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De la belle Tempé les vallons toujours verts;
Qu'un poëte, constant dans sa douce manie,
De la chaste Pallas célèbre l'olivier,
Et gardant de son luth l'éternelle harmonie,
Déjà cueilli cent fois tresse encor le laurier;
Qu'il chante de Junon les coursiers généreux,
Et la superbe Argos, Thèbe à Bacchus fidèle :

Pour moi, Lacédémone et sa ville immortelle, Larisse aux blonds épis, plaisent moins à mes yeux, Que ta grotte fraîche et riante,

Tibur, ta cascade bruyante,
D'Anio les rapides eaux;

Et Pomone offrant en berceaux
Ses dons, à la pourpre éclatante,
Suspendus sur nos clairs ruisseaux.
L'autan n'est pas toujours le père de l'orage,
Il chasse la nuée, il éclaircit les cieux,

Cher Plancus; si tu veux finir tes jours en sage,
Pour bannir le chagrin de ton cœur soucieux,
Invoque de Bacchus les bienfaits précieux;
Soit que l'étendard de Bellone
T'excite à de nobles exploits,
Ou que sous de plus douces lois

Monia, vel Baccho Thebas, vel Apolline Delphos
Insignes, aut Thessala Tempe.

Sunt quibus unum opus est, intactæ Palladis urbem
Carmine perpetuo celebrare, et
Undique decerptam frondi præponere olivam.
Plurimus in Junonis honorem,

Aptum dicet equis Argos, ditesque Mycenas ;
Me nec tam patiens Lacedæmon,
Nec tam Larissæ percussit campus opimæ,
Quam domus Albuneæ resonantis,
Et præceps Anio, et Tiburni lucus, et uda
Mobilibus pomaria rivis.

Albus ut obscuro detergit nubila cœlo

Sæpe Notus, neque parturit imbres
Perpetuos; sic tu sapiens finire memento
Tristitiam, vitæque labores

Molli, Plance, mero; seu te fulgentia signis

De Tibur la verte couronne

Te charme à l'ombre de ses bois. Lorsque Teucer fuyait son père et Salamine, Il couronna sa tête et raffermit son cœur, Dans le jus parfumé de la grappe divine :

« Amis, dit-il, frappés d'une injuste rigueur,

« Le ciel nous offre ailleurs un destin moins sévère.
« Suivez Teucer pour guide; Apollon tutélaire,
<< Teucer vous le prédit, à vos heureux travaux
« Réserve Salamine en des climats nouveaux :
« Compagnons, sous les murs de Troie,
« Nous avons vu de plus grands maux :
« Consacrons ce jour à la joie
« Au grand Bacchus, au doux repos;
« Et demain nos vaisseaux rapides,
« Portant des guerriers intrépides,
« Traverseront encor les flots.»>

Castra tenent seu densa tenebit

Tiburis umbra tui. Teucer, Salamina patremque
Quum fugeret, tamen uda Lyæo
Tempora populeâ fertur vinxisse coronâ,
Sic tristes affatus amicos:

Quo nos cumque feret melior fortuna parente,
Ibimus, ô socii, comitesque !

Nil desperandum Teucro duce et auspice Teucro ;
Certus enim promisit Apollo

Ambiguam tellure novâ Salamina futuram.
O fortes pejoraque passi

Mecum sæpe viri, nunc vino pellite curas:
Cras ingens iterabimus æquor.

NOTE.

(1) Teucer, frère d'Ajax et fils de Télamon, roi de Salamine, fut banni par son père, après la prise de Troie, pour n'avoir pas vengé sur Ulysse la mort de son frère : celui-ci s'était tué de désespoir parce qu'il n'avait pu obtenir les armes d'Achille, attribuées à Ulysse par le jugement des Grees.

SUR LA PROVIDENCE

OU RETOUR AUX PRINCIPES RELIGIEUX.

(LIVRE I, ODE XXIX.)

ARGUMENT. Les terribles catastrophes qui viennent par intervalles bouleverser le monde nous rappellent qu'il existe une puissance suprême qui gouverne tout.

Longtemps des dieux de ma patrie
Rare et stérile adorateur,
D'une vaine philosophie

Je suivais le flambeau trompeur,
Il faut retourner en arrière,
Reprendre mes premiers chemins:
D'un éclair l'affreuse lumière
Vient d'épouvanter les humains (1).
Oui, j'ai vu rouler ton tonnerre,
Jupiter, dans les cieux sereins:
Ton char a fait trembler la terre,
Au loin, l'Atlas en a gémi;
Sous sa rive inhospitalière

L'odieux Cocyte a frémi.

