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année de son âge. Il fut enseveli à l'extrémité des Esquilies, près du tombeau de Mécène.

Horace produisit, à son apparition, une impression profonde sur ses contemporains; il la produit encore pleine et entière sur la postérité, et ces deux faits sont aussi naturels qu'incontestables. Horace fut entièrement neuf et original. Jusqu'à lui, la poésie avait eu en Italie une application positive: elle avait, ou servi au culte des dieux, ou contribué aux plaisirs publics dans les représentations dramatiques, ou cherché à corriger les mœurs par une satire vive et grossière, chanté la campagne et l'amour, ou célébré les victoires de la patrie, les faits nationaux; et il est à remarquer que telle est à peu près chez toutes les nations la marche de cet art, qui est un besoin pour les peuples nouveaux, et une agréable superfluité pour les peuples vieillis. Horace inventa la poésie morale et philosophique, cette poésie rêveuse, qui manque souvent d'un but déterminé, qui se livre à des impressions fugitives, qui s'adresse tantôt au cœur, tantôt à l'esprit, et veut à la fois plaire, instruire, et surtout émouvoir. Horace est le poëte de Rome civilisée, de Rome dépouillée de sa force et de sa pureté primitives. Ses chants, par un caractère de douceur, de noble résignation, de grâce et d'enjouement voluptueux, peignent parfaitement une époque où Rome voyait s'éloigner pour toujours ses temps d'austérité, de gloire, mais de troubles, et

se consolider un ordre de choses qui promettait de payer par le calme et l'abondance cette orageuse liberté dont elle était à jamais déchue. Malgré les formes illusoires de la république sous lesquelles se déguisait le pouvoir absolu d'Auguste, il fallait renoncer aux consuls, aux tribuns du peuple, aux comices, à la place publique; remplacer ces nobles jouissances par les plaisirs domestiques; se renfermer près de ses dieux pénates; vivre, goûter la vie avec tous ses charmes, et se contenter de souvenirs. Tel fut Horace : sa poésie est l'expression fidèle de son caractère, de ses mœurs, et des besoins de la société au milieu de laquelle il vécut. En écrivant pour les Romains du siècle d'Auguste, il a écrit pour tous les siècles et pour tous les pays : c'est que partout le plus grand nombre a besoin d'oublier, et de se rejeter sur les plaisirs de la vie.

« Ceux qui ont reproché au poète latin son inconstance dans ses principes, ceux qui lui ont fait un crime d'avoir célébré Auguste après avoir combattu sous Brutus, n'ont peut-être pas assez médité ses vers, ni apprécié son époque. Il nous semble, au contraire, que les chants du poète ont dignement terminé la vie du soldat et du citoyen. Horace, à peine sorti de l'adolescence, rencontre à Athènes Brutus, qui recrutait pour la liberté de Rome; il le suit sous les drapeaux, et parvient à un grade supérieur. Ces faits répondent sans doute dé sa force d'âme; et le jeune Romain qui, à

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dix-huit ans, prenait volontairement les armes, n'aurait, certes, jamais soupçonné que, pour quelques plaisanteries légères échappées plus tard à sa muse, il se trouverait des hommes qui douteraient un jour de son courage. Après le triomphe d'Octave, il revient en Italie; son père était mort, son patrimoine envahi par les vainqueurs. Ce fut alors qu'il employa les dons admirables qu'il avait reçus de la nature; il dut à son talent et à l'amitié de Virgile, qui lui procura celle de Mécène, une existence douce et honorable. On lui a reproché ce bonheur; on a mis en doute la noblesse de son caractère; on l'a accusé de servilité mais pouvait-il garder à une cause que les illusions de la jeunesse lui avaient fait embrasser, et dont le succès n'était plus dans la nature des choses, une autre fidélité que celle des souvenirs ? et il ne les abdiqua jamais : la noble indépendance qu'il professa dans ses écrits fait à la fois son éloge et celui d'Auguste, et aurait peut-être dû rendre plus circonspects les écrivains qui ont cherché à le flétrir. Horace ne regarda pas comme une chaîne les bienfaits de l'empereur, qui luimême ne voulut point les lui imposer à ce titre; il refusa l'emploi de secrétaire que lui offrait ce prince, et préféra toujours, à de dangereuses dignités, son laborieux repos sous les bosquets de Tibur. Et cependant on a été jusqu'à prétendre que la lyre de ce poète ne fut habituellement qu'un instrument politique, à l'usage du pouvoir. Pour

quoi ne pas pousser plus loin l'interprétation, et ne pas avancer qu'il était chargé par le gouvernement d'Auguste d'explorer l'esprit public, en rappelant de temps à autre à ses concitoyens les grands noms de leur histoire, et les nobles images de la république ? Voilà, certes, une hypothèse dont un commentateur tant soit peu habile et expérimenté pourrait tirer un heureux parti. Mais l'homme impartial, qui n'a d'autre zèle que celui de la vérité, ne consultera que les véritables pièces du procès : les chants du poète. Il y trouvera partout l'homme plein de lumière et de sens, l'excellent ami, et le citoyen passionné pour la gloire de son pays; partout un caractère de simplicité et de franchise qui persuade. Cette mobilité même de sentimens tant reprochée au poëte, les louanges d'Auguste mêlées à celles de Caton, la gloire de l'antique constitution romaine célébrée par le tégé de l'empereur; tout dans Horace respire la vérité, l'absence de toute combinaison, et, nous le répétons, atteste singulièrement son époque. Horace était sous l'influence de son siècle, et il l'avait compris : cette liberté qu'il avait défendue, il voit que le retour n'en est plus possible, que les Romains, sans avoir cessé de l'aimer, ne sont plus faits pour elle, parce qu'ils n'ont plus la force, c'est-à-dire la volonté de la défendre. Il avait senti qu'il est pour les peuples des temps d'affaissement moral; qu'ils se jettent alors, comme par une loi de la nature, dans les bras du

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repos, et demandent pourtant qu'on charme ce repos par de beaux rêves, par des tableaux de vie et de mouvement, par les souvenirs de la vertu et de l'héroïsme; car peut-être serait-il vrai de dire que la trop grande admiration pour les actions fortes et vertueuses indique souvent l'impuissance de les imiter, et n'est plus alors qu'un étonnement déguisé.

« Nous croyons que nous aurons suffisamment mis à l'abri du reproche la conduite politique d'Horace, en ajoutant qu'il n'eut à rougir ni des faveurs qu'il reçut d'Auguste, ni des louanges accordées par lui à cet empereur, que les historiens ont jugé peut-être en général avec trop de sévérité, et qui fut loin de mériter la haine des Rọmains, même les plus amis de leur patrie. Il était évident qu'il fallait à l'état une concentration de forces. Depuis que des généraux, à la tête des armées, s'étaient disputé l'empire comme une propriété, la république n'existait plus. Marius et Sylla lui avaient porté le coup mortel; César et Pompée s'envièrent la gloire de l'ensevelir: cette gloire fatale échut au premier, et ce fut sous le règne de ce dictateur que commença la véritable monarchie. Sylla avait tenté vainement de l'établir; car son autorité violente n'eut jamais que le caractère des passions, et non celui de la durée. Le poignard de Brutus ne put sauver Rome, qui avait fini son temps de liberté. Rome, sans un maître, allait devenir la proie des factions ou celle

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