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Au sujet du mot français individuellement,il suffit de remon¬ ter au mot latin, l'étymologiste n'étant pas tenu de poursuivre une racine jusqu'à son origine primitive: il doit seulement la rapporter à la langue influente la plus prochaine, et dans le cas présent, c'est le latin. La même règle s'explique au mot suivant :

:

GIRAFFE il est arrivé tout fait dans le français ; c'est le mot arabe zoraféh, et l'on peut s'en tenir à la seule énonciation de cette origine. Si l'on veut cependant remonter plus haut, on peut considérer que les syllabes de ce mot n'ont, en arabe,. aucun sens analogue à ce quadrupède, et l'explication qu'en donnent les lexiques est tout-à-fait arbitraire. On en conclut tout naturellement que la langue arabe aussi a reçu ce mot tout fait d'un autre idiome. Si l'on s'avance dans cette recherche, on trouve que le mot égyptien sor-aphé est composé de deux racines qui signifient rigoureusement long col ou téte alongée, et tel est le caractère éminent de la giraffe. Ce mot est donc d'origine égyptienne, et la giraffe, en effet, venue des contrées au midi de l'Égypte, et qui n'a pu être connue des Arabes que par les Égyptiens, est plusieurs fois figurée sur leurs anciens monumens, non-seulement de sculpture, mais encore dans les peintures de manuscrits, et ce fait n'est pas indifférent pour justifier l'étymologie du nom français de ce singulier quadrupède.

Tous les mots de notre langue n'exigent point le même travail anatomique; mais il n'en est pas non plus dont cette opération ne pût rendre un compte satisfaisant à un bon esprit. On doit remarquer, à cet égard, que ceci ne s'applique absolument qu'aux mots véritablement français, je veux dire à ceux qui, nés d'une racine dont l'origine primitive ou secondaire peut être ou non déterminée, ont suivi dans leurs accroissemens ou composition, les règles imposées par la constitution grammaticale de la langue française. De celles-ci, la plupart sont communes à d'autres idiomes, surtout au latin, et quelques autres, venant on ne sait d'où, lui sont tout à fait inconnues. Pour les articles et les cas, par exemple, le latin n'a pas les premiers et emploie les seconds; le français, au contraire, ne connaît pas le cas, et a adopté les articles : le grec a admis les uns et les autres. On ne considérera donc pas comme français

quant à l'étymologie, les mots introduits d'une autre langue, tout faits, d'un seul jet, dans la langue française ils sont composés selon la constitution propre à l'idiome d'où ils sont tirés. Si donc on veut les analyser, c'est à cette constitution qu'il faut recourir, et tels sont les mots de notre langue, qui sont tout grecs, tout arabes, etc., dont les désinences, les augmens, l'euphonie, etc., ont suivi les règles de ces langues même. Leur ́origine, une fois reconnue, donne bientôt leur véritable étymologie.

Mais l'espace nous presse d'imposer des limites à l'exposition plus complète d'un sujet propre à un grand nombre d'importantes considérations. Nous n'en ajoutons plus qu'une que l'état, aujourd'hui si prospère, de l'étude comparative des langues, nous fait un devoir de ne pas omettre. Nous dirons donc que l'utilité de cetté étude, nommée récemment linguistique, ne pouvant être douteuse, il faut ne pas la décréditer par l'usage d'une méthode erronée. Cette comparaison, pour être fructueuse, doit reposer sur des élémens bien déterminés, incontestables, certains pour tous en raison même de leur authenticité. Mais dans l'état actuel des choses, ce sont ces élémens qui nous manquent pour la plupart, et cependant on se hâte de combiner le petit nombre de ceux qui sont acquis, d'en conclure absolument des choses quelquefois très-surprenantes, mais qui, malheureusement, ne portent avec elles aucune conviction : c'est ce que nous appelons décréditer habilement la science. On travaille sur des vocabulaires, des recueils de mots venus de tous les coins du monde : mais quelle foi ajouter à ces nomenclatures recueillies par des voyageurs, d'ordinaire fort curieux, mais qui, ne voyageant pas pour les former, les dressent au hasard, les transcrivent comme ils peuvent avec notre alphabet, figurent bien ou mal des sons entièrement étrangers à notre idiome, après avoir bien ou mal entendu ce qu'on leur dit, en supposant encore que ceux qu'ils ont interrogés savaient bien ce qu'on leur demandait et aussi ce qu'ils répondaient. Il n'en est pas ainsi des langues écrites, mais la variété de la prononciation, sur laquelle les linguistes s'accordent si peu, est encore ici une chance commune d'erreurs. On ne doit donc pas s'étonner de ces rapprochemens de langues, de ces analogies, quelquefois si inatten

