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VI

VIRGILE.

Molle atque facetum

Virgilio annuerunt gaudentes rure camoenæ.

(HORACE, Satires, I, 10.)

Virgile naquit dans un bourg près de Mantoue, le 15 octobre 69 avant J. C. Son père, sur lequel on a débité beaucoup de contes, lui fit, on doit le supposer du moins, donner une excellente éducation. Il étudia d'abord à Crémone; à dix-sept ans, après avoir pris la robe virile, il alla de Crémone à Milan, et de là se rendit bientôt à Naples. L'érudition, aidée surtout des vers de Virgile, s'est plu à retrouver, à recomposer le modeste héritage où se passèrent les premières années du poëte; elle le place sur la rive droite du Mincio, à trois milles environ au-dessous de Mantoue, et proche le village d'Andes ou Pietola, sur un terrain plat, dans un marais

couvert de joncs, entre des collines qui, par une pente insensible, s'avançaient jusqu'au bord uni de la rivière. L'imagination aime à se figurer Virgile tantôt rêvant au pied d'un hêtre brisé, au bruit de ces essaims d'abeilles qui bourdonnent dans le creux d'un vieux chêne; tantôt assis auprès des sources sacrées où l'on respire la fraîcheur et l'obscurité, sur ce rocher d'où l'on entend dans le lointain monter et se perdre dans les airs la voix du bûcheron; quelquefois enfin s'égarant avec le Mincio aux lents et sinueux détours, sur ces rives entourées d'une molle ceinture de roseaux, où se jouent et paissent des cygnes d'une éclatante blancheur. C'est dans cette atmosphère brumeuse et tiède, dans cette campagne monotone, sous ce soleil fréquemment voilé que se nourrissait le génie mélancolique de Virgile.

A Naples, Virgile étudia, avec ardeur et opiniâtreté, les lettres grecques et latines, la médecine et les mathématiques. Là dans une douce et obscure jeunesse, il se prépara par l'étude et la réflexion à soutenir ces inspirations du génie poétique, qui déjà sans doute s'éveillaient en lui dans cette vie de solitude et de calme: souvenirs touchants et gracieux, qu'il a consacrés à la fin des Géorgiques:

Illo Virgilium me tempore dulcis alebat

Parthenope, studiis florentem ignobilis oti.

Suivant les conjectures des anciens grammairiens et des savants, Virgile aurait étudié la littérature grecque sous Parthénius, lui-même poëte distingué, et auteur d'un recueil de petites historiettes d'amour, que nous avons encore, et même de ce Moretum, dont la traduction latine peut avoir exercé la jeunesse de Virgile.

La philosophie joignait à ces études ses hauts enseignements; Virgile les reçut à l'école de Scyron, de la secte d'Épicure, dont Cicéron cite deux fois l'autorité. D'autres lui donnent pour maître un certain Catius l'Insubrien, cité par Quintilien et par Horace.

C'est peut-être à cette étude de la doctrine d'Épicure, répandue et popularisée dans Rome par le poëme de Lucrèce, que Virgile dut ce goût pour les siences naturelles qui ne l'abandonna jamais; goût qu'au second livre des Géorgiques il a exprimé dans des vers qui semblent en lui un regret de n'avoir pu suivre cette première pente de son génie, cette vocation scientifique. Virgile a voulu, j'imagine, consigner encore ces regrets et ce penchant qui le portaient à étudier et à peindre les secrets, les beautés et les magnificences de la nature, ́dans l'églogue de Silène, où il résume avec une si heureuse concision, une clarté si vive et si nette, le système de la création du monde, développé par Lucrèce. Ainsi, la première inclination de Virgile

avait été pour les sciences. Mais ces connaissances ne furent pas perdues : l'instruction du jeune homme profita au poëte.

Après avoir terminé ses études à Naples, Virgile (tout du moins, et surtout les vers adressés à Scyron portent à le croire) fit à Rome un premier voyage. Là, partagé entre ses travaux et les succès du barreau, il chercha longtemps sa destinée, ou plutôt l'heureux accident qui devait produire au grand jour le génie qui déjà en lui se trahissait. Ce moment arriva. Présenté à Auguste qui le combla de marques d'estime et le recommanda particulièrement à Pollion; honoré de l'amitié de Mécène, de Varus, de Gallus, sans inquiétude du côté de la fortune, Virgile put se livrer entièrement au commerce des muses. Ici seulement Virgile va se révéler à nous; mais avant de le chercher, de le suivre dans les progrès de son génie, rassemblons et fixons les impressions de jeunesse et les influences littéraires qui ont dû agir sur lui.

Trois influences nous paraissent s'être réunies pour préparer, nourrir, inspirer le génie du poëte latin son enfance élevée au milieu des travaux de la vie champêtre, et attristée du spectacle des guerres civiles; sa jeunesse fortifiée, sous l'influence grecque, par l'étude des sciences et de la philosophie; enfin la protection d'Auguste, qui est venue, en l'encourageant, soutenir son génie qui

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