Page images
PDF
EPUB

PREMIERE PARTIE

L'époque la plus archaïque.

Commençons par le vase de Tarquinium (ou Corneto).

Ce vase est certainement du vine ou du commencement du viie siècle. La tombe dont il provient appartient à cette période, comme une autre tombe fort analogue qu'on a isolément attribuée par d'excellentes raisons au viie siècle. Il est probable que ce vase est bien antérieur à ce Tarquin l'ancien, riche seigneur ou lucumon de Tarquinium, fils du Corinthien Démarate, qui s'établit, vers 627 avant J.-C., à Rome où il devint le favori, puis le successeur d'Ancus et, comme tel, 4e roi de Rome.

En effet, le roi Egyptien, dont il fait mention, vivait au moins un siècle plus tôt, c'est-à-dire à peu près au temps où l'on place Romulus, et il est peu probable que sa popularité politique ait beaucoup survécu à sa mort violente.

Bocchoris c'est le roi dont il s'agit

est représenté sur ce

vase à l'apogée de sa puissance et de sa gloire. Les décorations en émail bleu y occupent deux registres. Dans le second, des prisonniers y sont figurés, les mains attachées, soit au-dessus de la tête, soit sur la poitrine, soit derrière le dos. Dans le premier, le roi, couronné de l'uræus et portant ses deux cartouches (Uahkara et Bokenranf), d'une part, se fait assister par la déesse Neith pour adorer le dieu Horus, d'une autre part, s'avance en donnant les mains au dieu Horus, symbole de l'imperium pharaonique, et au dieu Thot, symbole de la science.

Tout le monde sait, en effet, que Bocchoris fut un grand savant et un grand législateur. C'est le premier auteur du code des contrats, si longuement étudié par nous dans nos cours. Les Grecs avaient parfaitement compris sa physionoinie et son rôle. Il ne faut donc pas nous étonner si les Phéniciens, fabricateurs de ce vase de style d'imitation, avaient voulu célébrer un tel héros chant à eux, je l'ai expliqué ailleurs, par son origine et qui les avait probablement sous son pouvoir, comme la plupart de ses prédécesseurs.

=

se ratta

L'appellation même de Bocchoris (bok en-ranf : ebed shemo), « le serviteur de son nom », c'est-à-dire de ce shem dans lequel les Hébreux eux-mêmes voilaient la personnalité divine, est certainement une importation sémitique. Rien d'analogue à ce culte du nom n'existait en Egypte même.

J'en dirai autant de l'appellation de son père : Tafnekht sa force », forme théophore apocopée comparable à beaucoup de noms hébreux et qui, pour les pieux Egyptiens, serait devenue Amon tafnekht « Amon est sa force » ou Hor tafnekht « Horus est sa force »..

On n'a pas oublié que Bocchoris fut accusé par les prêtres d'impiété envers le dieu Apis (1) et que, s'il figure ici avec trois di-` vinités égyptiennes, c'est que véritablement il ne pouvait en être autrement.

Dans tous les cas, il est certain que Bocchoris appartenait, comme son père Tafnekht (le Tephanekhtès de Diodore), au parti des étrangers (Sémites et Assyriens) pendant la grande lutte de plusieurs siècles (2) entre les Pharaons d'Ethiopie prétendant descendre des rois-prêtres de Thèbes et les sar des sar de Ninive qui se disputaient l'hégémonie de la vallée du Nil.

Les uns et les autres, d'ailleurs, reconnurent en Egypte des rois ou dynastes inférieurs, qui changèrent souvent d'orientation. Je citerai celui de Thèbes, Montemhat, celui de Memphis Niku et bien d'autres qui, du temps d'Assurbanipal, de Tahraku, de Rutamen, etc., servirent successivement les deux camps opposés.

Cependant, bien entendu, chacun avait ses préférences et ses antipathies. Celles de Tafnekht et de Bocchoris, qui avaient précédé immédiatement Niku à Memphis, étaient très nettes.

