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plus concis qu'ait produit la littérature latine, sans en excepter Tacite lui-même. Son goût est plus pur que celui de l'historien des empereurs, son expression plus franche, sa pensée plus dégagée de toute subtilité. »

Salluste est avant tout un artiste en style; il en a la passion en même temps que le sentiment; il choisit, il façonne, il cisèle les mots : c'est le La Rochefoucauld de la langue latine. Mais ce soin minutieux a ses dangers. Continuellement occupé de donner du relief à l'expression, du trait à la pensée, de la concision à la phrase, Salluste n'évite pas toujours l'obscurité, la recherche, les chutes brusques et imprévues; c'est le reproche que lui adressait Sénèque, qui se le fût justement appliqué. Ces scrupules dans Salluste ne s'arrêtent pas au style; il les a également dans le choix et pour la forme de ses ouvrages. Ne pas tenter d'embrasser toute l'histoire romaine, dont il ne pouvait, au temps où il écrivait, avoir le dernier mot, c'était, nous l'avons dit, une preuve de grand sens dans Salluste, mais il faut ajouter que c'était aussi un instinct éclairé du genre de son talent, plus profond qu'étendu, plus sobre que riche, plus fini que naturel. Dans ces tableaux détachés de l'histoire romaine, il peut plus facilement, jaloux qu'il est avant tout de l'effet de l'ensemble, plus que de l'exactitude des détails, composer les faits,

placer les personnages, ménager les nuances, préparer les contrastes, en un mot, mettre en lumière ou laisser dans l'ombre ce qui peut faire briller ou couvrir ce talent de peindre qu'il possède au suprême degré c'est le défaut de quelques-uns de ces portraits qu'il aime à tracer, morceaux d'apparat quelquefois, plus que vivantes et fidèles images : historien, en qui l'écrivain ne disparaît pas toujours

- assez.

Sa narration, si rapide, si vive, si pittoresque, n'est pourtant pas à l'abri de toute critique. Salluste a le tour vif, l'expression rapide, l'allure fort dégagée en apparence; mais, regardez-y de près : il n'avance pas autant qu'il se hâte; ce qu'il ne dit pas sans beaucoup de peine en une suite de petites phrases brusques, saccadées, monotones et fatigantes par l'emploi excessif de l'infinitif de narration, Tite Live vous le dira avec plus de charme et même plus de précision, dans une de ces magnifiques périodes où, sans rien précipiter, sans rien laisser en arrière, la pensée entraîne avec elle dans son cours limpide et majestueux toutes les incises qui la complètent.

Malgré ces défauts, Salluste est un écrivain incomparable. Son style a une suprême beauté de vigueur et d'éclat, de hardiesse et d'aisance, de séve abondante quoique contenue; il a de ces mots qui illuminent toute une pensée, de ces traits qui éclairent

toute une figure. Quoique colorées, ses expressions sont limpides et transparentes sous les mots, on aperçoit les idées. C'est le propre, en effet, de cette intelligence fine, de cette raison élevée, de tout saisir d'une vue nette et de tout montrer sous une vive lumière; tant cette même clarté qui resplendit dans son esprit, qui a conservé en lui, au milieu de ses vices, le sens du beau et de la vertu, lui révèle, avec une prompte et infaillible pénétration, les humeurs diverses des personnages, leurs intérêts, leurs passions! Entre les différents mobiles qui peuvent décider le cœur humain, et qui souvent s'y combattent, il ne cherche pas, il n'interprète pas comme Tacite. Dans les ressorts si compliqués de l'âme, il saisit sur-le-champ, il montre celui qui la met en jeu, au moment où il la peint. La sûreté de son coup d'œil ne le trompe et ne nous trompe jamais. C'est un moraliste, comme Tacite, mais un moraliste sans humeur; il ne peint les hommes ni pires ni meilleurs qu'ils ne sont. Il n'exagère et n'affaiblit rien « Chez lui, dit saint Augustin, le vrai s'embellit sans jamais s'altérer. Nobilitatæ veritatis historicus. » Si Tacite est le livre des penseurs, Salluste doit être celui des hommes d'État. Sans doute, on désirerait que chez lui l'autorité de l'homme vînt confirmer les leçons du moraliste; mais, si l'on ne sent pas dans ses écrits l'accent ému du patriotisme comme dans Tite Live; comme dans

Tacite, l'indignation de la vertu, il en a du moins le respect et comme un regret intellectuel, sinon moral; il plaît moins peut-être, il ne touche pas autant; il instruit davantage.

IV

VARRON.

Doctissimus Romanorum Varro. (SAINT AUGUSTIN, Cité de Dieu, liv. VII.)

Varron naquit l'an 116 avant J. C., d'une ancienne famille patricienne. Il est probable que sa jeunesse et une grande partie de son âge mûr furent consacrées à des études littéraires; ce fut alors sans doute que, dans de solitaires et opiniâtres travaux, il amassa ces connaissances étendues et variées qui lui ont valu la réputation du plus savant des Romains; son nom du moins ne paraît que tard dans l'histoire politique ou militaire de Rome; on ne le trouve pas avant l'année 73, époque où il fut consul avec Attius Varus. En 67, il servit sous Pompée, dans la guerre contre les pirates; il y commandait la flotte des auxiliaires grecs. Quand

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