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ODE IV.

CONTRE L'AFFRANCHI MÉNAS '.

Toute l'antipathie que la nature a mise entre le loup et l'agneau, je l'éprouve pour toi, dont les flancs sont encore noirs des coups d'étrivières, et les jambes meurtries par les entraves. En vain tu relèves la tête, fier de ton or la fortune ne change pas la naissance. Vois-tu, lorsque tu balaies la voie sacrée avec ta robe de six aunes, les passants détourner la tête avec indignation? « Le voilà, disent-ils, ce misérable, déchiré par le fouet des triumvirs 2, jus qu'à enrouer le crieur 3; et il laboure mille arpents à Falerne ! et ses chevaux fatiguent la voie Appienne! et, noble chevalier, au mépris de la loi d'Othon 4, il prend les premières places au théâtre! Pourquoi donc envoyer tant de vaisseaux de guerre contre des pirates 5 et des esclaves, s'il est lui, tribun des soldats!_»

ODE V.

CONTRE CANIDIE.

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« Ah! par tous les dieux qui gouvernent la terre et le genre humain, pourquoi tous ces apprêts? pourquoi ces farouches regards que vous lancez sur moi? Et toi, par tes enfants, si jainais Lucine t'assista dans un enfantement véritable , par ce vain ornement de pourpre 7, par Jupiter que tu outrages, pourquoi, je te supplie, m'envisager avec les yeux d'une marâtre, ou d'une bête féroce que le chasseur a blessée ? »

Ainsi se plaignait l'enfant d'une voix tremblante; on lui arrache sa robe, on le dépouille; ce corps délicat eût attendri le cœur impitoyable d'un Thrace. Canidie, les cheveux épars et entrelacés de vipères, ordonne de brûler dans un feu magique

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4 Par

5 Ceux

Il était affranchi de Pompée; puis il devint partisan d'Auguste, qui le fit chevalier romain et tribun des soldats.—2 Ces magistrats étaient chargés de juger les procès des hommes de la dernière classe, et de poursuivre les vagabonds, les voleurs, les esclaves, etc. Le crieur lisait tout haut la sentence pen dant l'exécution du coupable. laquelle les nobles étaient séparés au théâtre des plébéiens et des affranchis. que Sextus Pompée commandait. Les sorcières élevaient des enfants supposés, pour servir à leurs opérations magiques; ces enfants étaient dérobés à leurs parents; et pour cacher leur larcin, les magiciennes feignaient d'être accouchées. 7 Bordure de pourpre qui ornait la robe prétexte.

I

le figuier sauvage arraché sur les tonibeaux, le cyprès fanèbre, les plumes et les œufs de la chouette trempés dans le sang du crapaud, les herbes que produisent Iolchos et l'Ibérie2 féconde en poisons, et des os ravis à la gueule d'une chienne affamée.

Cependant Sagana, la robe retroussée, arrose toute la maison des eaux de l'Averne: ses cheveux se dressent comme les dards du hérisson marin, comme les soies du sanglier lancé par une meute. Véia, que le remords n'arrêta jamais, creuse péniblement la terre avec un lourd hoyau, en gémissant sous l'effort c'est là qu'enseveli jusqu'au menton, comme le nageur dont la tête apparaît au-dessus de l'eau, l'enfant doit lentement mourir, à la vue des viandes deux ou trois fois renouvelées devant lui, dans le cours d'une éternelle journée; et quand ses prunelles, fixées sur les mets interdits, se seront enfin éteintes, sa moelle et son foie desséchés composeront un breuvage d'amour. Folia était présente : du moins l'oisive Parthénope et les cités voisines l'ont pensé; Folia de Rimini3, ce monstre de débauche, dont les magiques accents détachent du ciel la lune et les étoiles.

Alors, de ses dents livides rongeant ses ongles difformes, que n'osa point dire Canidie?

