Page images
PDF
EPUB

ENCYCLOPÉDIQUE.

HISTOIRE D'EGYPTE.

SUR un passage de Diodore de Sicile, portant que le Vol étoit privilégié dans l'ancienne Égypte.

On est revenu de l'erreur que les prêtres Egyptiens ont été les dépositaires de toutes les connoissances, depuis que quelques savans du premier ordre ont porté le flambeau d'une saine critique dans le cahos de l'antiquité égyptienne, et en ont ainsi dissipé, du moins en partie, les ténèbres. Mais s'il est douteux que toutes aient été également cultivées dans l'ancienne Égypte, on ne sauroit du moins disconvenir que les sciences morales n'aient atteint, chez cette nation un assez haut degré de perfection. Le gouvernement des Egyptiens a été en effet un des plus sages et des plus parfaits de tous ceux des anciennes nations. En parcourant Hérodote et Diodore de Sicile, auteurs qui nous font connoître principalement les institutions civiles de ce peuple, on a lieu d'être étonné de l'esprit de sagesse qui règne dans la plupart de ses lois. Quoi par exemple de plus juste et de plus sage que celle qui ordonnoit que chaque citoyen fût

tenu de faire la déclaration de son métier et de son état auprès du magistrat. Cette institution étoit aussi nécessaire qu'utile, et la peine de mort, décrétée contre ceux qui osoient enfreindre cette loi et exercer un métier illégitime, n'a rien de cruel ni d'exagéré; car celui qui examinera avec quelque attention le caractère primitif des Égyptiens, caractère mélancolique et atrabilaire, porté par sa nature même à tous les excès possibles et aux plus grandes atrocités, trouvera cette loi parfaitement proportionnée au délit. Hérodote rapporte que Solon emprunta cette loi de l'Égypte, et l'établit à Athènes, où, dit-il, elle est toujours en vigueur, parce qu'elle est sage, et qu'on n'y peut rien trouver à reprendre.

D'après cela, ne doit-on pas être étonné de trouver, parmi cette longue série de bonnes institutions, une loi qui fait descendre ces sages Egyptiens au niveau de ces peuples qui, à peine sortis de la plus profonde barbarie, conservent dans leurs institutions des preuves infaillibles de leur état antérieur.

Je rapporte ici le passage de Diodore de Sicile (1). «Il existoit, dit-il, une loi très-singulière en Egypte sur les voleurs; elle portoit que tous ceux qui vouloient exercer ce métier seroient tenus de s'inscrire chez le chef de leur congrégation, de lui déclarer d'abord le vol, puis de lui remettre le fruit du larcin. Ceux qui avoient à réclamer des effets dérobés, s'inscrivoient de même, avec le détail exact et circonstancié du (1) Lib. I, cap. 80.

lieu, du jour, de l'heure du vol, et la désignation de la valeur des objets perdus. Comme tout pouvoit ainsi très-aisément se requérir, on rendoit l'objet du vol au plaignant, moyennant la rétribution de la quatrième partie de sa valeur. Dans l'impos sibilité d'exterminer entièrement le vol, le lé gislateur imagina ce moyen, par lequel le volé pouvoit recouvrer son bien, moyennant une légère rétribution. »>

Cette loi, qui peut passer en effet pour très-singulière, et qui pourroit prouver que les réglemens de police étoient encore chez ce peuple dans l'état d'enfance, n'est constatée dans aucun autre ou❤ vrage, excepté dans les Nuits attiques d'AuLué Gelle, qui semble enchérir encore sur le témoi gnage de Diodore. Aulugelle dit qu'il se rappelle avoir lu dans Ariston qu'indistinctement toute espèce de vol étoit permise chez les Egyptiens, et exempte de toute punition (1).

