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si elles ne sont pas encore usucapées? Et s'il revendique, triomphera-t-il malgré l'exception « ne præjudicium hereditati fiat inter actorem et venditorem,» par cette raison que le prix de ces objets n'est pas compris dans l'action en pétition d'hérédité (1), bien que les acheteurs évincés dussent se retourner contre le vendeur? Je pense que la revendication est possible, à moins que les acheteurs n'aient un recours contre le vendeur possesseur de bonne foi de l'hérédité. Que dire pourtant si ce vendeur se déclare prêt à défendre à la pétition d'hérédité, de telle sorte qu'on puisse l'actionner comme s'il possédait encore ces objets? C'est alors que l'exception commence à pouvoir être opposée par les acheteurs. D'ailleurs il est certain que si les choses ont été vendues à bas prix, et que le demandeur ait reçu de l'héritier apparent ce prix quel qu'il soit, on pourra dire a fortiori qu'il sera repoussé par une exception (2). Car si le possesseur verse aux mains de l'héritier véritable ce qu'il a touché des débiteurs hérédi

(1) Pour comprendre ce raisonnement, il faut se souvenir que les Romains n'admettaient pas qu'une causa major pût être jugée, même inter partes, à propos d'une causa minor. La pétition d'hérédité est une causa major (intérêt religieux, compétence des centum virs, etc.). Pour revendiquer, il faudrait démontrer que l'on est héritier, et que le vendeur ne l'était pas : cela ne se peut; il faut faire juger au préalable cette question.

Mais si la pétition d'hérédité ne peut pas être intentée par le véritable héritier, parce que l'héritier apparent ne possède aucune chose héréditaire, et ne s'en est pas enrichi, cette règle tombe. L'acheteur ne peut plus renvoyer le revendiquant à agir contre l'héritier apparent, puisque c'est impossible. Mieux vaut, en effet, abandonner les règles de la causa major et de la causa minor, qu'aboutir à un déni de justice.

(2) L'exception de dol, sans doute, car il ne peut s'agir ici de l'exception ne præjudicium..., etc., puisque la question entre l'héritier véritable et l'héritier apparent est déjà tranchée. On ne peut craindre de préjuger son règlement.

taires, ces derniers sont libérés dit Julien au livre 4 de ses Digestes, que le possesseur soit de bonne foi ou non, et même ils sont libérés ipso jure (1). »

158. On a depuis longtemps relevé et soupçonné dans ce texte l'expression « nisi regressum..., » etc. Cette incise, dit Mommsen, « non videtur esse Ulpiani. »>

Au point de vue de la forme, on ne peut guère lui faire qu'une seule critique nisi... habent n'est pas une tournure irréprochable au point de vue grammatical. Il faudrait habeant. Il est vrai que l'on trouve encore nisi avec l'indicatif dans un autre texte d'Ulpien qui ne paraît pas suspect, la L. 19 in fine D., Præscriptis verbis, 19, 5. Mais on pourrait toutefois répondre que dans ce dernier fragment, le fait prévu n'est pas considéré comme éventuel, ce qui légitime le mode indicatif.

On a critiqué aussi l'expression regressus ad. Mais ce reproche ne nous paraît pas reposer sur un fondement bien solide (2). Cette expression se rencontre dans des textes dont rien ne fait suspecter l'authenticité; ainsi chez Paul, L. 3 D., Ad senatusc. Velleianum, 16, 1: « qui damnatus regressum ad eam habeat, >> et dans un fragment de Venuleius, L. 25 § 1 D., Quæ in fraudem, 42, 8 : « nec ullum regressum habere ad mulierem. » Cette tournure. n'a donc rien de bien probant.

(1) En effet, l'héritier apparent en versant aux mains de l'héritier véritable ce qu'il a reçu des débiteurs, paye leur dette. Si ensuite ces débiteurs intentaient contre l'héritier apparent accipiens la condictio indebiti, il leur répondrait par l'exception de dol; il y a dol de leur part à réclamer, puisqu'ils sont libérés, leur paiement étant parvenu en définitive aux mains de leur créancier. Vis-à-vis de celui-ci, ils sont libérés par le paiement fait pour leur compte, et par suite, ipso jure. (2) V. plus haut ce qui a été dit du mot regressus, no 95.

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159. Mais c'est surtout sur des raisons de fond qu'on peut s'appuyer pour admettre l'interpolation.

Tout d'abord, refuser l'action en revendication contre l'acheteur s'il a un recours contre l'héritier apparent son vendeur, c'est là une exception qui est en contradiction manifeste avec les grandes règles de la revendication et de la pétition d'hérédité. Qu'on nous permette de les rappeler brièvement.

En principe, la pétition d'hérédité peut être intentée. contre celui qui possède pro herede ou pro possessore une chose ou un droit héréditaire.

