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Il cite le P. Matignon, élève du Collége Romain et l'un des rédacteurs des Etudes théologiques, publiées par les PP. Jésuites de Paris qui va jusqu'à dire que « le doute méthodique » n'est au fond que la marche suivie constamment par >> saint Thomas et par la scholastique... Tout en ajoutant >> que Descartes a pu sans doute errer en bien des points et » s'attirer justement la censure de Rome. »

Enfin M. l'abbé Chandonnet cite encore un très-long extrait de M. l'abbé Rohrbacher: « Je cite cet auteur, dit M. Chan» donnet, parce qu'il est un des amis des Traditionalistes, des » Thomistes et d'autres istes.» Or M. l'abbé Rohrbacher assure que toute la philosophie de Descartes est contenue dans ce principe:

Évitant les longs circuits des raisonnements ordinaires, Descartes espère atteindre en trois pas ces grands renégats de la raison naturelle, les sceptiques, les athées et les matérialistes, les saisir par leur doute même, et leur montrer que, tant qu'ils ne connaîtront pas l'existence de Dieu, toutes leurs sciences n'ont aucune certitude raisonnée '.

Ne pouvoir admettre aucune certitude quelconque avant de connaître l'existence de Dieu; certes aucun Traditionaliste n'est jamais allé jusque-là; car que de choses qui sont certaines pour l'enfant avant cette connaissance! Cependant M. Chandonnet déclare respecter cette doctrine. Mais alors qu'a-t-il prouvé contre les Traditionalistes ?

IV

Après avoir publié cet extrait de ses 3 premières conférences, M. l'abbé Chandonnet mit 4 mois à publier l'extrait de la 4o, qui ne parut que dans l'Evénement du 1er mai 1868. Il eut sans doute besoin d'en mesurer tous les termes et nous allons connaître toute sa pensée.

Cette conférence est divisée en deux parties: la 1re traite du naturel des Romains actuels, de leur intelligence et de leur travail. Il n'est pas inutile d'en donner quelques extraits:

Laissez-moi dire en passant qu'au physique, les Romains sont grands, gros, carrés, d'un type quelque peu massif; ils ressemblent bien encore aux statues de leurs ancêtres.

Au moral, le Romain ne manque pas de grandes et belles qualités. Il est paisible, parlant bas; mais avec beaucoup de douceur et de facilité. Il est fier,

'L'Événement du 15 janvier 1868.

surtout d'être Romain. Pour lui, Rome, c'est le monde. A un point de vue il n'a pas tort, puisque le monde est incessamment chez lui. Il est satyrique : on le craint en Italie, bien qu'il préfère avant tout se moquer de la faconde française, de la Furia francese.

Il aime à s'amuser, mais sans éclat. Dans ces divertissements populaires si fréquents à Rome, on voit les Romains réunis par milliers sur les places publiques; pas un cri, pas un éclat, pas une rixe. A chaque chose qui les frappe, ils se contentent de répéter joyeusement aux voisins : Bello! quanto bello!

Mais le plus beau côté de la nature italienne, en particulier des Romains, c'est l'intelligence. Elle réunit trois qualités qui se retrouvent difficilement ailleurs : elle est vive, profonde, modérée.

Après les Romains, M. Chandonnet parle de l'Angleterre << où l'on juge trop des choses au point de vue de la puissance >> matérielle»; puis de la France qu'il déprime avec un sans-façon, qui donne bien le droit de l'être à son égard. A l'entendre:

Le nom de Français nous fascine, leur faconde nous en impose; nous prenons trop souvent pour de la science leur manie de trancher à gauche et à droite; pour de la profondeur, la promptitude et la légèreté de leurs décisions... Quand on vient dire que leur philosophie est profonde, leur théologie large et autorisée, leurs recherches historiques même, assez laborieuses, leurs lettres plus brillantes aujourd'hui qu'autrefois, je ne puis m'empêcher de protester.

C'est encore pire pour les établissements ecclésiastiques : Il est un fait indéniable, c'est qu'il n'y a pas dans toute la France, aujourd'hui et depuis assez longtemps, une seule Université, une seule École supérieure de philosophie, une seule École supérieure de théologie, je parle d'écoles publiques.

Ceci, comme on voit, s'adresse à votre Université, à votre Ecole de hautes études ecclésiastiques des Carmes, et je laisse leurs directeurs remercier M. l'abbé Chandonnet dont la haute intelligence juge en dernier ressort.

La partie de cette conférence a pour titre :

Un mot maintenant de l'esprit catholique des Romains. Et il y parle ainsi de la brochure de M. Georges Saint-Aimé, dont je vous ai donné un large extrait dans ma dernière lettre et qui a pour titre :

Lettre à Mgr Baillargeon sur la question des classiques, et commentaire sur la lettre du cardinal Patrizzi.

