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cette affaire devait donner lieu; il déterminait simplement le point de droit qui devait faire la loi du litige; quant à l'examen du fait, il en chargeait quelqu'un des juges privés qu'il avait à sa disposition. On peut douter qu'il y ait eu des judices privati au temps des rois '; mais les premières notions un peu exactes que nous possédions sur la procédure romaine supposent l'existence de cette institution; c'est d'ailleurs la seule manière de comprendre comment un si petit nombre de magistrats pouvait suffire à l'administration de la justice.

L'objet de la demande influait sur le choix du juge: en certains cas on ne nommait qu'un seul judex; en d'autres c'étaient des recuperatores qui jugeaient ". Ces juges (nommés arbitri en certaines circonstances") étaient à l'origine pris parmi les sénateurs presque exclusivement 10. Tenir dans ses mains les intérêts privés, c'était un moyen de puissance trop réel pour que l'aristocratie romaine le négli– geât. Plus tard, par suite de changemens dont Caius Grac

Ces juges du fait se nommaient judices, VARRO, de Ling. lat., V, 7. Dico originem habet græcam quod Græci SixáTMw... Hinc dicare, hinc judicare quod tunc jus dicatur, hinc judex quod judicat accepta potestate, id est quibusdam verbis dicendo finit.

7 Cic., de Rep., V, 2 (sup., n. 1). DENYS, IV. 25.

8 GAIUS, IV, 104, 105, 109. Inf., n. 70.

9 Cic., pro Murena, XII. Jam illud mihi quidem mirum videri solet, tot homines, tam ingeniosos, per tot annos etiam nunc statuere non potuisse, utrum diem tertium an perendinum, judicem an arbitrum, rem an litem, dici oporteret.- Pro Rosc. comad., c. 9.- Pro Rosc. Amerin., c. 39. - GAIUS, IV, 163, 165. — FESTUS, Arbiter dicitur judex qui totius rei habeat arbitrium et facultatem. Taxat verbum ponitur in his quæ finiuntur quoad tangi liceat; in litibus quoque (judici) arbitrove cum proscribatur quod ei jus sit statuendi. - De là l'expression judex arbiterve dans la Loi des XII Tables (A. GELL., XX, 1) et la formule judicem arbitrumve postulo. On trouve aussi dans les nota de Valerius Probus, T. J. A. V. P. U. D. ( Tempore judicem arbitrumve postulo ut des.)

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10 POLYB., VI, 17. Τὸ δὲ μέγιστον, ἐκ ταύτης (συγκλήτου) αποδίδονται κριταὶ τῶν πλείστων καὶ τῶν δημοσίων καὶ τῶν ἰδιωτικῶν συναλλαγμάτων, ὅσα μέγεθος ἔχει τῶν ἐγκλημάτων, -- PLAUT., Rudens, III, 4, v. 7, 8.

chus donna le premier exemple ", le préteur de la ville 12 fut chargé de dresser tous les ans une liste qui comprenait un certain nombre de juges 13 choisis" parmi les citoyens à qui la loi donnait capacité d'exercer cette importante fonction. Le nom de ces judices selecti était publié en caractères noirs sur un tableau blanchi (album) 18. Depuis la loi Aurelia, cet album fut divisé en trois décuries, distinguées chacune par un nom différent 10. Auguste porta le nombre de ces décuries à quatre, Caligula l'éleva jusqu'à cinq ". Était-ce bien

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"Voyez sur ces modifications politiques l'Histoire de la constitution romaine de WALTER, chap. 23.

12 CIC., pro Cluent., c. 43. Prætores Urbani, qui jurati debent optimum quemque in selectos judices referre.

15 CIC., ad Famil., VIII, 8, cite un sénatus-consulte d'où semble résulter que cette liste de judices comprenait trois cents noms; Vell. Pat. II, 76, PLUT., Pomp., c. 55, font monter cette liste à trois cent soixante noms; Cic., ad Att., VIII, 16, dit que les judices sont au nombre de huit cent cinquante. Depuis le règne d'Auguste les listes comprirent environ quatre mille noms. PLINE, Hist. nat., XXXIII, 7. Judicum quoque non nisi quatuor decuriæ fuere primo: vixque singula millia in decuriis inventa sunt, nondum provinciis ad hoc munus admissis : servatumque in hodiernum est, ne quis e novis civibus in iis judicaret. Decuriæ quoque ipsæ pluribus discretæ nominibus fuere, tribunorum æris, et selectorum, et judicum.

14 De là le nom de judices selecti, ou de selecti simplement. HORAT., sat., I, 4, v. 123. ORELLI, Inscr., no 3755. L. Mamilius, L. L. Faustus Sevir Aug. Mamiliæ Actæ Uxori, L. Mamilio, L. F. Arn. Modesto selecto et decurioní, vivo sibi et libertis suis fecit, no 3899, ibid. Dans les procès où figurait un peregrinus, il pouvait arriver que le judex ne fût pas pris sur l'album et fût lui-même un simple peregrinus, GAIUS, IV, 105.

