Page images
PDF
EPUB

des Barbares Octave se présente; il vient recueillir l'héritage de son grand-oncle; les soldats, devenus les instrumens d'une fatale ambition, ne combattent plus que pour la servitude; le plus grand nombre se range sous les drapeaux d'Octave, sur qui planaient le nom de César et le prestige d'une grande illustration militaire. Cassius et Brutus, après des succès passagers, expient à Philippes un crime inutile. Octave grandit de la petitesse de ses rivaux. Il triomphe enfin à Actium ce n'était plus une guerre civile, l'aigle romaine combattait l'étendard égyptien; cette dernière victoire d'Auguste fut nationale, et consolida sa force morale, non moins que son empire. Le règne doux et brillant de l'empereur effaça bientôt de la mémoire les proscriptions du triumvir, proscriptions dont l'infamie d'ailleurs fut partagée avec Antoine et Lépide, sur lesquels on pourrait peut-être la rejeter tout entière. Le nouveau prince montra l'amour du bien, fut législateur et conquérant, aima les lettres, et les éleva, ainsi que l'empire, au plus haut faîte de gloire et de splendeur. Il mérita donc l'amour de tous les Romains: si les bons esprits devaient se féliciter que la puissance, puisqu'elle devait être le patrimoine d'un seul, fût tombée entre les mains d'un homme qui sût la mériter, ce n'était pas un titre indifférent pour les esprits moins éclairés, qu'il l'eût reçue comme une succession; car la magie du pouvoir est dans l'ancienneté, dans le

temps; la durée de la possession la consacre, et l'usurpation commence à s'effacer chez l'héritier de la puissance usurpée.

« Nous avons, presque involontairement, payé tribut à notre titre de traducteur; nous nous sommes cru, en cette qualité, obligé de rompre une lance pour notre poète. Puisque nous sommes entré en lice, nous n'en sortirons pas que nous n'ayons rendu sa défense complète, en le lavant en peu de mots des reproches qu'on a faits souvent à sa morale. Il nous semble que la morale d'Horace diffère peu de celle du stoïcien Sénèque; et il nous serait facile de le démontrer par des citations, si les bornes de ce morceau nous le permettaient, et si d'ailleurs ce poète n'était assez présent à la mémoire de presque tous pour avoir laissé une impression générale qui peut y suppléer. Sa morale, selon nous, est le platonisme dépouillé de sa mysticité et de ses rêves. Horace, sans doute, n'affiche pas le mépris de la douleur; l'indigence ne lui paraît pas désirable; il laisse à de plus sages ou à de plus insensés que lui les rigides préceptes d'une philosophie plus qu'humaine mais il n'est pas non plus un voluptueux, un philosophe à la suite des grands, un ami du pouvoir et de la fortune. S'il excelle à peindre les charmes d'une vie tranquille et heureuse, il sait aussi célébrer le bonheur du sage qui préfère la pauvreté à l'infamie, et qui sacrifie sa vie à son devoir. Sa lyre, qui a pour le

plaisir des sons si gracieux, trouve des accords pour les sentiments les plus élevés, les plus nobles, les plus stoïques. Horace aime l'aisance et le repos, parce qu'il aime sa liberté mais il fuit les richesses; il craint les trop grandes faveurs de la fortune; il connaît les vicissitudes du sort, et il n'a pas moins d'éloignement pour les embarras de la prospérité que pour la dépendance du malheur. Aurea mediocritas, cette expression charmante, toute de création, et qui est devenue proverbe chez tous les peuples, comme tant d'autres de notre poète, voilà son unique vou, voilà sa morale; et ces deux mots peuvent être regardés comme le résumé de la philosophie ancienne, on pourrait même dire, de la vraie philosophie de tous les temps.

a

« Horace, poète par la nature et poète de profession, ne pouvait développer ses principes avec l'autorité d'un moraliste. Il a employé de préférence les images riantes et gracieuses, il a paré la raison; ce qui lui a valu le titre d'épicurien, qu'il mériterait sans doute, si l'on n'eût pas attȧché à ce mot une signification fausse et forcée. Il est convenu depuis des siècles qu'un disciple d'Épicure aime le plaisir, rien que le plaisir; mais il paraît néanmoins certain que les doctrines de ce philosophe ont été mal interprétées par ses sectateurs, et calomniées par ses adversaires. Le caractère des institutions des anciens était la simplicité et la grandeur : ce fut aussi, naturellement,

:

celui de leur philosophie, de leur littérature, de leur poésie en général. Leurs observations étaient moins profondes, et par cela même souvent plus justes; leur littérature, plus extérieure; leurs systèmes philosophiques, moins abstraits, plus positifs celui d'Épicure avait pour base cette idée bien simple, que le souverain bien consiste dans le plaisir que fait éprouver l'absence de toute douleur de corps et d'âme. D'après ce principe, il déclarait la vertu désirable, comme procurant le bonheur. Si l'on entend par épicurien un partisan de ce système, qui proscrit le vice et le crime, puisqu'il veut la paix de l'âme comme condition essentielle de la félicité, Horace méritera ce nom, sans doute; et il le méritera, nous le répétons, comme Platon, comme Sénèque, comme presque tous les grands écrivains de l'antiquité.

« Il nous reste à parler d'Horace considéré sous le rapport littéraire; et ici nous n'avons plus à combattre, mais seulement à répéter: nous ne pouvons être que l'écho d'une admiration unanime et continue.

« On dit que le style seul pouvait assurer aux écrivains une renommée durable: c'est que la nature de l'inspiration littéraire change à chaque révolution de la société. Un nouvel ordre d'idées suit un nouvel ordre de faits mais ce qui est beau comme style est impérissable; et la forme en littérature sauve le fond. Horace pouvait donc prétendre par le style seul à cette immortalité

glorieuse qui lui est échue à double titre; car ses idées sont, à quelques nuances près, de tous les temps: c'est l'avantage des écrivains qui puisent leurs inspirations dans le cœur de l'homme, qui étudient et cherchent à dépeindre les secrets de sa nature. Les satires et les épîtres d'Horace, qui forment un cours complet de goût et de morale, nous étonnent par cette délicatesse et cet habile enchaînement de pensées, cette finesse d'aperçus, cette rectitude de jugement, qui semblent ne devoir être le partage que des temps modernes; et avec les belles pages philosophiques ou oratoires de Cicéron, elles sont peut-être ce qu'il y a de plus étonnant, sous ce rapport, dans toute l'antiquité. En même temps qu'Horace nous émeut, nous persuade par la grâce de ses idées, la justesse de ses raisonnemens, il nous entraîne, il nous surprend par la rare perfection de son style: son expression a un charme magique; ses tournures sont pleines d'abandon, de vivacité, d'instinct poétique. Simple, élégant, spirituel dans la poésie moyenne des satires et des épîtres, le style d'Horace s'élève dans les odes, et offre un caractère singulier de souplesse, de vigueur, de hardiesse, joint à la plus exquise pureté.

« Grâce au génie de cet écrivain, la poésie lyrique, chez les Latins, se plaça dès son début au niveau de celle des Grecs, et ne fut surpassée que chez les Hébreux, où l'on trouve les plus anciens et les plus beaux modèles en ce genre. On

« PreviousContinue »