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« O fidèles témoins de mes œuvres, nuit, et toi, Diane, qui entoures de silence nos sacrés mystères, venez, venez maintenant, tournez contre la demeure de mon ennemi votre puissance et votre colère! A l'heure où les bêtes sauvages, retirées dans l'épaisseur des forêts, sont engourdies par le sommeil, que tous les chiens de Subure aboient après ce vieux débauché 5, et qu'il devienne la risée de toute la ville: je le couvre de l'essence la plus parfaite qu'aient préparée nies mains... Que vois-je? les poisons de la barbare Médée ont-ils perdu leur pouvoir? Ne sont-ce plus ces poisons qui la vengèrent dans sa fuite, quand elle vit son orgueilleuse rivale, la fille de Créon, consumée par la robe dévorante dont elle lui fit présent? Cependant pas une herbe, pas une racine cachée dans les lieux les plus sauvages, qui m'ait échappé; et il dort paisible sur le

4 Ville de la Thessalie.2 Contrée d'Arménie. de Rome habité par les femmes de mauvaise vie. — Canidie, pour s'abandonner à d'autres courtisanes.

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5 Ville de l'Ombrie, - 4 Quartier

Varus, qui se dérobait à l'amour de

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lit de ses maîtresses; il m'oublie!.... Ah! ah! une magicienne plus savante a rompu ses fers! des philtres inconnus... O Varus, que de larmes tu vas répandre ! oui, des philtres inconnus te forceront bien de revenir à moi, et tous les charmes des Marses ne rappelleront pas ta raison. Je préparerai, je te verserai moi-même un breuvage vainqueur de tes dégoûts. Oui, les cieux s'abaisseront au-dessous des mers, la terre s'élèvera audessus des cieux, ou tu brûleras pour moi, comme le bitume dans ces feux sombres !

Alors l'enfant renonce à désarmer ces furies par de touchantes prières; et, dans l'égarement du désespoir, il les charge d'imprécations dignes de Thyeste :

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Vos poisons, vos sortiléges infâmes ne sauraient changer l'ordre des destins. Je vous maudis ; et les malédictions, nulle victime ne les détourne. Arrachez-moi la vie ! mais, furie nocturne, j'apparaîtrai devant vous; mon ombre vous déchirera le visage de ses ongles, ce qui est la vengeance des mânes; je pèserai sur vos poitrines haletantes, et la terreur vous ravira le sommeil. De rue en rue, la populace vous poursuivra à coups de pierres, et vous assommera sans pitié, vieilles immondes! les loups et les corbeaux se disputeront vos membres privés de sépulture; et mes parents, désolés de me survivre, jouiront de ce spectacle.

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ODE VI.

CONTRE CASSIUS SÉVÈRE 2.

Pourquoi tourmenter des passants inoffensifs, aboyeur, si lâche devant les loups? Tourne contre moi, si tu l'oses, tes vaines menaces; attaque qui te peut mordre. Comme le dogue d'Épire ou le limier fauve de Laconie, fidèle appui du berger, la première bête qui part devant noi, je la poursuis, l'oreille haute, au travers des neiges. Toi, quand tu as épouvanté la forêt de tes aboiements, tu flaires la pâture qu'on te jette. Prends garde! terrible aux méchants, je suis toujours prêt à leur courir sus, comme le gendre dédaigné du parjure Lycambe ou

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4 Les Marses étaient enchanteurs et devins.— 2 Avocat, attaquait tout le monde dans ses plaidoyers et ses écrits. Il avait promis sa fille Néobule à Archiloque, et refusa de tenir sa parole. Le poëte fit contre lui des vers si sanglants, qu'il le réduisit à se pendre.

l'implacable ennemi de Bupalus '. Crois-tu, si quelque chien hargneux me déchire, que je me contente de pleurer comme un enfant?

ODE VII.

AUX ROMAINS.