Dans une brochure qu'il eût fallu brûler sur la place publique, si elle eût seulement mérité de passer par le feu, bien honteuse aujourd'hui d'avoir été mise en face de la lettre d'un évêque, l'on disait que le Paganisme ayant plongé

dans le sol romain des racines plus profondes qu'ailleurs, il n'est pas étonnant qu'elles y aient conservé plus longtemps leur énergie naturelle et même laissé des traces qui ne sont pas encore effacées.

Quel délire! ajoute M. l'abbé Chandonnet.

C'est avec cette violence, ces mots d'insulte et de mépris, que M. l'abbé Chandonnet attaque les partisans des études chrétiennes et en particulier M. George Saint-Aimé. Il était naturel que celui-ci répondit à cette attaque. Il l'a fait dans une brochure de 56 pages ayant pour titre :

Réponse aux dernières attaques dirigées par M. l'abbé Chandonnet contre les partisans de la Méthode chrétienne, et commentaire sur des documents authentiques, qui dévoilent les machinations de MM. les abbés Chandonnet et Benjamin Pâquet.

Cette réponse est divisée en deux parties dans la 1" M. George Saint-Aimé répond à l'attaque grossière dirigée directement contre lui, et d'abord il pose la question des classiques telle qu'elle doit être posée, à savoir:

<< Les Saintes-Ecritures, les écrits des Pères de l'Eglise, dans >> les parties qui sont à la portée des jeunes gens et qui leur » conviennent, les Vies des Saints, voilà ce qui doit faire le » fond des études classiques. Quant aux auteurs païens, les » partisans de la réforme chrétienne demandent avec instance » qu'ils soient parfaitement expurgés, ab omni labe purgati, » avant d'être mis aux mains des jeunes gens (p. 4).

» Chose incroyable, ajoute M. de Saint-Aimé, au moment » même, où M. l'abbé Chandonnet stigmatisait la Méthode » chrétienne des études, il préconisait en présence des jeunes » élèves en philosophie Descartes, mis à l'index pour d'excel» lentes raisons (p. 5). »

Cela en effet paraît un peu singulier de la part d'un prêtre qui arrivait récemment de Rome. Mais nous allons voir qu'il en apportait peu, très-peu de respect pour ce respectable tribunal.

Je ne suivrai pas M. George Saint-Aimé dans cette partie de зa polémique où il prouve que sa précédente brochure n'est pas tout à fait digne d'être jetée au feu. Il me suffit de l'avoir analysée longuement dans ma précédente lettre, et montré assez clairement, ce me semble, que les raisons qui y étaient

exposées méritaient autre chose que de passer par le feu. La réponse, il faut le dire, est incisive, âpre, triomphante; plus, je puis dire, qu'il ne fallait. Mais nous venons de voir que l'attaque était pour le moins aussi excessive. Je n'en citerai que deux extraits. Le premier a rapport à l'objection d'avoir dit que les études païennes sont encore enseignées à Rome : Il n'y a pas, dit M. G. Saint-Aimé, rigoureusement parlant, Paganisme d Rome, c'est vrai; mais, d'un autre côté, il est incontestable que si l'on n'y rencontre pas publiquement organisée l'idolâtrie toute crue des anciens Romains, on y trouve pour sûr le Paganisme littéraire et artistique. La preuve, s'il en faut une, a été donnée par nos adversaires eux-mêmes, par M. l'abbé entre autres. On se rappelle en effet qu'on fit publier l'an dernier le programme d'études du Collège romain, qu'on prétend être la première des Institutions, l'institution modèle à Rome'. Or, dans ce programme, ce sont presque tous des auteurs païens qui figurent. Que M. l'abbé ose donc dire à présent qu'il n'y a pas de Paganisme littéraire à Rome, c'est-à-dire, que l'enseignement ne s'y donne pas presque exclusivement au moyen d'auteurs paiens. C'est cela seul que nous avons soutenu et certes nous sommes encore prêt à le soutenir (p. 16).

Et ici M. Saint-Aimé cite un détail nouveau, qui me semble devoir être consigné dans vos Annales, la seule revue qui contienne loyalement tous les documents ayant rapport à la réforme de l'enseignement. Le voici.

