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il se mit à arracher les ronces dont son manteau était percé; enfin, il se traîna sur ses mains à travers une ouverture fort étroite jusque dans la chambre la plus voisine, où il se coucha sur un lit garni d'un mauvais matelas et d'une vieille couverture. La faim et la soif le tourmentaient de temps à autre, mais il refusa le pain grossier qu'on lui présentait et ne but qu'un peu d'eau tiède. Cependant on le pressait de tous côtés de se soustraire le plus tôt possible aux outrages qui le menaçaient; il ordonna donc de creuser devant lui une fosse dont il mesura l'étendue sur la grandeur de son corps. Il voulut qu'on fit la recherche de quelques fragments de marbre, et que l'on apportât de l'eau et du bois pour rendre les derniers devoirs à ses restes. Pendant ces préparatifs il pleurait et ne cessait de répéter « Quel grand artiste périt en ce moment! >> Tandis qu'il hésitait, arrive un coureur de Phaon; il s'empara vivement d'un billet qu'apportait le courrier, et vit que le sénat l'avait déclaré ennemi public, et qu'on le cherchait pour le punir selon les lois des anciens. Il en fut tellement épouvanté qu'il s'empara de deux poignards qu'il avait apportés; mais, après en avoir éprouvé le tranchant, il les remit dans leur gaîne, en disant; « que l'heure fatale n'était pas encore venue. » Tantôt il engageait Sporus à entonner les lamentations, à commencer les pleurs; tantôt il demandait que quelqu'un l'en

courageât à mourir en lui donnant l'exemple; tantôt enfin il accusait lui-même sa lâcheté et répétait : « je vis honteusement, ignominieusement; » puis il ajoutait en grec cela ne sied pas à Néron; cela ne lui sied pas. Dans de pareilles occasions, il faut être délibéré; allons, reveillons-nous. »

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Déjà cependant s'approchaient les cavaliers qui avaient ordre de l'emmener vivant. Quand il l'apprit, il prononça en tremblant ce vers grec :

<< Mes oreilles sont frappées du bruit des chevaux à la course rapide. »

<< Puis avec le secours d'Epaphrodite, son secrétaire, il s'enfonça dans le cou la pointe de son glaive. Il était à demi-mort quand le centurion entra; celui-ci appliqua son manteau sur la plaie, et feignit d'être venu à son secours. Néron ne répondit que par ces mots : « il est trop tard! puis ceux-ci : « c'est là de la fidélité!» Il expira en les prononçant ses yeux étaient hors de sa tête, et fixes jusqu'à saisir d'horreur et d'effroi tous les assistants. »

Tous les détails de ce récit sont admirables de vérité : la colère puérile de Néron à la première nouvelle de la révolte, ses incertitudes, l'abandon de ses esclaves et de ses amis, cet abaissement qui lui ferait accepter le gouvernement d'une province en dédommagement de l'empire; sa fuite, ses frayeurs à la moindre rencontre; cet asile détourné où il se

glisse comme une bête fauve plutôt qu'il n'y entre; son désir et sa crainte de la mort, et, dans une extrémité si cruelle, le caractère de comédien qui ne l'abandonne point; enfin et surtout, comme l'a trèsbien remarqué Montesquieu, cette nécessité invisible et fatale pourtant de mourir sans rien en apparence qui l'y force, rien, sinon le sentiment de ses crimes et de cette exécration publique qui pèse sur lui, et qui en réalité lui met à la main le poignard indécis et tardif qui venge l'humanité.

XIX

APULÉE.

Ponderis Apuleiani fulmen.

(SIDOINE APOLLINAIRE, Lettres, IV, 3.)

Apulée naquit en Afrique, à Madaure, l'an 114 de Jésus-Christ. De bonne heure envoyé par son père, personnage assez considérable dans son municipe, aux écoles publiques de Carthage, Apulée s'y distingua par de brillants succès; aussi est-ce aux Carthaginois que plus tard sa reconnaissance fera hommage de ses talents comme à ses anciens maîtres, aux soutiens et aux protecteurs de son enfance. Ses études terminées, la mort de son père le mit en possession d'une assez belle fortune. Apulée en profita pour compléter son éducation, en parcourant l'Orient, la Grèce et l'Italie, curieux de toutes les philosophies, mais avide surtout, il nous l'apprend

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