dues, que les presses de l'Europe produisent si fréquemment: mais on les admire plus qu'on ne les estime; ils prouvent quelquefois beaucoup d'esprit ou d'imagination, et plus souvent peu de connaissances positives-sur le sujet. La véritable science est plus prudente, elle repose sur des certitudes, elle ne fait pas chaque jour une découverte nouvelle, mais elle seule aussi éclaire la philosophie de l'histoire, la guide dans ses recherches sur les origines et les fortunes diverses de la civilisation; elle seule enfin obtient et mérite l'approbation et la reconnaissance des hommes.

115. ORIGINE ORIENTALE D'UNE EXCLAMATION DU PEUPLE EN ESPAGNE. (Personnal narrative of adventures in the Peninsula. Londres, 1827; Murray.)

servent

Le jurement dont les muletiers d'Espagne et de Portugal se hâter l'allure de leurs bêtes de somme, ou pour pour les gronder, se ressent fortement de son origine orientale. Ils disent, arra mulo! ou arraiva mulo! et cela d'un son de voix guttural et traînant, assez semblable au grondement de l'espèce canine. L'origine de ce mot est indubitablement le arr des hébreux, execratus est; mais proprement parlant propellere, abigere, comme venant, suivant Schultens, du ar des Arabes. Arraiva! est un terme qui s'emploie, en général, dans le sens d'imprécation, d'exécration. Le mot grec apà, jurement, provient aussi de cette racine; et ce mot semble avoir eu, même au temps d'Homère, la propriété particulière d'aider à conduire le bétail. Voyez sa description des chevaux des OEacides, dans laquelle on trouve ce vers:

Πολλὰ δὲ μειλιχίοισι προσηύδα, τολλὰ δ' ἀρετῆ.

liad. p. 431.

Le mot aroint, que Shakspeare met dans la bouche de ses sorcières, ne pourrait-il pas dériver de la même source? (London liter. Gazette; 31 mars 1827.)

116. LITTÉRATURE HÉBRAÏQUE.

L.

On vient de faire dans la littérature biblique une découverte importante qui ne peut manquer de fixer l'attention des Chrétiens et des hommes de lettres. Il s'agit du livre de Jasher, dont il est fait mention dans Josué, chap. 80, et dans le second

livre de Samuel, chap. 1. Cet ancien ouvrage fut obtenu à grands frais par Alcuzim, l'homme le plus illustre de son temps, à Gazan en Perse, où il paraît avoir été conservé depuis l'époque du retour des Juifs de la captivité de Babylone, ayant été transporté par Cyrus dans son propre pays. (Courier.. Galignani's Messeng.; 12 nov. 1828.)

117. CHRESTOMATHIE MANDCHOU, ou Recueil de textes mandchoux, destiné aux personnes qui veulent s'occuper de l'étude de cette langue; par M. J. KLAPROTH. In-8° de 273 p. Paris, 1828; Merlin.

