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intellectuel de son temps, nous trouverons peutêtre que Varron a été un initiateur plutôt qu'un écrivain. Possesseur d'une vaste et précieuse bibliothèque, il a voulu en quelque sorte la rendre publique, en faisant connaître par des extraits, plus souvent que par des ouvrages complets, les richesses qu'elle renfermait; car c'est ainsi, ce me semble, qu'il faut comprendre, ce que dit Aulu-Gelle, de ces quatre cent quatre vingt-dix traités qu'il aurait composés à l'âge de soixante-dix-huit ans ; et l'on sait que Varron vécut encore longtemps.

Varron continue et complète Caton, envers lequel il est parfois trop sévère. Comme lui, il a écrit sur tous les sujets et mérité, outre l'épithète de polygraphe que lui donne Cicéron, cet éloge de Quintilien, éloge que Pline faisait aussi de Caton, d'avoir presque embrassé dans ses ouvrages l'universalité des connaissances humaines: Quam multa! imo pene omnia tradidit Varro. Mais on comprend que ces connaissances relativement étendues devaient être nécessairement superficielles et incomplètes, et qu'elles durent être facilement dépassées, quand la Grèce tout entière se fit l'institutrice de Rome. J'attribuerais un peu, je l'avoue, à cette circonstance, et aussi au défaut d'ensemble et d'unité, la perte des ouvrages de Varron. De nouveaux et plus complets ouvrages sur les mêmes sujets durent les faire négliger; le style avait vieilli aussi : il en faut moins

pour perdre les meilleurs ouvrages. N'oublions pas d'ailleurs le pillage de la maison de Varron, où ses manuscrits avaient dû périr en grande partie avec ses livres Ex quibus multos, dit Aulu-Gelle, cum proscriptus esset, direptis bibliothecis suis, non comparuisse. Mais, tel qu'il nous reste, incomplet et mutilé, Varron n'en est pas moins un auteur considérable monument dégradé, rompu, mais dont les ruines sont encore éloquentes et les révélations précieuses la vieille Rome s'y reconnaît. En un mot, Varron nous paraît mériter cette admiration de Pétrarque, qui le plaçait entre Cicéron et Virgile:

Qui vid' io nostra gente aver per duce
Varrone, il terzo gran lume romano
Che quanto 'l miro più, tanto più luce.

(Trionfo della fama, c. III.)

V

MÉCÈNE.

Calamistros Mœcenatis.

(Dialogue des Orateurs, c. xx.)

La critique n'a point encore fixé d'une manière certaine la date de la naissance de Mécène, qui peut cependant se placer entre les années 73 et 63. Né à Arezzo, ville d'Étrurie, Mécène avait la prétention de descendre des anciens rois de ce pays, et les poëtes qu'il protégea ne manquèrent pas de rappeler souvent cette généalogie authentique ou supposée. Les premières années de Mécène échappent à l'histoire; mais on peut croire qu'elles furent, ainsi que celles des jeunes Romains riches et d'une famille distinguée, consacrées à l'étude et à acquérir ces connaissances et ce goût délicat qui firent plus tard les mérites de Mécène. Ce fut probable

ment à Apollonie, où le conduisit sans doute le désir de perfectionner par la culture grecque son éducation, qu'il eut occasion de connaître Octave, et de lier avec lui cette amitié qui ne devait plus se démentir, de la part de Mécène du moins. Ce fut le premier et constant bonheur politique d'Octave, que cet attachement de Mécène. Dès lors, et dans toutes les circonstances, nous trouvons auprès de lui le sage conseiller qui sut avec tant d'habileté préparer et maintenir cette fortune surprenante de l'héritier de César. Ce fut Mécène qui conseilla à Octave cette déférence trompeuse envers Cicéron, dont la bienveillance et la protection lui furent si utiles; Mécène qui, entre Octave et Antoine, ménagea, après la bataille de Modène, cette réconciliation si fatale à la république, à Octave si nécessaire; Mécène enfin, qui une seconde fois, et au moment où la division d'Antoine et d'Octave allait peut-être les livrer à la hardiesse généreuse de Sextus Pompée, les réunit par le mariage de la sœur d'Octave avec Antoine. Mécène paya aussi de sa personne. Dans la guerre de Modène, à Pérouse, en Sicile, à Actium, on le vit à côté d'Octave; mais ce courage disparaît devant ses services politiques. Quand Octave fut devenu Auguste, les conseils de Mécène, toujours prudents et habiles, ne lui manquèrent pas. Dans cette délibération où Auguste, avec peu de sincérité, on le peut croire,

demandait s'il devait quitter le pouvoir, Mécène, on le sait, le lui montra comme son seul refuge; et cet avis, qui flattait sans doute la secrète pensée d'Auguste, était en même temps, à y bien regarder, le meilleur et le plus profond. Le gouvernement de l'empire fut quelque temps comme partagé entre Auguste et Mécène; Auguste lui confia le sphinx, sceau du pouvoir. Rome soumise, tout n'était pas pacifié; au dehors, des peuples, jusque-là rebelles, à soumettre, l'honneur des aigles romaines à venger, forcèrent souvent Auguste à quitter Rome; Mécène alors y veillait pour lui: habile à prévenir, à déjouer les complots qui se formaient sans cesse contre le pouvoir nouveau; habile quelquefois aussi à les faire naître, ou du moins à les laisser se développer, quand ils pouvaient servir les desseins de son maître. Ce fut ainsi que, dans un moment où Auguste éprouvait de la part des Romains quelque résistance, Mécène, pour leur faire sentir la nécessité de ce pouvoir d'un seul, contre lequel ils s'indignaient en secret, favorisa des troubles qui, effrayant les citoyens, achevèrent de consolider la domination d'Auguste.

Mais enfin Rome et le monde se turent devant Auguste. Mécène alors crut pouvoir se livrer à un repos, qu'il sut encore rendre utile à son maître. Les esprits étaient contenus, mais non gagnés. Mécène travailla à en obtenir cet assentiment volon

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