Où courez-vous, impies? Pourquoi dans vos mains ces armes à peine déposées? Trop peu de sang romain a-t-il coulé sur la terre et sur les flots? non pas, hélas! pour réduire en cendres les orgueilleux remparts d'une jalouse Carthage, ou pour voir l'indomptable Breton descendre la voie Sacrée chargé de chaînes'; mais pour combler les vœux du Parthe, et lui montrer Rome s'égorgeant de ses propres mains! Les tigres et les loups sont moins féroces; ils ne se déchirent pas entre eux. Est-ce une fureur aveugle, une invincible fatalité, vos crimes, qui vous entraînent? Répondez... Ils se taisent; une affreuse pâleur couvre leur visage; l'effroi les rend stupides. Oui, Romains, c'est une destinée de fer qui vous pousse ! Le fratricide crie vengeance, depuis que l'innocent Rémus arrosa la terre d'un sang qui retombe sur sa postérité.

ODE VIII.

CONTRE UNE VIEILLE LIBERTINE .

Tu me demandes, ruine séculaire, ce qui amollit ma vigueur, toi dont les dents sont noires, dont le front est labouré de rides, et dont le hideux anus bâille entre tes fesses décharnées comme celui d'une vache qui a la diarrhée! Sans doute que ta poitrine, ta gorge putride et semblable aux manielles d'une jument, que ton ventre flasque et tes cuisses grêles, plantées sur tes jambes hydropiques, devraient exciter mes désirs!... Mais qu'il te suffise d'être opulente; qu'on porte à tes funérailles les images triomphales de tes aïeux; qu'il n'y ait pas une femme au monde qui se pavane chargée de perles plus élégantes que les tiennes !..... Pourquoi d'ailleurs étaler complaisamment sur tes coussins de soie des livres de philosophie !

1 Sculpteur, avait représenté le poëte Hipponax sous des traits ridicules; Hipponax s'en vengea par de cruelles satires. 2 Cette épode n'est pas du même traducteur.

Serait-ce que le manque de lettres dans un homme ait la vertu soit d'exciter, soit de faire languir ce membre dont tu ne peux vaincre les orgueilleux dégoûts qu'en le sollicitant avec ta langue ?

ODE IX.

MÉCÈNE.

Mécène, puisque César est vainqueur, ce cécube réservé pour les jours de fète, quand pourrons-nous le boire dans ton palais, aux sons de la lyre dorienne mariée aux flûtes de Phrygie? Notre joie est agréable aux dieux; comme naguère 2, quand le prétendu fils de Neptune, chassé des mers de la Sicile, s'enfuit à la lueur de ses vaisseaux embrasés, lui, qui menaçait Rome des mêmes fers dont il avait, d'une main amie, délivré de perfides esclaves.

Des Romains 3 (siècles futurs, vous ne le croirez pas!), des Romains vendus à une femme ne rougissent pas de porter pour elle leur bagage et leurs armes ! Ils peuvent obéir à des eunuques décrépits; et parmi nos aigles, ô infanie! le soleil voit le lâche pavillon d'une Egyptienne! Indignés, deux mille Gaulois tournent bride, en criant: Vive César! Des vaisseaux ennemis se refusent au combat, et vont cacher dans le port leurs poupes fugitives.

Pompe triomphale! où sont tes chars rayonnants d'or et tes génisses consacrées? Hâte-toi, divin triomphe! Moins grand fut le héros que tu ramenas vainqueur du roi des Numides 4, moins grand fut l'Africain, dont la gloire a élevé le tombeau sur les débris de Carthage. Vaincu sur la terre et sur l'onde, l'ennemi a déposé la pourpre, et s'est revêtu de deuil. Trahi par les vents, il s'efforce de gagner la Crète aux cent villes ou les Syrtes battues par les orages du midi, ou peut-être il s'abandonne à la merci des flots. Apporte-nous, esclave, de plus larges coupes, et les vins de Chio et de Lesbos; verse-nous le cécube, qui ranime le cœur prêt à défaillir. Nous avons tremblé pour César : noyons nos alarmes dans le vin.

4 Auguste venait de remporter la victoire d'Actium. — ? Quelques années auparavant, Sextus Pompée, qui se faisait appeler fils de Neptune, avait été chassé des mers de la Sicile par la flotte d'Auguste. 3 Ceux qui suivaient Antoine et Cléopâtre. Marius, vainqueur de Jugurtha.

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