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SATIRE VII.

LA QUERELLE DE RUPILUS ET DE PERSIUS.

Je ne crois pas qu'à Rome il soit une boutique
Où l'on n'ait raconté la querelle héroïque
D'un certain Persius, coquin de bas aloi,
Avec un Rupilus, qu'on surnommait le Roi.
Plus méchant, plus amer, que Septime et Sisenne,
Persius, l'usurier, connu dans Clazomène,
Plaidait, devant Brutus, contre ce Roi fameux,
Un procès qui faisait peu d'honneur à tous deux.

Le moyen d'accorder de semblables parties,
Lorsque force et valeur sont si bien assorties?
Diomède en Glaucus n'a qu'un faible rival,
Et termine bientôt un combat inégal;

On

peut faire la paix entre deux misérables:
Mais égaux, et tous deux de céder incapables,
L'impétueux Achille et l'homicide Hector
Ne se séparent point qu'un des deux ne soit mort.

Devant le grand Brutus, qui gouvernait l'Asie,
Nos lutteurs, accouplés comme Hidaspe et Sosie,
Se donnent fièrement le signal du combat:
Beau spectacle, en effet, pour un tel magistrat.

Persius d'un air grave exposa son affaire;
Il compara Brutus au Dieu qui nous éclaire;
(On rit) les sénateurs, aux astres radieux;
Et, comme il n'était pas prêt à quitter les cieux,
Il dit que Rupilus était ce chien funeste

Qui répand sur nos champs la disette et la peste.

Invisum agricolis sidus, venisse. Ruebat

Flumen ut hibernum, fertur quò rara securis.

Tum Prænestinus salso multùmque fluenti Expressa arbusto regerit convicia, durus Vindemiator et invictus, cui sæpè viator Cessisset, magnâ compellans voce cucullum. At Græcus, postquam est Italo perfusus aceto, Persius exclamat: Per magnos, Brute, Deos te Oro, qui reges consueris tollere, cur non

Hunc Regem jugulas? operum hoc, mihi crede, tuorum est.

SATYRA VIII.

OLIM truncus eram ficulnus, inutile lignum,
Cùm faber, incertus scamnum faceretne Priapum,
Maluit esse Deum. Deus inde ego, furum aviumque
Maxima formido: nam fures dextra coërcet,
Obscœnoque ruber porrectus ab inguine palus;
Ast importunas volucres in vertice arundo
Terret fixa, vetatque novis considere in hortis.

Huc priùs angustis ejecta cadavera cellis
Conservus vili portanda locabat in arcâ:
Hoc miseræ plebi stabat commune sepulcrum,
Pantolabo scurræ, Nomentanoque nepoti.
Mille pedes in fronte, trecentos cippus in agrum
Hic dabat; heredes monumentum ne sequeretur.
Nunc licet Esquiliis habitare salubribus, atque

Sa rapide éloquence et ses bons mots amers
Coulaient comme un torrent grossi par les hivers.

Mais le roi Rupilus, cet orateur caustique, Qui dans les cabarets a fait sa rhétorique, Lui renvoya soudain tous les mots agaçans Dont les valets grossiers accablent les passans. L'autre, à qui l'on rendait injure pour injure, S'écrie: «< Au nom des Dieux, Brutus, je t'en conjure, « Toi, qui punis les rois, tu devrais bien aussi «Sous tes coups, à l'instant, écraser celui-ci. »

SATIRE VIII.

LES SORCIÈRES.

Je fus jadis un tronc de stérile figuier.

« Mauvais bois, qu'en ferai-je? un banc? dit l'ouvrier.
« Il est bon pour un Dieu, j'en veux faire un Priape. »
Sitôt dit, sitôt fait: de la hache il me frappe,
Et me voilà depuis, consacré par sa main,
Effrayant les oiseaux au milieu d'un jardin.
Or ce jardin jadis était un cimetière

Où les valets de Rome, empruntant une bière,
Jetaient leurs compagnons. C'est là que sont venus
Le bouffon Déméa, le prodigue Alfénus.
Depuis, l'art sut changer, à la voix de Mécène,
En parc majestueux cette terre malsaine.

Quelques voleurs encore et d'importuns oiseaux,
Bravant mon pieu terrible, y troublent mon repos:
Mais ma plus grande peine est de donner la chasse
A ces vieilles Circés dont la coupable audace,

Aggere in aprico spatiari, quo modò tristes
Albis informem spectabant ossibus agrum:
Cùm mihi non tantùm furesque feræque, suetæ
Hunc vexare locum, curæ sunt atque labori,
Quantùm carminibus quæ versant atque venenis
Humanos animos. Has nullo perdere possum
Nec prohibere modo, simul ac vaga luna decorum
Protulit os, quin ossa legant herbasque nocentes.

Vidi egomet nigrâ succinctam vadere pallâ Canidiam, pedibus nudis passoque capillo, Cum Saganâ majore ululantem. Pallor utrasque Fecerat horrendas aspectu. Scalpere terram Unguibus et pullam divellere mordicus agnam Cœperunt; cruor in fossam confusus, ut inde Manes elicerent, animas responsa daturas. Lanea et effigies erat, altera cerea : major Lanea, quæ pœnis compesceret inferiorem. Cerea suppliciter stabat servilibus, utque Jam peritura, modis. Hecaten vocat altera, sævam Altera Tisiphonen. Serpentes atque videres Infernas errare canes; Lunamque rubentem, Ne foret his testis, post magna latere sepulcra. Mentior at si quid, merdis caput inquiner albis Corvorum, atque in me veniat mictum atque cacatum Julius et fragilis Pediatia, furque Voranus!

Singula quid memorem? quo pacto alterna loquentes Umbræ cum Saganâ resonarent triste et acutum? Utque lupi barbam variæ cum dente colubræ Abdiderint furtim terris, et imagine cereâ

Pour troubler les vivans, vient, malgré mes efforts, Remuer en ces lieux la poussière des morts.

Sitôt que de son char Phébé silencieuse Jette sous ces bosquets une clarté douteuse, Une pâle sorcière, avec des hurlemens, Vient cueillir les poisons parmi les ossemens. Hier encore, hier, Sagane et Canidie Vinrent faire à mes yeux un sortilége impie, Et, les cheveux épars, le sein et les pieds nus, Troubler ces bois de cris prolongés et confus. Une affreuse sueur couvrait leur front livide. De leurs ongles crochus creusant le sable humide, Je les vis enterrer les membres palpitans D'une noire brebis que déchiraient leurs dents; Et du bord de la fosse une voix sépulcrale Interrogeait les morts sur la rive infernale. Une image de cire, au regard innocent, Suppliait à genoux un spectre menaçant. Des sorcières alors toute la rage éclate : L'une appelle Alecton; l'autre, la triple Hécate. Vous eussiez vu soudain la terre s'entr'ouvrir, Les chiens boire le sang, les couleuvres bondir, Les bois gémir au loin, et Phébé pâlissante Dérober aux mortels sa lumière tremblante. Si je mens d'un seul mot, qu'à me nuire obstinés, Tous les corbeaux du ciel se perchent sur mon nez! Que ce coquin de Jule et Myrrha la fragile

De leurs sales amours infectent mon asile!

Mais conterai-je encor les longs gémissemens
Des mânes appelés à ces enchantemens?
Dirai-je que Sagane enfouit sous la terre

La barbe d'un vieux loup, les dents d'une vipère?
Dirai-je que la cire à mes yeux s'agita,

Et comment tout-à-coup ma vengeance éclata 2

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