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<«< que nous avons revêtus de notre autorité, car, pour des << raisons d'utilité, nous avons fait de grands et d'importants «< changements; n'épargnant pas même les constitutions <«< impériales rapportées dans les vieux livres, nous les <«< avons aussi corrigées et améliorées. Tout en corrigeant « les anciens, nous avons conservé avec leurs noms tout « ce qui était nécessaire pour l'exactitude et l'honneur <«< des lois, de telle sorte que toutes les controverses qui pouvaient exister entre les jurisconsultes sont mainte<«<nant apaisées, et que rien ne boite plus de ce côté. »

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On le voit, les compilateurs étaient autorisés et même engagés par Justinien à modifier et retoucher les textes qu'ils avaient à reproduire. Ils n'y ont pas manqué. Il suffit, pour s'en convaincre, de feuilleter l'édition des Pandectes de Mommsen. Toutes les fois que les fragments compilés par Justinien nous sont parvenus par une autre source, ils sont reproduits en note, et on aperçoit bien souvent, entre l'un et l'autre texte, des variantes évidemment intentionnelles.

6. Nous ne saurions mieux faire, pour indiquer en quoi consistent ces retouches, que d'emprunter à Krüger les quelques lignes suivantes, avec les renvois aux textes qu'elles contiennent en note (1):

« L'ordre donné aux commissaires de supprimer toutes «<les parties superflues des textes qu'ils inséraient au Di<«< geste, les conduisit à faire disparaître quelquefois les <«< adresses qui se trouvaient dans certaines Quæstiones ou Responsa (2), ou à effacer les formules constatant que le

(1) P. Krüger, Histoire des sources du droit romain, traduit de l'allemand par M. Brissaud, pp. 442-443.

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<<< texte était tiré d'un rescrit (1). On traita de même les ré«férences à d'anciens jurisconsultes beaucoup disparu<< rent (2). Quand un jurisconsulte émettait l'opinion d'un <«< autre, ils lui attribuèrent parfois celle-ci (3), alors même qu'elle était contraire à son propre sentiment (4). Ils lais<<< sèrent souvent de côté des explications approfondies <«< données par les auteurs qu'ils consultaient (5); ils supprimèrent surtout les controverses des anciens juriscon<«<sultes rapportées par d'autres (6). Il arrive aussi fréquem<«<ment qu'ils ont abrégé le texte (7), soit en réunissant plusieurs phrases en une seule (et c'est le procédé qu'ils préfèrent) (8), soit en tirant une règle fort courte de lon

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50, 17, 183 cf. avec 4, 1, 7 pr. — 27, 8, 1, § 10

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30, 112 § 1.

(2) Par exemple, 9, 2, 27 § 8. 7, 3, 1 § 1. Dans un texte, 9, 2, 27 § 12, on n'a effacé que l'indication de l'ouvrage; le mot ibidem, qui se trouve dans des textes comme les suivants : 10, 4, 7 § 7 et 17, 2, 52 § 17, fait supposer qu'ils ont subi des suppressions du même genre.

(3) 7, 1, 12 pr. § 1.7, 3, 1 § 2. 7, 4, 1 § 1. 9, 2, 27 § 10. 40, 1, 2; cf. encore 6, 1, 72 et 44, 4, 4 § 32.27, 5, 2 et 44, 4, 4 § 24. 35, 2, 63 pr. et 9, 2, 33. 50, 17, 161, et 35, 1, 24. De là viennent des accusatifs employés avec l'infinitif et dont on ne s'explique pas tout d'abord l'existence (par exemple, 20, 1, 10 = 43, 33, 1 § 1).

(4) Peut-être 7, 1, 21. 9, 2, 27 § 10. C'est Ulpien qui était le plus exposé à ces altérations; aussi l'on peut se demander s'il ne faut pas mettre sur le compte des compilateurs plusieurs des contradictions qu'on remarque au Digeste entre les extraits de ce jurisconsulte (Krüger, p. 443, note 2).

(5) 27, 1, 24.47, 9, 12 § 1.

(6) 7, 2, 1 §§ 1-3.7, 2, 8.7, 3, 1 § 2. 9, 2, 27 §§ 10 et 12. V. Lenel, Palingenesia, Ulpien, no 623, p. 528 in fine pour le § 10, et la fin du n° 623 (p. 529) pour le § 12. 50, 16, 26.

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(7) 40, 2, 20 § 4 (le sens de ce texte a été aussi modifié); cf. 1, 10, 1 § 2.

(8) 7, 1, 9 § 7. 7, 2, 8. — 9, 2, 27 § 7. 12, 6, 26 § 3. -23, 3, 83. -47, 14, 1 § 3.

«<gues explications (1). Certaines de ces abréviations ont «< altéré le texte (2) ou lui ont donné une portée générale <«< qu'il ne saurait avoir (3). Des assertions émises avec hé<«<sitation se sont changées en règles bien arrêtées (4). 11 y «< a des extraits dont les compilateurs ont étendu le sens « par de courtes additions (5); quelquefois on a inséré dans « le texte du jurisconsulte des phrases entières qui sont « l'œuvre des commissaires de Justinien (6). › >>

7. Cet aperçu très bref et très exact de Krüger nous montre déjà combien les interpolations sont fréquentes et variées. Nous allons maintenant montrer par quelques exemples combien elles sont hardies, et avec quel sans-gêne véritable les compilateurs ont parfois procédé. Non seulement ce sont des adjonctions et des suppressions de mots, mais elles vont jusqu'à l'intercalation de véritables dissertations. Et d'autre part, ce n'est pas seulement leur étendue qui est digne de remarque, c'est aussi leur effet. Les com

(1) 26, 5, 14.

