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SECONDE ACTION

CONTRE VERRÈS

PREMIER DISCOURS

SUR SA QUESTURE, SA LIEUTENANCE

ET SA PRÉTURE DE ROME

TRADUIT PAR M. GUEROULT

PUBLIÉ ET ANNOTÉ

PAR M. CH. DU ROZOIR.

LES

Es cinq discours qui forment la seconde action contre Verrès n'ont point été prononcés, et Cicéron, qui n'avait pas encore exercé son éloquence en qualité d'accusateur, ne les composa, comme il le dit lui-même, que pour laisser un monument de son habileté dans ce genre, ainsi que le modèle d'une juste et vive accusation contre un magistrat cruel, prévaricateur et débauché.

Ces cinq dernières Verrines, quoique dans la vérité elles reviennent toutes au même but, ont été désignées, par les grammairiens et les éditeurs, sous les titres suivans 1a de Prætura urbana, 2a Siciliensis, 3a Frumentaria, 4a de Signis, 5a de Suppliciis. Dans la première, Cicéron peint la vie privée et publique de l'accusé avant son gouvernement de Sicile; dans la seconde, il rapporte ses prévarications comme juge et comme magistrat; dans la troisième, il l'accuse de dilapidations et de vols commis dans les approvisionnemens; dans la quatrième, il est question des monumens d'art qu'il s'était appropriés ; dans la cinquième, des meurtres dont il s'était rendu coupable. Ces différentes oraisons présentent sous diverses faces le concussionnaire le plus impudent et le plus impitoyable qui ait jamais existé.'

« Dans l'ordre judiciaire prescrit par la loi Servilia de repetundis, suivant laquelle Verrès était accusé, dit Morabin, il devait être défendu à deux fois différentes, par la remise qui se faisait du jugement jusqu'après la seconde plaidoirie, entre laquelle et la première, il y avait trois jours d'intervalle. Cette remise, appelée par l'ancien droit comperendinatio, n'était pas, dans l'intention du législateur, une grâce dont l'accusé dût profiter tout seul; elle donnait aux juges le temps de réfléchir, et par conséquent de se garantir de la précipitation. L'accusateur de sa part n'y perdait rien; puisqu'en parlant le dernier, il répondait à tout, et qu'il n'avait pas à craindre d'être réfuté dans une réplique.

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Au moyen de la multitude de témoins et de preuves littérales dont Cicéron, dans la première action, avait accablé l'accusé, celui-ci ne voulut point s'exposer aux chances d'une seconde action.

Hortensius, son défenseur, n'osa pas non plus, en engageant une lutte corps à corps, compromettre entièrement sa réputation d'orateur; enfin Verrès aima mieux prévenir sa condamnation par un exil volontaire qui le mettait à couvert de la confiscation, que d'essuyer en l'attendant un surcroît d'ignominie, que la récapitulation de tous ses crimes lui aurait infailliblement attiré. Mais notre orateur ne les en tint pas quittes; et, maître du champ de bataille, il se ménagea, par la supposition de cette seconde action, une victoire d'autant plus complète, que le monument qu'il en a laissé dans ses cinq oraisons a perpétué le souvenir de sa gloire et de leur honte.

Dans son discours contre Cécilius, Cicéron avait fait monter l'estimation des dommages des Siciliens à cent millions de sesterces (12,500,000 fr. de notre monnaie, en portant le sesterce à deux sous et demi); mais c'était une estimation vague, et qui n'était pas encore fondée sur d'exactes informations; car après son retour de Sicile, quand il prononça le discours qui forme la première action, les demandes de Cicéron n'excédèrent pas les quatre cent mille sesterces du vol desquels il s'était restreint à le convaincre. Cependant la restitution imposée aux concussionnaires était ordinairement du double, et quelquefois du quadruple. Asconius en demande la raison, et il n'en donne point de plus plausible que le grand crédit d'Hortensius, contre qui Cicéron se trouva trop faible pour obtenir une justice plus entière. Mais, comme l'observe Morabin, << en creusant plus avant, il n'est pas difficile de découvrir qu'Hortensius tout seul n'aurait pas été capable d'empêcher l'effet de la loi. Le premier, peut-être l'unique mobile de la prévarication, fut le corps entier, je ne dis pas seulement de la noblesse, quoique Cicéron semble n'attaquer qu'elle, mais de tous les gens en place ou qui pouvaient y être un jour, lesquels, sans être déterminés par une volonté expresse à piller comme Verrès, regardaient comme une attribution de leurs charges de pouvoir le faire impunément. Car, quant à ce que dit Plutarque, que la modicité de cette somme, qu'il ne fait monter qu'à trois cent mille sesterces, fut rejetée sur notre orateur, qu'on soupçonna de s'être Jaissé corrompre, on peut mettre cela au nombre des choses qu'il a copiées sans examen, et sur lesquelles il est en contradiction avec lui-même. »

Middleton éclaircit encore mieux la question en ajoutant que « s'il y eut en effet quelque diminution dans l'amende, elle put se faire du consentement de toutes les parties, en faveur peut-être de la soumission de Verrès, et comme une sorte de compensation pour les embarras et les peines qu'elle épargnait à ses agresseurs. Il est sûr du moins que cette fameuse affaire, loin de jeter la moindre tache sur le caractère de Cicéron, servit au contraire à faire éclater plus que jamais son mérite et son intégrité, et que les Siciliens conservèrent une vive reconnaissance pour le service qu'il leur avait rendu. »

Quoi qu'il en soit, on ignore l'usage qui fut fait de la somme exigée de Verrès : il y a lieu de croire que la plus grande partie fut envoyée en Sicile. Les frais du procès et les trésors qu'avait prodigués le coupable afin de corrompre les juges, ne le ruinèrent point, et il vécut toujours avec une sorte de magnificence. Sénèque le père nous apprend qu'il fut dans le cas d'éprouver l'obligeance de Cicéron, mais il n'indique point à quelle occasion. Moins sensible à un bienfait récent qu'à ses anciennes injures, Verrès se réjouit de la fin tragique de son accusateur; mais il fut à son tour proscrit par les triumvirs. Il s'avisa de refuser ses statues et sa vaisselle de Corinthe à Marc-Antoine; on le mit sur les tables fatales, et il fut tué peut-être par les mêmes sicaires qui avaient frappé l'auteur des Verrines et des Philippiques.

Cicéron, après l'exil de Verrès, eut une grande célébrité. Les Siciliens lui donnèrent les marques les plus signalées de leur reconnaissance; les nations étrangères et les alliés le proclamèrent le vengeur de leurs droits; le peuple romain le remercia de son patriotisme. Toutefois, la vigueur de Cicéron à poursuivre cette cause, et l'énergie avec laquelle il avait dénoncé les infamies judiciaires de l'ordre sénatorial, n'avaient pas inspiré à la noblesse des dispositions favorables pour lui.

Les cinq oraisons de la seconde action, pour n'avoir pas été prononcées, n'en sont pas moins belles ni moins instructives, ni par conséquent moins dignes de l'attention des amateurs de la véritable éloquence.

In sequenti parte dixit, exorari solere inimicos, ipsum exoratum à Vatinio, €. quoque Verri affuisse. (Suasoriarum liber, v1.)

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