On seroit d'abord tenté de croire que la véracité de ces auteurs doit être suspectée, ou bien qu'ils ont débité des choses dont ils n'étoient pas intimement persuadés eux-mêmes. « Dio» dore, comme dit M. de SAINTE-CROIX dans son excellent examen des Historiens d'Alexandre, » a-t-il toujours montré, dans l'emploi qu'il a » fait de ses matières, beaucoup de discerne

(1) Id etiam memini legere me in libro Aristonis jareconsulti, haudquaquam indocti viri: apud veteres AEgyptios, quod genus hominum constat, et in artibus reperiendis sollertes ex stitisse, er in cognitione rerum indaganda sagaces, furta omnia fuisse licita et impunita. A. GELL. Noct. Att. XI, 18.

[ocr errors]
[ocr errors]

» ment? On 'en aperçoit peu dans la manière » dont il a compilé tant d'auteurs dans ses cinq » premiers livres; c'est souvent un chaos qu'aucun » trait de lumière n'éclaire. La préférence qu'il » donne au récit de Ctésias sur celui d'Hérodote, suffiroit seule pour le décrier. Dans » les dix autres livres qui nous restent, Diodore » marche avec moins d'embarras et plus d'assu»rance, sans néanmoins être guidé par la cri» tique. H falloit nécessairement en avoir beau» coup pour se décider sur les témoignages divers ou opposés qu'il avoit sous les yeux. Il paroît rarement les avoir discutés les uns par » les autres; il adoptoit le récit qui, au premier » coup d'œil, offroit le plus de vraisemblance. » Ceux à qui ce témoignage ne suffiroit pas pour les persuader de la légèreté de Diodore, pourront encore consulter une très-savante dissertation de M. Heyne, qui est dans les mémoires de la Société de Goettingue (2).

[ocr errors]

Quant aux Nuits auiques d'AULUGELLE, c'est sans contredit un ouvrage d'une grande impor tance, en ce qu'il renferme une foule d'obser vations sur des objets littéraires, philosophiques historiques ou critiques; c'est le fruit des lec tures nombreuses de l'auteur, et de ses entretiens avec les personnes de son siècle les plus

(2) HEYNE de fontibus et auctoribus histor. Diodori, in comment Societ. Gorting., 1. VII, p. 107, etc. Get illustre savant a très-bien discuté cette matière, et on trouve dans ses mémoires la preuve de ce qu'a avancé M. de SainteCROIX sur les sources où Diodore a le plus souvent puisé.

Vol.

distinguées par leur naissance, leurs emplois, leurs lumières et leur amour pour les belles connoissances; nous ne pouvons donc que nous féliciter que cet ouvrage ait heureusement échappé en grande partié au torrent des siècles et aux ravages de la barbarie; mais en convenant de son excellence, il ne faut pas non plus oublier ses défauts; il en a sans contredit, et même de trèsgraves; outre le manque d'ordre, de méthode, de liaison dans les matériaux, on pourroit encore lui faire le reproche d'avoir souvent copié indistinctement des auteurs dont la fidélité historique est fort suspecte. C'est donc une raison de plus de ne point admettre son jugement sans l'avoir sagement discuté.

Un sujet aussi important et aussi singulier que cette loi, ne devoit pas manquer d'attirer l'attention des auteurs et des historiens modernes. Il est vrai que plusieurs en ont parlé avec assez d'étendue; mais leurs opinions et leurs jugemens sont peu satisfaisans, et il n'y en a que trèspeu qui l'aient examiné avec attention. C'est ainsi que GOGUET, dans son Origine des lois, se contente de la rapporter, et de dire ensuite : «On a voulu excuser les Egyptiens sur ce réglement, qui ne fait pas honneur à leur sagesse. Le législateur, dit-on, sentant qu'il ne pouvoit empêcher le vol, avoit donné aux citoyens un expédient facile pour recouvrer ce qui leur étoit dérobé; mais si l'on ne peut pas détruire ce malheureux penchant qui porte les hommes à s'approprier le bien d'autrui, du moins ne faut-il pas l'autoriser. Rien

« PreviousContinue »