13 L. Servilia, c. 6. Qui a prætore h. 1. CDL viri in eum annum lecti erunt, ea nomina omnia in tabula, in albo, atramento script... patrem, tribum cognomenque tributimque descriptos habeto, cap.7, ibid. SUETONE, Claud, XVI, PLINE, Hist. nat. præf., font mention de cet album judicum, ainsi que SÉNÈQUE, de Beneficiis, III, 7, § 6. Ubi vero inter disputantes ratio jus dicet... non potest ad hæc sumi judex ex turba selectorum, quem census in album, et equestris hereditas misit. 16 PLINE, Hist. nai., XXXIII, 7 (sup., note 13).

17 Les inscriptions font souvent mention des quatre et des cinq décuries.

les juges des affaires civiles que comprenaient ces listes? Cela n'est pas douteux, au moins depuis le règne d'Auguste 18. La fonction de juge était un service d'intérêt public qu'on ne pouvait refuser 19. Il y avait du reste certaines incapacités 20 comme aussi certaines excuses" qui écartaient

ORELLI, Inscr., no 3155. C. Nonio, C. F. An. Capiano equo ex quin... decuriis judicum...— no 3156. P. Ennio, P. F. Hor. Basso æd., bis, II, vir j(uri) dicundo), quinque pont(ifici) Quæstori IV, cur(atori) Pec Pub., judici IX (novies) dec (uriis) quing(uc), n° 3877. P. Virgilio..., II, vir j. d., Præf. fabr(orum), judici de IIII decuriis equiti selectorum privatisque... 3899, M. Oppio Capitoni... equo publ... judici select.

ex V decur.

18 C'est ce qui résulte de SUET., Octav., c. 32. Ad tres judicum decurias quartam addixit ex inferiore censu; quæ ducenariorum vocaretur, judicaretque de levibus summis.-SENEC., de Benef., III, 7.—GELLIUS, XIV, 2. Pour les temps antérieurs ce qui fait quelque difficulté, c'est qu'à une époque où la loi Sempronia excluait les sénateurs, il est fait mention d'un consulaire comme judex. Cic., de Offic., III, 19; et, d'autre part, il est fait mention d'un chevalier comme judex à une époque où les lois de Sylla n'admettaient que les sénateurs à cette fonction. Cic., pro Roscio com., c. 14.

19 L. 13, § 2, D. L. 5. Qui autem non habet excusationem, etiam invitus judicare cogitur. § 3. Si post causam actam cœperit se excusare judex, si quidem privilegio, quod habuit, antequam susciperet judicium, velit se excusare, nec audiendus est; semel enim agnoscendo judicium renuntiat excusationi. Quodsi postea justa causa incidit, ut judex vel ad tempus excusetur, non debet in alium judicium transferri, si cum captione id futurum est alterutrius. Tolerabilius denique est interdum judicem, qui simul cognoverat, tantisper expectare, quam judici novo rem rursum judicandam committere. L. 18, § 14. D. L. 4, judicandi quoque necessitas inter munera personalia habetur.

20 L. 12, § 2, de Judiciis, D. V, 1. Non autem omnes judices dari possunt ab his, qui judicis dandi jus habent: quidam enim lege impediuntur, ne judices sint, quidam natura, quidam moribus. Natura ut surdus, mutus, et perpetuo furiosus, et impubes, quia judicio carent. Lege impeditur qui senatu motus est. Moribus feminæ et servi, non quia non habent judicium, sed quia receptum est ut civilibus officiis non fungantur. § 3. Qui possunt esse judices, nihil interest, in potestate, an sui juris Fragm. Vatic., § 194.

sint.

21 L. 6, § 8. D. de Excus., XXVII, 1. Est autem imperatoris Commodi constitutionibus inscriptum capitulum ex epistola Antonini Pii... sunt

cette charge civique; une des excuses principales était le privilége de la paternité 22. Les empereurs, en vertu de leur puissance censoriale, avaient la surveillance des listes 23.

A Rome il y avait pour l'administration de la justice des sessions 24 d'été et des sessions d'hiver 25. Dans les provinces, l'époque des réunions dépendait de celle du conventus. Le juge qui manquait à l'appel de son nom 2 était puni d'une amende 27.

En chaque litige, le choix du judex avait lieu de l'accord des deux parties 2, soit qu'elles demandassent le juge nominativement 29, soit qu'elles ne récusassent pas celui que leur

autem hæc verba : Consimiliter autem his omnibus Divus pater meus mox ingrediens principatum constitutione existentes honores et immunitales firmavit, scribens philosophos, rhetores, grammaticos, medicos immunes esse a ludorum publicorum regimine, ab ædilitate, a sacerdotio, a receptione militum, ab emptione frumenti, olei, et neque judicare, neque legatos esse, neque in militia numerari nolentes, neque ad alium famulatum eos cogi.

