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jurisconsulte ne nous le rapporterait pas dans sa forme ancienne. Tout ce passage, au moins depuis sed obtinuit, est donc, non pas de cet auteur, mais bien de commission législative chargée de composer le Digeste.

9. Un troisième texte (1) (3, 2, 1), porte en fait de rubrique Julianus libro primo ad Edictum. Il ne fait que reproduire le texte de l'édit du Préteur, non pas qu'il soit tiré directement de l'édit lui-même, mais plus vraisemblablement du commentaire d'Ulpien. Ce qui est hors de doute, c'est qu'il n'appartenait pas à Julien, à qui les compilateurs l'attribuent, pour cette raison décisive que Julien n'a jamais fait de commentaire sur l'édit. Tout donne à croire que la rubrique de ce passage, portant le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage auquel il était emprunté, fut égarée par mégarde avant que l'on eût réuni tous les matériaux nécessaires pour composer le titre. Les compilateurs, voyant un fragment sans inscription, lui en donnèrent une de fantaisie, pour ne pas nuire à la symétrie. C'est ainsi que ce fragment est attribué au premier jurisconsulte venu, qui se trouve être Julien, et à un ouvrage imaginaire.

10. Nous avons dit qu'il est des interpolations qui comprennent jusqu'à des phrases entières en voici une, pour terminer ces exemples, qui n'a pas moins de six ou huit lignes, et qui est absolument manifeste. Elle se trouve dans la loi 25, Dig., Locati conducti, 19, 2, et se déduit avec évidence, si l'on rapproche de ce texte la loi 15, C., De contrahenda emptione, 4, 38. Voici, du reste, les deux fragments mis en regard :

(1) Krüger, op. cit., p. 453 in fine et note 6.

L. 25, pr., D. 19, 2.

« Si merces promissa sit << generaliter alieno arbitrio, locatio et conductio <«< contrahi non videtur; << sin autem quanti Titius «< æstimaverit, sub hac << conditione stare locatio« nem, ut si quidem ipse << qui nominatus est, mer« cedem definierit, omni<< modo secundum ejus æs«<timationem et mercedem << persolvi oporteat, et con«ductionem ad effectum « pervenire; sin autem ille << vel noluerit vel non po« tuerit mercedem defi<«< nire, tunc pro nihilo «< esse conductionem, quasi « nulla mercede statuta. »

L. 15, C. 4, 38.

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Super rebus venumdandis, <«< si quis ita rem comparavit, << ut res vendita esset, quanti Titius æstimaverit,..... cense<< mus..... quanti ille æstima<< verit, sub hac conditione stare « venditionem, ut si quidem <«< ipse qui nominatus est, pre«tium definierit, omnimodo «< secundum ejus æstimationem <«<et pretia persolvi, et vendi«tionem ad effectum pervenire «< ..... Sin autem ille vel nolue<«< rit vel non potuerit pretium << definire, tunc pro nihilo esse « venditionem, quasi nullo pre«tio statuto (1). »

Mot pour mot, les deux textes sont identiques, sauf que l'un traite du louage tandis que l'autre parle de la vente; le premier met locatio-conductio et merces, où l'autre met venditio et pretium.

C'est donc, ou bien que Justinien a inséré au Code un passage de Gaius, en le présentant comme une Constitution émanée de lui, véritable plagiat, qui n'est point dans ses

(1) Le texte du Code se termine par une phrase qui déclare les mêmes principes applicables au louage : Quod et in hujusmodi locatione locum habere censemus.

habitudes (1); ou bien, et c'est là la vérité, qu'après avoir rendu cette Constitution, il l'a insérée purement et simplement au Digeste, en l'intercalant dans un fragment de Gaius, mutatis mutandis.

L'identité des deux passages suffit à démontrer l'interpolation mais on peut fortifier cette preuve par une remarque secondaire. Non seulement les compilateurs ont copié, pour l'insérer dans Gaius, une Constitution impériale de l'an 530, mais encore la copie est maladroite, et le texte de ce jurisconsulte devient incorrect, ce qui décèle la retouche. En effet, la proposition infinitive « sub hac conditione stare locationem, » qu'on lui prête, n'est plus gouvernée par aucun verbe; tandis qu'au Code, où elle est à sa vraie place, elle est gouvernée par « censemus », et devient parfaitement correcte.