Le zèle pour l'étude des idiomes savans de l'Asie ne sè ra

lentit pas, et les ouvrages nécessaires à leur enseignement se

succèdent avec rapidité. La langue chinoise, qu'on a cru, pendant plus de deux siècles, la plus difficile à apprendre, offre à présent un vaste champ aux recherches des personnes studieuses et disposées à exploiter la riche littérature de la nation la plus policée de l'Orient. C'est le résultat de la publication du dictionnaire chinois, ordonnée sous le règne impérial, et de celle de l'excellente grammaire de M. Abel-Rémusat. La littérature mandchoue est, pour ainsi dire, le complément de la chinoise; il est donc probable que l'apparition de cette Chrestomathie aura également une influence favorable sur la direction de l'étude de toutes les deux.

Les Mandchoux, qui sont actuellement les maîtres de la Chi-` ne, étaient, avant de devenir conquérans, un peuple chasseur; ils n'avaient aucune culture littéraire; et si leurs ancêtres, les Djourdje, en ont eu une, ils l'avaient absolument perdue avec la domination de la Chine septentrionale. Les premiers empereurs de la dynastie mandchoue, avant d'avoir soumis le Leao toung, se servaient de la langue mongole dans leur correspondance diplomatique. Ce ne fut qu'en 1599 que l'empereur Thaïtsou, voulant donner une écriture à son peuple, chargea Erdeni baksi et Gagaï djargoutsi d'en former une d'après celle des Mongols, Ceux-ci font usage depuis long-temps d'un alphabet dérivé de celui des Ouïgours, peuplade turque de l'Asie centrale, qui avait été civilisée de bonne heure; elle employait une écriture formée d'après celle des Syriens, que vraisemblablement des prêtres nestoriens leur avaient portée.

L'écriture des Mandchoux fut bientôt arrivée à sa perfection actuelle; et depuis la conquête qu'ils firent, en 1644, de la Chine, leur littérature s'est enrichie d'un grand nombre d'ouvrages, consistant pour la plupart en traductions de livres Chinois. Ces traductions donnent une certaine facilité pour l'intelligence des textes originaux; et c'est principalement sous ce point de vue que les missionnaires catholiques qui ont résidé à Péking, se sont occupés d'apprendre le mandchou, et de composer des livres élémentaires pour l'étude de cette langue.

Le P. Amiot envoya en Europe sa traduction du dictionnaire alphabétique mandchou- chinois, intitulé Mandchou-isaboukha bitkhé, ainsi qu'un extrait français de la grammaire de la même langue, composée en latin par le P. Gerbillon, et insérée dans le recueil de Thévenot. M. Langlès fut chargé de l'édition de ces deux ouvrages, dont le dernier fut inséré dans le XII volume des Mémoires concernant les Chinois, et le premier publié à part en trois volumes in-4°. On avait donc en Europe une grammaire et un lexique de la langue mandchoue; mais on manquait de textes dans cet idiome, indispensablement nécessaires pour se livrer avec fruit à son étude. Cette considération a déterminé M. Klaproth à faire paraître l'ouvrage qui fait l'objet de cet article. Cette publication est un service essentiel rendu à la philologie asiatique. Ne prétendant pas donner ici une analyse complète de ce travail important, nous nous contentons d'en indiquer le contenu en général.

Le premier morceau est la traduction mandchoue d'une collection de proverbes et d'aphorismes chinois, connue sous le titre de Ming hien tsy. L'éditeur y a ajouté une version française qui nous a paru très exacte. Vient après, le texte mandchou du, Livre des récompenses et des peines de Thai chang ou Lao kiun. Ce titre ne veut pas dire que c'est un ouvrage de Thaï chang même, il indique seulement que ce traité est fondé sur sa doctrine, et en effet il commence par une sentence de ce philosophe célèbre. C'est ainsi que nous parlons des ouvra ges de Confucius, quoique les livres qu'on désigne sous ce nom, ne soient que rédigés par ses disciples. M. Abel-Remusat avait déjà donné une traduction de ce traité, faite sur le

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