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aux innovations de la parole: aussi la sienne se faisait-elle remarquer par des témérités heureuses, par la négligence des règles ordinaires, négligence qu'il calculait habilement, et qui était chez lui un artifice et non un oubli.

Asinius Pollion, Messala Corvinus et Cassius Severus sont les derniers représentants de l'éloquence romaine. Dès les premières années d'Auguste, elle n'est plus libre cette éloquence, mais du moins elle est encore tolérée, et grâce à Pollion et à Messala, elle conserve les traditions de Cicéron. Malheureusement la violence même de Cassius vint en aide à la tyrannie ce sont les funestes emportements de cet orateur qui lui fournirent un prétexte pour enlever à la parole cette apparence de liberté qu'elle avait encore c'en est fait de l'éloquence; l'éloquence; désormais, c'est la déclamation.

نهى

X

TITE LIVE

Titus Livius eloquentiæ ac
fidei præclarus in primis.
TACITE, Annales IV, 34.

Tite Live a été aussi sobre de renseignements sur lui-même que Salluste en a été prodigue; voici tout ce que nous en savons. Il naquit à Padoue, l'an 59 avant Jésus-Christ. Il avait environ vingthuit ans, quand la mort d'Antoine laissa Auguste seul maître du monde. Admis, comme Virgile et Horace, dans l'intimité d'Auguste, il sut mieux qu'eux rester fidèle à la liberté. Fut-il un des précepteurs de Claude? on peut le croire. Ce fut du moins d'après son conseil que ce jeune prince s'essaya à écrire l'histoire, genre de composition dans lequel, au témoignage des anciens, il avait obtenu

quelque succès. Mais si les détails nous manquent sur la vie de Tite Live, nous avons, de l'admiration même qu'inspiraient ses écrits, un témoignage éclatant. Un étranger, un Espagnol, vient à Rome; il demande à voir Tite Live, et, l'ayant vu, s'en retourne, ne voulant rien visiter de la ville éternelle, après y avoir contemplé ce que, selon lui, elle renfermait de plus grand. Ce fait, rapporté par Pline le Jeune, et, après lui, par saint Jérôme, est le plus grand hommage que jamais écrivain ait reçu. Cette admiration s'est soutenue: au moyen âge, Tite Live est, avec Virgile, celui de tous les auteurs latins qui a le plus vécu dans la mémoire, et celui qui, à la Renaissance, a le plus vivement éveillé l'étude et la sympathie. Il ne s'en faut pas étonner la grandeur de l'ouvrage se trouve jointe, dans les Décades, à la beauté du génie. Le sujet était le plus heureux que pût choisir un historien il offre l'unité dans la variété des événements; le cycle, que veut retracer l'écrivain, j'allais dire le poëte, est complet. Rome a achevé de bâtir l'édifice éternel, elle le croyait du moins, de sa puissance :

Tantæ molis erat romanam condere gentem!

et elle se repose dans une paix majestueuse; non sans regrets peut-être d'une liberté qui a disparu, mais heureuse, après tant d'agitations, de respirer

enfin. Si le forum est muet, la parole n'est pas esclave. On est à ce moment du principat d'Auguste où l'on peut encore dire, sans péril, ce que l'on pense. En effet, d'après ce que dit Tite Live lui-même, au Livre premier, il paraît qu'il commença ce travail pendant la paix qui suivit la bataille d'Actium.

C'est un tel sujet, sept siècles de combats terminés par la soumission de l'univers et le repos de Rome, que Tite Live s'est proposé de retracer : sujet magnifique, épopée et drame tout à la fois, qui dans son étendue même a ses limites fixées et ses péripéties continuelles dans l'unité d'action. Aussi Tite-Live en sent-il tout l'intérêt en même temps que la grandeur. « Si je ne me fais illusion, dit-il, sur l'ouvrage que j'entreprends, jamais république ne fut ni plus puissante, ni plus juste, ni plus riche en grands exemples: « Cæterum aut me amornegotii suscepti fallit, aut nulla unquam respublica nec major, nec sanctior, nec bonis exemplis ditior fuit. » Et, ravi de cette grandeur, dans sa double émotion de Romain et d'écrivain, avant de raconter cette histoire de Rome, il invoque les dieux, comme avait fait Romulus en la fondant: urbem auspicato auguratoque conditam.

Cette émotion n'est pas une émotion passagère; née au moment même où, pour la première fois, l'artiste a été en présence de son œuvre, elle ne

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