(2) 24, 3, 49.

- 2, 14, 44 (cf. 26, 7, 59); un autre texte est altéré au point de ne plus présenter de sens, 2, 15, 629, 3, 1 § 1.

(3) Il en est ainsi, notamment, de beaucoup de fragments insérés au titre De regulis juris (50, 17).

(4) 9, 2, 5 pr. 9, 2, 27 § 10.

(5) 26, 9, 5 pr., cf. Papinien, fragments de Berlin; 49, 1, 24 pr., cf. 42, 1, 64. Cf. Gradenwitz, Interpolazioni e interpretazioni, Bulletino dell' Istituto di diritto Romano, 1889. Au sujet de certaines gloses qui ont été insérées dans les textes que contient la compilation de Justinien, avant ou après sa confection, cf. Eisele, Zeitschrift der SavignyStiftung, XI, 1 et s. (Krüger, loc. cit.).

(6) 3, 1, 11 § 1.9, 2, 27 § 11.11, 1, 1 § 1. 19, 2, 25 pr. (cf. Gaius, III, 140 et 143; Cod. Just., IV, 38, 15 § 1). 19, 2, 60 § 2. 24, 2, 6.24, 3 22 §§ 7 et 8.30, 33.43, 31, 1 § 1 (depuis sed obtinuit); cf. Gradenwitz, Interpolationen in den Pandekten, 1887, p. 4 et suiv,

pilateurs ne se bornent pas à modifier légèrement le sens de quelques fragments, ils font dire parfois au texte tout le contraire de ce qu'il disait. Quelquefois même, ils inventent purement et simplement tout un développement, qu'ils attribuent sans scrupule à un jurisconsulte de l'époque classique.

Comparons, pour nous en convaincre, la loi 1 au Digeste, 30, De legatis, 1° avec la loi 1, C., 6, 43 (1). Au Digeste, on présente le fragment comme étant d'Ulpien, lib. 67 ad Edictum, et on lui fait dire :

« Per omnia exæquata sunt legata fideicommissis. » Les legs et les fideicommis ont été assimilés de tout point.

Or il est très certain qu'à l'époque d'Ulpien, les différences entre les legs et les fidéicommis étaient si nombreuses et si importantes qu'il n'est pas même besoin de les rappeler (2). Cette proposition ne peut donc pas être d'Ulpien, elle aurait été absolument fausse et hérétique à son époque. Ce fragment appartient donc exclusivement aux compilateurs, il est de leur invention, et ils l'ont très gratuitement prêté à Ulpien (3).

Enfin nous avons au Code la constitution impériale qui réalise l'assimilation entre les legs et les fideicommis. C'est celle que nous avons citée; elle est de Justinien et de l'année 529, de plusieurs siècles postérieure à Ulpien par conséquent.

(1) Cette interpolation, si caractéristique pourtant, n'a pas été notée par Lenel dans sa Palingenesia.

(2) Ulpien lui-même en signale un certain nombre dans ses Regulæ, XXV, §§ 1-10.

(3) Pourquoi ont-ils choisi pour rubrique de l'interpolation : « Ulpien, livre 72 ad Edictum? » C'est peut-être parce que, très familiers avec le commentaire d'Ulpien sur l'édit, ils se sont rappelé qu'il y était question de legs, à propos de l'interdit quod legatorum.

8. La loi 1, § 1, Dig., De utrubi, 43, 31, nous fournit un exemple d'interpolation non moins frappant. Le texte est encore soi-disant d'Ulpien, lib. 72 ad Edictum.

Ce jurisconsulte rapporte dans ce fragment le texte de l'interdit utrubi, tel qu'il était dans l'édit du Préteur, et tel que Gaius IV, 150 et les Institutes nous le décrivent, protégeant en matière de meubles celui qui a eu la possession pendant la plus grande partie de l'année précédente. Voici d'ailleurs le fragment:

« Praetor ait: utrubi hic homo, quo de agitur, majore << parte hujusce anni fuit: quominus is eum ducat, vim «< fieri veto. >>

Puis le texte ajoute que l'interdit utrubi a été assimilé à l'interdit uti possidetis, et protège celui qui a la possession actuelle au moment même de litis contestatio :

« § 1. Hoc interdictum de possessione rerum mobilium «<locum habet, sed obtinuit vim ejus exaequatam fuisse « Uti posseditis interdicto, quod de rerum soli competit: <«<ut is in hoc Interdicto vincat, qui nec vi nec clam, nec precario, dum super hoc ab adversario inquietatur, pos<<< sessionem habet. »

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Or, il est impossible que ce dernier passage soit d'Ulpien, car la législation de l'interdit utrubi n'avait pas encore été modifiée de son temps. Il est bien vrai que nous ignorons à quel moment ses règles ont été changées les Institutes de Justinien (IV, 15 § 4) relatent la réforme sans en indiquer la date précise. Justinien dit seulement, en comparant les deux interdits: quorum vis ac potestas plurimam inter se differentiam apud veteres habebat..... Hodie tamen aliter observatur. « Hodie » semble marquer une réforme contemporaine. D'ailleurs si elle était antérieure à Ulpien, le texte de l'Edit eût été également modifié, et ce

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