(1) Mariette a cependant retrouvé dans le Sérapeum l'apis enterré par Bocchoris.

(2) A partir de Tiglaphalasar qui le premier conduisit une expédition victorieuse dans Misr, c'est-à-dire en Egypte.

Ils détestaient les Ethiopiens et préféraient de beaucoup les orientaux ces orientaux que les rois éthiopiens d'alors nous

peignent frémissant au bruit de leurs noms.

Un instant, pendant ces troubles, le père de Bocchoris, Tafnekht, d'abord petit prince de Nuter, puis maître de Memphis, espéra profiter de la rivalité des deux puissances adverses pour se rendre maître de l'Egypte entière. Déjà une stèle du Musée d'Athènes l'a

'démontré il avait usurpé le double cartouche et ses armées victorieuses remontaient vers Thèbes, quand le monarque éthiopien se réveilla, le vainquit et l'obligea à une capitulation honteuse; c'està-dire à abandonner la légende royale (que Piankhi laissait pourtant à d'autres de ses vassaux) et à reconnaître par serment son allégeance, en se bornant à occuper, à titre de gouverneur ou de nomarque, les villes détenues par lui avant la guerre,

Ce serment, Tafnekht paraît l'avoir observé pendant sa vie. Mais il n'en fut pas de même de son fils Bocchoris, qui reprit ses anciennes visées et réussit à se faire reconnaître roi dans toutes les provinces égyptiennes et même à Thèbes, ainsi que le prouve un contrat thébain de l'an 16 de son règne que j'ai publié et commenté.

Ce fut, sans nul doute, quand il devint, sans conteste, le remplaçant des anciens Ramessides, quand il eut triomphé de tous ses ennemis et attaché ses captifs derrière son char, que ses sujets phéniciens, heureux des succès de leur illustre compatriote, lui rendirent hommage par notre vase, destiné aux sacrifices, que Schiaparelli leur attribue avec raison.

Ce fut alors aussi qu'il mit la main à sa grande œuvre juridique et que, s'inspirant des lois de Ninive et de Babylone, il ne craignit pas de rompre avec les traditions sacrées de l'Egypte et avec le code amonien promulgué par les prêtres rois de la 21 dynastie, dont ses ennemis, les rois d'Ethiopie, prétendaient descendre, pour rédiger son propre code des contrats, tout contraire d'esprit et de tendances.

Je ne puis entrer ici dans des détails que l'on trouvera d'ailleurs dans mon « Précis de droit égyptien » (1). Qu'il me suffise de dire que Bocchoris réussit dans sa réforme : et que sa législation, donnant aux gens du peuple une quasi-propriété véritable, avec la faculté de rédiger eux-mêmes leurs titres, ne put être complètement abrogée,

(1) Chez Giard et Brière, éditeurs, rue Soufflot, no 16.

même par ses ennemis les Ethiopiens, même par ce Shabaku qui vainquit Bocchoris et le brûla vif, tant à cause de son impiété qu'à cause de la violation sacrilège du serment prêté par son père. Après bien des alternatives, bien des modifications successives en divers sens, ce code redevint, pour tous, sous Amasis, la loi reconnue de la vallée du Nil, et cela jusque dans ce qu'il n'avait certainement pas édicté lui-même.

[ocr errors]

Pour en revenir encore une fois au vase de Tarquinium et pour conclure, nous dirons qu'il est une nouvelle preuve de la popularité dont jouissait jusqu'en Italie le nomothète égyptien, tant admiré des Grecs.

Est-ce trop audacieux de l'ajouter ?