22 SUÉTONE, Claud. 15.-L. 1. pr. D. de Vacat., XXV, 5. Omnis excusatio sua æquitate nititur; sed si prætendentibus aliquod sine judice credatur, aut passim sine temporis præfinitione, prout cuique libuerit, permissum fuerit se excusare, non erunt, qui munera necessaria in rebus publicis obeant. Quare et qui liberorum incolumium jure a muneribus civilibus sibi vindicant excusationem, appellationem interponere debent; et qui tempora præfinita in ordinem ejusmodi appellationum peragendo non servaverint, merito præscriptione repelluntur. - Frag. Vat. § 197. 23 PLINE, Hist. nat., XXIX, 8.- SUET., Claud., 15, 16.-Domit., c. 8. 24 Ce temps de session se nommait rerum actus. SUET., Octav., 32. PLINI, Ep. Eia tu, quum proxime res agentur, quoquo modo ad judicandum veni. GAIUS, II, 279. Item de fideicommissis semper in urbe jus dicitur de Legatis vero cum res aguntur.

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25 SUET., Claud. 23. Rerum actum divisum antea in hibernos æstivosque menses conjunxit.

26 Faire cet appel se nommait citare judices. Cic., Phil.,V, 5. —PLINE, Epist., X, 66. Quum citarem judices, conventum inchoaturus, Flavius Archippus vacationem petere cœpit ut philosophus.

27 PLINE, Ep., VI, 29.

28 De là l'expression sumere judicem.Cic., pro Flacco, 21; pro Quint., 8. 29 QUINTILIEN, Inst. orator.,V, 6.-L. 80, D. de Judic. V, 1. Si in judicis nomine prænomine erratum est, Servius respondit, si ex conventione li

donnait le magistrat 30. Ce libre choix du juge était considéré comme une des plus sûres garanties de la liberté : « Neminem, dit Cicéron, voluerunt majores nostri, non modo de œstimatione cujusquam, sed ne pecuniaria quidem de re minima esse judicem, nisi qui inter adversarios convenisset 31. » Le juge ainsi désigné prêtait serment de remplir consciencieusement sa charge 2. Il lui était du reste permis de s'entourer d'un ou de plusieurs conseils, et ces conseils étaient d'ordinaire des jurisconsultes qui l'éclairaient sur la question de droit **.

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Il semble que les recuperatores fussent chargés de juger les affaires dont l'État désirait la prompte décision 5. Leur nomination se faisait immédiatement 56, et il n'était pas né

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tigatorum is judex addictus esset, eum esse judicem de quo litigatores sensissent. Proposer le juge se disait judicem ferre. Cic., de Orat., II, 70; Pro Rosc. comod, 15.

50 Le droit de récusation se disait rejicere, ejerare. Cic., in Verr., II. 12. PLINE, Panegyric., 36.

31 CIC., pro Cluentio, c. 43.

32 Cic., de offic., III, 10. l. 14, pr. C.; de Judic., III, 1. Cui enim non est cognitum antiquos judices non aliter judicialem calculum accepisse, nisi prius sacramentum præstitissent: Omnimodo sese cum veritate et legum observatione judicium esse disposituros.

35 C'est ce qui nous explique pourquoi en plusieurs de ses plaidoiries Cicéron s'adresse aux judices. Pro Quintio, c. 1, 2. Te C. Aquili et hos qui tibi in consilio adsunt... c. 2, c. 6, c. 10, c. 30, ibid.-In Verr., II, 2, 29. SUET., Tiber., 33. Domit., 8. GELLIUS, XII, 13.

34 GELL., XII, 13. Cum Romæ a consulibus judex extra ordinem dalus pronuntiare intra calendas jussus essem, Apollinarem Sulpitium, doctum hominem, percontatus sum an his verbis intra calendas, ipsæ quoque calendæ tenerentur... Cur, inquit, hoc me potius rogas, quam ex istis aliquem peritis studiosisque juris, quos adhibere in consilium judicaturi soletis? Tum illi ita ego respondi: Si aut de vetere, inquam, jure, aut recepto aut controverso, aut ambiguo, aut novo, aut constituto discendum esset, issem plane sciscitatum ad istos, quos dicis.-AM. MARC., XXIII, in fin. 35 GAIUS, IV, 185. Cic., Divinat., 17. VAL. PROB. Q. E. R. E. T. P. J. R. D. T. D. D. D. P. F. (Quanti ea res erit, tantæ pecuniæ judicium recuperatorium dabo, testibusque duntaxat decem denuntiandi potestatem faciam.)

36 PLINE, Ep., III, 20. Nam ut in recuperatoriis judiciis, sic nos in his comitiis, quasi repente apprehensi, sinceri judices fuimus.

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