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IX

LES DERNIERS ORATEURS.

Quidquid Romana facundia

Habet circa Ciceronem effloruit.

(Sénèque le Rhéteur, Controverses, 1. I.)

Si la poésie, sous le règne d'Auguste, éclatait dans toute sa fleur et son plus varié développement, l'éloquence ne rencontrait pas d'aussi heureuses conditions. Cependant quelques hommes gardaient encore les traditions et les libres allures d'un autre âge. Au premier rang parmi eux il faut placer Asinius Pollion. A la mort du dictateur, Pollion gouvernait l'Espagne ultérieure. Il se déclara pour les vengeurs de César, cédant plutôt à un sentiment d'amitié personnelle pour Antoine qu'à son propre penchant. Il amena deux légions aux triumvirs; en l'an 41 et 40, il gouvernait au nom d'Antoine la

Vénétie, et Virgile le louait de ses vers de la protection qu'il accordait aux vers d'autrui :

Pollio amat nostram, quamvis est rustica, musam.
Pierides, vitulam lectori pascite vestro;

Pollio et ipse facit nova carmina; pascite taurum.

En 713, lorsque Pollion revenait vainqueur de Dalmatie, Virgile lui envoyait, avec ses félicitations, sa huitième églogue, et, mêlant le lierre du poëte aux lauriers du triomphateur, il le louait à la fois de ses victoires et de ses tragédies:

En erit unquam

Ille dies, mihi cum liceat tua dicere facta;
En erit, ut liceat totum mihi ferre per orbem
Sola Sophocleo tua carmina digna cothurno.

Varius n'était encore qu'un poëte comique; il n'avait pas fait son Thyeste; l'auteur de la Médée, né en 43, avait à peine quatre ans ; l'épithète Sola n'était donc que strictement conforme à la vérité.

Horace, dans sa dixième satire, composée, diton, en l'an 30, nommant les grands talents de Rome en tous genres, avant de décerner à Varius la palme de l'épopée et à Virgile seulement celle de la poésie champêtre (il ne s'était encore fait connaître que dans ce genre), parle de Pollion comme du plus grand poëte tragique du temps:

Pollio regum

Facta canit, pede ter percusso.

Ses tragédies cependant ont laissé peu de traces, et ne furent pas d'ailleurs toujours jugées à Rome avec la même indulgence. Un des personnages du Dialogue des Orateurs en trouve le style trop semblable à celui de Pacuvius et d'Attius, étendant jusqu'aux discours de Pollion, fort vantés par un autre interlocuteur, le reproche d'archaïsme que Pollion lui-même adressait à Salluste.

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Fatigué des guerres civiles, quand il vit la discorde éclater entre Antoine et Octave, Pollion ne prit parti ni pour l'un ni pour l'autre; il se tint à l'écart : « Je serai, disait-il, le butin du vainqueur. Son esprit fut attristé par de terribles pressentiments. Il dit adieu à la poésie, à l'éloquence, ne parut plus au sénat et s'ensevelit dans la retraite, s'occupant d'écrire la lutte de César et de Pompée. C'est alors qu'Horace lui adressa cette ode magnifique :

Motum ex Metello consule civicum
Bellique causas....

Il était naturel qu'un homme vieilli dans les affaires eût l'idée d'écrire ce qu'il avait vu et fait en partie. Appien et Suétone parlent de cette histoire de Pollion, et Tacite la rappelle dans la belle défense qu'il prête à Crémutius Cordus accusé, sous Tibère et par Séjan, d'avoir loué Brutus, et appelé Cassius le dernier des Romains; Crémutius

allégua pour sa défense les hommages que lui avaient eux-mêmes décernés, en des jours meilleurs, Tite Live, Messala, Asinius Pollion.

Pollion protégea les écrivains contemporains et fut l'ami de Virgile : c'est lui qui réalisa le premier la pensée de César en fondant à Rome une bibliothèque publique. Si Pollion encourage les écrivains, s'il protége la littérature, ce n'est pas qu'il veuille seconder les vues politiques de l'empereur. Non, Asinius Pollion n'imite pas Mécène; il ne prend pas à tâche, comme l'habile courtisan, de rendre plus facile et plus populaire le gouvernement d'Auguste. Pollion regrette la république; il n'accepte pas le régime impérial; il le subit. Aussi le voyons-nous éviter les causes politiques où son indépendance eût été mal à l'aise il se renferme dans la défense des causes privées. Son éloquence était noble, sévère, digne, énergique par la vigueur de son style, par l'élévation de la pensée, Pollion rappelait souvent Cicéron dont il était le disciple et quelquefois le rival. Ce qu'on peut lui reprocher, c'est une sévérité exagérée, et surtout l'abus des archaïsmes: il parlait comme aurait parlé un orateur du siècle précédent.

Sénèque nous apprend qu'en déclamant il tombait dans l'excès contraire. Il fallait alors lui pardonner l'abondance des ornements et des fleurs dont il était si avare dans ses discours, et Sénèque

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