Dieu puissant, à ton gré tout change;
Les grands tombent, destin étrange!
L'humble est soudain comblé d'honneurs :
Et d'un vol bruyant la fortune

Parcus Deorum cultor et infrequens

Insanientis dum sapientiæ

Consultus erro; nunc retrorsum

Vela dare, atque iterare cursus
Cogor relictos. Namque Diespiter,
Igni corusco nubila dividens

Plerumque, per purum tonantes

Egit equos, volucremque currum :
Quo bruta tellus, et vaga flumina,
Quo Styx, et invisi horrida Tænari
Sedes, Atlanteusque finis

Concutitur. Valet ima summis
Mutare, et insignem attenuat Deus,

Abat une gloire importune,

Et plus loin porte ses faveurs.

Obscura promens: hinc apicem rapax
Fortuna cum stridore acuto

Sustulit; hic posuisse gaudet (2).

NOTES.

(1) Un annotateur moderne et universitaire qualifie de boutade cette profession de foi sincère et religieuse du grand poëte; une semblable assertion nous paraît interpréter très-inexactement les sentiments d'Horace, et nous devinons difficilement dans quel but elle a été avancée. Il est plus vrai de reconnaître combien Horace a dû être frappê des révolutions prodigieuses dont il fut témoin.

(2) Voici quelques passages de la traduction de La Harpe, qui se trouve dans son Cours de littérature:

D'Épicure élève profane,

Je refusais aux dieux de l'or et de l'encens;

Je suivais les égarements

Des sages insensés qu'aujourd'hui je condamne;
Je reconnais des dieux, c'en est fait, je me rends.
Etc., etc.

Oui, des puissances immortelles
Dictent à l'univers d'irrévocables lois;
La Fortune, agitant ses inconstantes ailes,
Plane d'un vol bruyant sur la tête des rois.
Au destin des Etats son caprice préside;
Elle seule dispense ou la gloire ou l'affront,
Enlève un diadème, et d'un essor rapide
Le porte sur un autre front.

On voit combien de choses étrangères aux idées d'Horace ont été ajoutées dans cette traduction. « D'Epicure élève profane; » Horace n'a jamais été disciple d'Epicure, car il était religieux, comme nous l'avons dit; il raille au contraire les Epicuriens quand il dit: Epicuri de grege porcum. Je reconnais les dieux, je me rends, » ce n'est pas l'idée de l'auteur.« Sur la tête des rois; » nous croyons que le poëte n'a pas eu en vue spécialement les rois, dont il ne parle pas, mais les changements fréquents dans les sommités de la République romaine.

On peut remarquer ici les inconvénients de la paraphrase et du développement, et de l'introduction dans un auteur ancien d'idées modernes qui changent sa physionomie : du reste, cette imitation de La Harpe parait très brillante, malgré les rimes insuffisantes Horace fut plutôt l'élève d'Aristippe, disciple de Socrate, mais moins sévère, témoin ces vers des Epitres d'Horace :

Nunc in Aristippi furtim præcepta relabor,

Omnis Aristippum decuit status, et color, et res.

A PARIS.

(LIVRE I, ODE XIV.)

Prédiction des destinées de Troie les héros grecs, Achille et Ajax, Diomède et Ulysse.

Quand le berger perfide entraînait sur les flots
Hélène son hôtesse, et hâtait ses vaisseaux,

Un dieu sortit des mers, tint la voile enchaînée,
Et lui prédit ainsi sa triste destinée :

« Tu vogues vers l'Ida sous un sinistre augure,
Et brisant de Priam le sceptre glorieux,
La Grèce va s'armer pour venger son injure,
Et rompre avec le fer ton hymen odieux.
Déjà je vois Pallas préparer son égide,
S'exciter aux combats, lancer son char rapide.
Que de sang, de sueurs vont couvrir les coursiers !
Que de fléaux sur Troie et sur tous ses guerriers!
« En vain tu fais entendre aux femmes amollies,
De ta voix et du luth les douces harmonies;
Favori de Vénus, Pâris à leurs genoux

Pastor quum traheret per frela navibus
Idæis Helenen perfidus hospitam,

Ingrato celeres obruit otio

Ventos, ut caneret fera

Nereus fata : « Malà ducis avi domum,
Quam multo repetet Græcia milite,
Conjurata tuas rumpere nuptias,

Et regnum Priami vetus.

Eheu! quantus equis, quantus adest viris
Sudor! quanta moves funera Dardanæ
Genti! Jam galeam Pallas, et ægida,
Currusque et rabiem parat.
Nequicquam, Veneris præsidio ferox,
Pectes cæsariem, grataque feminis
Imbelli citharâ carmina divides;

Nequicquam thalamo graves

Hastas, et calami spicula Gnossii

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