Nous ne connaissons pas ce que disait réellement Gaius. Ce fragment est tiré du livre dixième de son commentaire sur l'Édit provincial, qui ne nous est pas parvenu. Mais nous pouvons l'induire de deux passages de ses Institutes. On lit en effet aux §§ 140 et 143 du IIIa livre :

«< 140. Pretium autem certum esse debet. Nam alioquin << si ita inter nos convenerit, ut quanti Titius rem æstima<< verit, tanti sit empta, Labeo negavit ullam vim hoc nego<«< tium habere; cujus opinionem Cassius probat. Ofilius et <«<eam emptionem et venditionem; cujus opinionem Pro«< culus secutus est. »>

« 143. Unde si alieno arbitrio inerces permissa sit, velut

(1) Au contraire, il prend soin en composant le Digeste de perpétuer la mémoire des anciens jurisconsultes en citant leurs noms et leurs ouvrages, et dans ses Institutes, il prévient qu'il a largement puisé dans plusieurs livres, et notamment dans les Institutes de Gaius.

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<< quanti Titius æstimaverit, quæritur an locatio et conduc<«tio contrahatur..... »

Gaius se borne donc à rapporter la controverse, il ne la tranche pas. Il ne devait pas la trancher davantage dans son commentaire sur l'Édit provincial. Eût-il même pris parti, que ce ne pouvait pas être celui que lui attribuent les compilateurs (1). Comme le remarque très justement Gradenwitz (2), il ne pouvait prendre une décision de ce genre, qui dépasse les bornes de l'interprétation juridique, et constitue un acte législatif qui ne peut émaner que du législateur. Il ne pouvait distinguer selon que le prix était laissé à l'estimation d'une personne quelconque, ou au contraire à l'estimation d'un individu déterminé, et dans ce dernier cas, distinguer encore suivant que cet individu se refusait ou non à fixer le prix. C'était se mettre en contradiction avec tous les auteurs.

Mais pourquoi avoir fait cette interpolation? Si le véritable texte de Gaius ne cadrait pas avec la législation de Justinien, on devait le supprimer, mais il était inutile, semble-t-il, de le modifier. Il suffisait bien d'insérer au Code la Constitution 15 de contrahenda emptione, qui posait le principe en matière de vente, et l'étendait au louage dans sa dernière phrase.

Pour le comprendre, il faut se rappeler que cette Cons

(1) Quel était, au fond, l'avis de Gaius? Très probablement, qu'il n'y avait pas là une vente, mais un contrat innommé. C'était l'opinion de Cassius, le chef des Sabiniens, et l'on sait que Gaius appartenait à cette école, dont il suivait fidèlement, en général, les doctrines. D'autant plus que des Proculiens comme Labéon, le chef de l'école, se rangeait au même avis. La première phrase de la loi 25, D., jusqu'à non videtur, peut donc bien être de lui, sauf generaliter, qui est une interpolation. Sic, Lenel, Gaius, 245.

(2) Interpolationen in den Pandekten, p. 8, n. 1.

titution est de 530, postérieure par conséquent à la première édition du Code, qui est du 9 avril 529. On n'imaginait pas alors qu'on serait forcé d'en faire une seconde, repetitæ prælectionis. Cette Constitution n'aurait donc trouvé sa place nulle part, si on ne lui en avait pas fait une au Digeste, à l'aide d'une interpolation et sous le couvert de Gaius. Il suffisait de la sorte, de posséder le Code et le Digeste pour avoir deux recueils se complétant l'un l'autre, el parfaitement au courant du dernier état de la législation.

Il y a même, paraît-il, quelques interpolations du Digeste, ayant pour but d'établir des règles qui ont été plus tard consacrées par des constitutions formant des Novelles. Ces constitutions répondent à des besoins qui se faisaient déjà sentir lors de la confection du Digeste; et c'est pour donner d'ores et déjà satisfaction dans une certaine mesure à ces besoins, que plusieurs fragments ont été interpolės (1).

Nous n'avons voulu donner ici que des exemples. Il est certain que bien souvent les compilateurs ont altéré les textes qu'ils reproduisaient, au point de mettre dans la bouche des classiques des principes ou des développements qui leur sont absolument étrangers, ou même de leur faire dire nettement le contraire de leur véritable. pensée. Si les compilateurs avaient voulu faire des citations sincères, on ne comprendrait pas qu'ils aient déparé le Digeste par cinq ou six altérations aussi graves et aussi évidentes que celles que nous venons de citer. Ce ne sont donc pas les seules, et il faut admettre qu'elles ne sont que des échantillons, et procèdent d'un véritable système.

(1) Gradenwitz, op. cit., p. 9. Avant lui, Cujas (Opera, édition de Naples, II, 1071, A), avait déjà émis la même idée.

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