Le sénatusconsulte Jouventien modifia ces règles en décidant:

1° Que la pétition d'hérédité procédera même contre celui qui a cessé de posséder par son dol.

2o Et même aussi contre celui qui a cessé de posséder sans dol, s'il s'est enrichi des valeurs héréditaires; par exemple s'il les a vendues, en a touché le prix et ne l'a pas dissipé. De même si les débiteurs héréditaires avaient payé entre ses mains (1).

Par conséquent le sénatusconsulte aggrave la position de l'héritier apparent dans tous les cas, même s'il est de bonne foi. En effet, il peut désormais être poursuivi jusqu'à concurrence de son enrichissement par l'héritier véritable, tandis qu'auparavant l'héritier véritable n'avait aucune action contre lui, puisqu'il ne possédait plus. Il ne pouvait être atteint que par le recours de ses acquéreurs évincés par l'héritier véritable, et par les débiteurs héréditaires obligés de payer deux fois, par la condictio indebiti. Ces recours, le sénastusconsulte n'en a pas parlé, il

(1) L. 16 § 1 D., hoc. tit.

ne les a pas supprimés; il ne leur a même pas porté atteinte indirectement, puisqu'il n'a modifié la situation du possesseur d'hérédité que vis-à-vis du véritable héritier, et en l'empirant. Cette remarque est essentielle.

160. Il suit de là que si l'héritier réel poursuivait tout d'abord les acheteurs à qui l'héritier apparent a vendu les choses héréditaires, il triompherait sur son action en revendication (en faisant abstraction pour un instant de l'exception «ne præjudicium fiat..., » etc.). Ces acheteurs se retourneraient contre l'héritier apparent, et obtiendraient de lui tout le préjudice causé. Tout le préjudice causé, disons-nous, et non pas seulement le montant de son enrichissement cette idée n'est pas à sa place ici, car c'est le véritable héritier qui peut lui demander, par une rigueur spéciale, cet enrichissement réalisé; il ne faut donc pas en conclure que cette mesure va profiter à l'héritier apparent, qu'on l'interprétera comme une mesure de faveur pour lui, et qu'en toutes circonstances, il ne rendra, soit à l'héritier véritable, soit à ses propres acheteurs, que son enrichissement. Ce serait une erreur, et le recours de ces acheteurs reste entier. Par voie de conséquence, l'héritier véritable va pouvoir revendiquer contre ces acheteurs, sans avoir à craindre qu'on ne lui oppose le prétendu droit de l'héritier apparent à n'être poursuivi que dans la limite du profit réalisé, droit qui serait violé si le revendiquant triomphait à cause du recours de l'acheteur évincé. Voilà le véritable droit romain à l'époque d'Ulpien.

161. Revenons maintenant à la question traitée dans notre texte.

L'héritier véritable n'a pas encore poursuivi le posses

seur d'hérédité, et il actionne les acheteurs en revendication. Ceux-ci peuvent lui opposer l'exception dont nous avons parlé, exception portant que l'action doit être repoussée si elle est de nature à créer un préjugé touchant le procès entre le demandeur et le vendeur, héritier apparent. Mais si le possesseur d'hérédité a vendu de bonne foi, si, de plus, il a dissipé le prix, on ne saurait opposer cette exception à l'héritier revendiquant. Celui-ci pourrait dire, en effet « Il est complètement inutile de me renvoyer à plaider contre l'héritier apparent; je reconnais que je perdrais mon procès contre lui, car je ne conteste pas sa bonne foi, et il est constant d'ailleurs qu'il a dissipé le prix qu'il a touché. » Et comme c'est précisément l'hypothèse où se place le jurisconsulte, on comprend à merveille qu'il ait conclu en ces termes : « Et puto posse res vindicari. » Aussi croyons-nous avec tout le monde que le texte a été respecté jusqu'ici.

Continuons notre commentaire en omettant le passage suspect, c'est-à-dire en reprenant depuis Quid tamen. Si l'héritier apparent, bien qu'ayant dissipé le prix, consentait à défendre à la pétition d'hérédité comme s'il possédait encore, l'acheteur pourrait-il se retrancher derrière l'exception « ne quid præjudicium fiat...? » Évidemment,

car dans ce cas l'héritier véritable est sûr d'obtenir satisfaction du moment qu'on défend à la petition d'hérédité, action réelle, c'est qu'on lui fournit la caution judicatum solvi. Il n'y a plus d'inconvénient à ce que les acheteurs opposent l'exception, et c'est bien l'opinion du jurisconsulte; il la leur donne expressément.

162. Seulement, il accorde l'exception en des termes qui sont révélateurs. Il dit : « Incipit exceptio locum ha

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