V. Projet de réforme de l'enseignement à Rome et approuvé d'abord par S. S. Pie IX.

M. Saint-Aimé continue:

Si M. l'abbé Chandonnet, pour éviter de tirer les mêmes conclusions pratiques que nous, c'est-à-dire qu'il faut une réforme dans l'enseignement, s'avisait de dire que ce Paganisme littéraire n'exerce et ne peut exercer aucune influence mauvaise sur le cœur et l'esprit des jeunes gens, nous lui demanderions de relire le Discours qu'a prononcé Mgr d'Aquila à l'Académie de la Religion catholique à Rome, en septembre 1864 2. Il pourra se convaincre par cette lecture que le système païen n'offre de garanties nulle part, pas même à Rome.

Si, malgré cela, il reste encore incrédule, nous lui rappellerons un fait trèscertain dont il a dû entendre parler, lui pour qui la Ville Éternelle ne semble pas avoir de secrets. C'était avant la révolution de 1848. Pie IX, qui venait de monter sur le trône pontifical, avait résolu d'opérer plusieurs réformes et

1 Il a été cité dans ma précédente lettre avec l'observation qu'il n'y a pas un seul auteur chrétien; ce qui prouve qu'il est falsifié, puisque les auteurs chrétiens figurent dans le Ratio studior. des Jésuites. Voir Annales, t. xvi, P. 126.

2 Voir ce discours dans les Annales, t. xi, p. 313 et 379 (5o série).

entre autres une réforme dans l'enseignement. Comme le P. Ventura avait déjà émis des idées sur ce grave sujet, le Pape le fit venir au Quirinal, puis lui demanda un exposé complet de son système. Le savant théatin développa alors et longuement toute sa thèse qui n'est autre que celle de Mgr Gaume. Pie IX l'écouta avec un très-vif intérêt et une satisfaction des plus marquées. « C'est très-bien, lui dit-il ; j'adhère parfaitement à toutes les idées que vous » venez d'émettre. Allez donc, retournez à votre couvent, puis rédigez-moi un » projet de bulle qui renferme toute la substance de la thèse qui concorde si ⚫ bien avec ma manière de voir. Quand votre travail sera terminé, vous me » l'apporterez et je l'examinerai. »

A ces dernières paroles de Pie IX, le P. Ventura surpris, s'excusa ; il voulut décliner l'honneur que lui faisait Sa Sainteté; il allégua que d'autres plus habiles pourraient bien mieux que lui exécuter un pareil travail. Mais Pie IX insista; il lui enjoignit même de rédiger de suite ce projet de bulle. Le P. Ventura se mit donc à l'œuvre et, au bout de quinze jours, il avait tout terminé et remis entre les mains du Pape qui, après l'avoir remercié avec affection, lui dit : « Je vais maintenant examiner la chose avec attention, puis dans quelque » temps d'ici je vous manderai de nouveau. »

Plusieurs semaines se passèrent et le P. Ventura n'entendit parler de rien. Enfin, trois mois s'étant écoulés sans plus de nouvelles de son projet de bulle, il prit la résolution de se rendre au Quirinal et de savoir, s'il était possible, la cause de ce silence prolongé. Pie IX ne lui en fit pas mystère; il lui dit que ses idées étaient bien encore les mêmes, mais qu'il avait jugé qu'il fallait attendre des circonstances plus favorables pour la publication de cette bulle. « Les esprits, ajouta Pie IX, ne sont pas assez préparés, à Rome surtout où la » méthode, suivie par les Jésuites et à laquelle ils tiennent beaucoup, est » toute païenne. Il faut attendre et déblayer le terrain. Je conserve votre pro» jet de bulle et j'en ferai usage quand les circonstances le permettront. »

Voilà un fait bien certain, il est plus que significatif, il dirime la question. Comme on doit raisonnablement supposer que le Pape sait au moins aussi bien que M. l'abbé Chandonnet ce qui se fait à Rome, il est donc indubitable que la méthode païenne y est en vigueur et que de plus le Pape actuel, comme ses prédécesseurs, ne la voit pas d'un bon œil, il ne fait que la tolérer. Aussi a-t-il toujours fortement encouragé ceux qui ont prêché la croisade contre le Paganisme dans l'éducation, notamment Mgr Filippi et Mgr Gaume. Ce dernier même écrivait l'an dernier à l'un de ses amis une lettre dont nous nous faisons un devoir de donner l'extrait suivant :

• Permettez-moi de tout attendre de votre dévouement à notre grande et » sainte cause (la réforme chrétienne de l'enseignement). Je la nomme ainsi » pour bien des raisons, entre autres parce que le Saint-Père me faisait écrire, il n'y a pas encore bien longtemps : DITES-LUI DE NE PAS SE DÉCOURAGER, » QUE LA CAUSE QU'IL DÉFEND EST la cause de Dieu (p. 16). >>

J'ai cru que ce détail, ignoré jusqu'ici, méritait de trouver place dans vos Annales1.

'A ce témoignage nous pouvons ajouter que nous avons entendu nous

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