce vice, à la façon de ces hommes qui » sont très-âcres pour punir les vices auxquels ils se livrent » avec le plus de véhémence. Car il condamna à l'exil le poëte » Ovide Naso pour avoir écrit ses trois livres de l'Art d'aimer. D

Cumque esset luxuriæ serviens, erat tamen ejusdem vitii severissimus ultor, more hominum, qui in ulciscendis vitiis, quibus ipsi vehementer indulgent, acres sunt. Nam et poetam Ovidium, qui et Naso, pro eo quod tres libellos amatoriæ artis conscripsit, exilio damnavit (Aur. Victor, ibid.)

Ce n'est pas tout encore, une accusation bien plus infamante pèse encore sur lui. C'est son petit-fils Caligula, qui l'en accuse, au rapport de Suétone :

« Caligula ne voulut pas qu'on crût ou qu'on dît qu'il était >> petit-fils d'Agrippa, qu'il trouvait d'une naissance trop » obscure, et il se mettait en colère, si, dans un discours ou » dans des vers, on le plaçait au rang des Césars. Il allait › répétant que sa mère était le fruit d'un inceste d'Auguste » avec sa fille Julie.»

Agrippa se nepotem neque credi, neque dici ob ignobilitatem ejus volebat, succensebatque si qui vel oratione vel carmine imaginibus eum Cæsaruri insererent. Prædicabat autem matrem suam ex incesto, quod Augustus cum Julia admisisset, procreatam (Sueton., Caligula, c. xx:11).

Ce qui donne créance à cette accusation, ce sont les plaintes d'Ovide qui plusieurs fois donne, pour cause de son exil, la publication de son Art d'aimer, et le malheur d'avoir vu des choses qu'il n'aurait pas dû voir:

• Deux choses m'ont perdu, mes vers et mon imprudence; » et il faut que je taise la faute d'un autre.»>

Perdiderint quum me duo crimina : carmen et error;
Alterius facti culpa silenda mihi (Trist., 11, 207).

Et ailleurs:

« Pourquoi ai-je vu certaine chose? Pourquoi ai-je eu des regards coupables? Pourquoi, imprudent, ai-je connu une » faute? »

Cur aliquid vidi? cur noxia lumina feci? ·

Cur imprudenti cognita culpa mihi (Ibid., 103).

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