Si Numa le deuxième roi et le premier législateur de Rome, le successeur de Romulus, a réellement existé (ce que je tends à croire) peut-être s'était-il inspiré de Bocchoris, vivant seulement peu d'années avant lui, dans ses lois, en partie pieusement conservées, en partie retrouvées beaucoup plus tard, prétend-on, dans son tombeau et que les commissaires nommés par le Sénat firent brûler comme dangereuses. C'était sans doute en qualité de libéral que celui qui avait aboli toutes distinctions entre Sabins et Romains, divisé le peuple Quirite en corps de métiers (1), distribué par tête les terres aux citoyens comme Bocchoris, dans sa réforme, les avait distribuées au peuple, etc., avait vu ensuite certains de ses "écrits traités comme le fut la personne de ce libéral Bocchoris. Le synchronisme est en effet frappant. Il nous rappelle celui que nous avons déjà signalé, dans notre « Précis », entre le moment où Hérodote faisait aux Grecs, rassemblés aux jeux Olympiques, l'éloge d'Amasis contenu dans son histoire, et le moment où les décemvirs envoyèrent en Grèce la mission qui en rapporta les principes de leur code, si analogue à celui d'Amasis, tant dans son fond que dans plusieurs de ses dispositions les plus précises.

Mais de tout ceci nous parlerons plus loin.

En ce qui concerne Numa et Bocchoris, nous ne pouvons serrer d'aussi près la comparaison, puisqu'il nous manque sur les lois de Numa les détails nécessaires.

Tout ce que nous avons voulu laisser entendre, c'est qu'on va peut-être un peu vite quand on repousse en bloc, sans vouloir au*cunement en tenir compte, les données que nous ont transmises les

(1) Cicéron nous l'apprend dans sa République (liv. II, § 13 et suiv.). Nous aurons bientôt à revenir sur ce passage fort intéressant.

anciens sur les premiers temps de Rome et particulièrement sur l'époque des Rois.

Que n'a-t-on pas dit sur le légendaire Romulus ? Et voilà que justement on vient de découvrir à la place indiquée par les auteurs, sous la partie du forum ou comitium couverte de pavés noirs, comme ils l'avaient prétendu, le tombeau de ce fondateur de la ville, tombeau construit en blocs énormes, défendu par deux lions dont les soubassements, ornés de frises, existent encore (1), et accompagné d'une colonne portant une inscription très archaïque et de divers vases, statuettes et objets d'offrande, remontant au VIIIe ou au moins au vII° siècle avant notre ère.

Je sais bien que le tombeau a été violé et l'inscription brisée. Cela n'a rien d'ailleurs qui doive nous surprendre, puisque TiteLive (6, 1), nous avait appris que les Gaulois furent les auteurs de ces dévastations <«< Et si quæ (litteræ) in commentariis pontificum aliisque publicis, privatisque erant monumentis, incensa (a Gallis) << urbe, pleræque interiere ».

[ocr errors]

Ce qui restait du tombeau de Romulus et de l'inscription royale voisine, n'en fut pas moins plus tard vénéré des Romains, qui recouvrirent ce lieu sacré du pavé noir (lapis niger) déjà signalé plus haut.

Quant à l'inscription, elle vient donner un démenti à ceux qui prétendaient nier l'existence d'aucune lex regia, ou généralement d'aucune loi romaine, antérieure à la loi des XII tables, et qui arguaient de faux toutes celles citées par les anciens ou dont certains fragments nous étaient parvenus. Il s'agit, en effet, ici d'une vraie lex regia. Nous ne possédons que tout au plus une moitié de chaque ligne. Mais elle est assurément relative au culte, comme celle que cite Macrobe dans ses Saturnales (liv. III, chap. 1) et plusieurs de celles que Cicéron (République, II, 13 et V, 2) attribue à Numa.

Notre ami, le professeur Girard, l'un des plus distingués Maîtres de la nouvelle Faculté de Droit, pour repousser en bloc les lois royales, est parti de ce caractère sacré de quelques-unes d'entre elles.

Voici comment il s'exprime dans le paragraphe << sources du

(1) Les bases des lions servaient au même temps à clore, de deux côtés, le tombeau, également fermé d'ailleurs par des blocs non ornés, sur les deux autres côtés. La dimension est de 2 m. 60 sur 1 m. 30.

« PreviousContinue »