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Au sein de la prairie ainsi des fleurs nouvelles De grâce et de beauté se disputent entre elles; Mais leurs fronts éblouis se courbent à l'instant Devant le jeune lis au regard éclatant, Honneur délicieux de l'empire de Flore,

Que du plus doux zéphir un baiser fit éclore.

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Sous l'auspice, à la voix d'un fameux cardinal, Au berceau de Louis étranger si fatal,

La scène vit éclore une muse ignorée,

Qui, tout à coup d'audace et d'orgueil enivrée,
Outragea le bon sens, brava toutes les lois,
Au son des instrumens fit entendre sa voix,
S'environna de pompe et de magnificence,
Au milieu des sanglots introduisit la danse,
Au sommet de l'Olympe alla chercher les dieux;
Et, toujours étendant son vol ambitieux,
Courut puiser encore au sein de Melpomène
L'amour, le désespoir, la vengeance, la haine,
Et tous ces demi-dieux, ces héros immortels,

Qui,

par de grands exploits, conquirent des autels. L'ignorance applaudit; Melpomène indignée Crut sa lyre sublime à jamais dédaignée, Et ses jeux imposans, la gloire des Français, Dans une injuste nuit éclipsés à jamais.

Cependant les Quinaults, les galans Fontenelles,

Apprirent à l'Amour la langue des ruelles;
La colère, en mesure, et soumise à l'archet,
Fit retentir les vers de l'innocent Danchet;
Dans leur antre odieux les Gorgones chantèrent;
Les démons, les héros, les dieux même sautèrent.
Des récits étonné, l'Olympe curieux
Voulut un certain soir en juger par ses yeux:
Ils descendent. Chacun, aux mortels invisible,
Au milieu du fracas attentif et paisible,
Tient son regard avide à la toile appliqué,
Comme un provincial fraîchement débarqué:
Tout oreilles, tout yeux. Mais un profond silence
Règne enfin dans la salle; et la pièce commence.
Dans le plus beau moment, du souverain des dieux
Retentirent au loin les ris harmonieux;

Et Neptune et Pluton coup sur coup lui répondent.
Le parterre s'en plaint; les amateurs en grondent;
L'orchestre s'en émeut, mais en vain : ses éclats
Bientôt gagnent Mercure et le dieu des combats,
Et l'amant d'Erigone, et Diane, et son frère,
Minerve, qui, dit-on, ne rit pas d'ordinaire,
Et l'antique Cybèle et la prude Junon.
Vulcain riait surtout à perdre la raison;
Vénus rit bien un peu, mais ne put se défendre
D'aimer ces chants heureux, ce langage si tendre,
Ces soupirs, ces regards, ces gestes cadencés,
Ces nymphes dont les pas mollement élancés,
Dont les yeux, enflammés de plaisir, de jeunesse,

Portent dans tous les sens une amoureuse ivresse;
Et ces bons Turcarets, tant de fois ruinés,
Sous le joug séducteur tant de fois ramenés;
Et ces jeunes Médors aux furtives caresses,
Amis des Turcarets, surtout de leurs maîtresses;
Et partout à l'envi mille et mille beautés
Appelant, captivant les regards enchantés.

Combien d'auteurs, séduits à son éclat frivole,
Ont en foule adoré l'extravagante idole!
Au-dessus des premiers est ce fameux Quinault,
Qui cependant n'est pas un auteur sans défaut.
En dépit de notre âge et même de Voltaire,
La critique envers lui ne fut point trop sévère.
En ses lâches écrits pouvait-elle admirer

Vingt mots à chaque instant prêts à se rencontrer?
Et ces nobles héros au ton de bergerie;

Et ce Roland, si doux même dans sa furie;
Et ce dieu, des Enfers aimable séducteur,
Comme un galant Français débitant la fadeur;
Et tout ce long fatras d'indécente morale
Si souvent habillée en prose triviale?
Au beau sexe en effet il a dû son renom.
A la table des dieux, un jour même, dit-on,
Des ris et des amours la charmante déesse,
A la voix attrayante, aimable, enchanteresse,
Du doucereux poète embellissant les vers,
Séduisit Apollon, qui jugea de travers.

Pourtant, bien qu'à l'excès on ait vanté sa gloire,
Il a des droits sans doute au temple de Mémoire:
Ses vers, presque toujours flasques et sans vigueur,
Sont faciles, coulans, tendres, pleins de douceur;
Mais, louangeur outré, d'une voix indiscrète
m'en faire un grand poète:

N'allez tout à pas

coup

Racine en frémirait; et, vengeur du bon sens,

Boileau rirait encor là bas à vos dépens.

Thalie eut le destin de la muse tragique :
Ses jeux furent soumis aux lois de la musique.
On s'avisa d'unir, pour comble de travers,
Le débit et le chant, la prose avec les vers.
Le parterre accueillit ce mélange barbare;
Et j'ai vu cependant un succès plus bizarre!

Du nectar champenois enfant capricieux,
Convive un peu malin, mais aimable et joyeux,
Sans nulle ambition, long-tems le vaudeville
Se plut à divertir et la cour et la ville.
Parfois on vit, au gré d'un railleur effronté,
Le sceptre et l'encensoir en proie à sa gaîté.
A ses dépens, dit-on, devenu moins caustique,
Détrompé d'un métier dangereux et critique,
Il écouta l'orgueil; et, du grand Tabarin
Enviant les honneurs et l'illustre destin,
Plus que Tabarin même enflammé pour

S'établit fièrement au préau de la foire;

la gloire,

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