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fus récompensée. Quatre jours après, ou du moins à peu de jours, on me dit qu'on avait arrêté ma place dans un couvent; et dès le lendemain j'y fus conduite. J'étais si mal à la maison, que cet événement ne m'affligea point; et j'allai à Sainte-Marie, c'est mon premier couvent, avec beaucoup de gaîté. Cependant l'amant de ma sœur ne me voyant plus, m'oublia, et devint son époux. Il s'appelle M. K***; il est notaire, et demeure à Corbeil, où il fait un assez mauvais ménage. Ma seconde soeur fut mariée à un M. Bauchon, marchand de soieries à Paris, rue Quincampoix, et vit bien avec lui.

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Mes deux soeurs établies, je crus qu'on penserait à moi, et que je ne tarderais pas à sortir du couvent. J'avais alors seize ans et demi. On avait fait des dots considérables à mes soeurs, je me promettais un sort égal au leur et ma tête s'était remplie de projets séduisants, lorsqu'on me fit demander au parloir. C'était le père Séraphin, directeur de ma mère; il avait été aussi le mien; ainsi il n'eut pas d'embarras à m'expliquer le motif de sa visite: il s'agissait de m'engager à prendre l'habit. Je me récriai sur cette étrange proposition; et je lui déclarai nettement que je ne me sentais aucun goût pour l'état religieux. Tant pis, me dit-il, car vos parents se sont dépouillés pour vos sœurs, et je ne vois plus ce qu'ils pourraient pour vous dans la situation

étroite où ils se sont réduits. Réfléchissez-y, mademoiselle; il faut ou entrer pour toujours dans cette maison, ou s'en aller dans quelque couvent de province où l'on vous recevra pour une modique pension, et d'où vous ne sortirez qu'à la mort de vos parents, qui peut se faire attendre encore long-temps.... Je me plaignis avec amertume, et je versai un torrent de larmes. La supérieure était prévenue; elle m'attendait au retour du parloir. J'étais dans un désordre qui ne se peut expliquer. Elle me dit : Et qu'avez-vous, ma chère enfant? (Elle savait mieux que moi ce que j'avais.) Comme vous voilà ! Mais on n'a jamais vu un désespoir pareil au vôtre, vous me faites trembler. Est-ce que avez perdu monsieur votre père ou madame votre mère? - Je pensai lui répondre, en me jetant entre ses bras, eh ! plût à Dieu !..... Je me contentai de m'écrier: Hélas! je n'ai ni père ni mère; je suis une malheureuse qu'on déteste et qu'on veut enterrer ici toute vive. Elle laissa passer le torrent; elle attendit le moment de la tranquillité. Je lui expliquai plus clairement ce qu'on venait de m'annoncer. Elle parut avoir pitié de moi; elle me plaignit ; elle m'encouragea à ne point embrasser un état pour lequel je n'avais aucun goût; elle me promit de prier, de remontrer, de solliciter. Oh monsieur ! combien ces supérieures de couvent sont artificieuses! vous n'en avez point d'idée.

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Elle écrivit en effet. Elle n'ignorait pas les réponses qu'on lui ferait; elle me les communiqua; et ce n'est qu'après bien du temps que j'ai appris à douter de sa bonne foi. Cependant le terme qu'on avait mis à ma résolution arriva; elle vint m'en instruire avec la tristesse la mieux étudiée. D'abord elle demeura sans parler, ensuite elle me jeta quelques mots de commisération, d'après lesquels je compris le reste. Ce fut encore une scène de désespoir; je n'en aurai guère d'autres à vous peindre. Savoir se contenir est leur grand art. Ensuite elle me dit, en vérité je crois que ce fut en pleurant : Eh bien ! mon enfant, vous allez donc nous quitter! chère enfant, nous ne nous reverrons plus!.... Et d'autres propos que je n'entendis pas. J'étais renversée sur une chaise; ou je gardais le silence, ou je sanglotais, ou j'étais immobile, ou je me levais ou j'allais tantôt m'appuyer contre les murs, tantôt exhaler ma douleur sur son sein. Voilà ce qui s'était passé lorsqu'elle ajouta : Mais que ne faites-vous une chose? Écoutez, et n'allez pas dire au moins que je vous en ai donné le conseil; je compte sur une discrétion inviolable de votre part: car, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas qu'on eût un reproche à me faire. Qu'est-ce qu'on demande de vous? Que vous preniez le voile? Eh bien! que ne le prenez-vous? A quoi cela vous engage-t-il?

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A rien, à demeurer encore deux ans avec nous. On ne sait ni qui meurt ni qui vit; deux ans, c'est du temps, il peut arriver bien des choses en deux ans.............. Elle joignit à ces propos insidieux tant de caresses, tant de protestations d'amitié, tant de faussetés douces : je savais où j'étais, je ne savais pas où l'on me menait, et je me laissai persuader. Elle écrivit donc à mon père; sa lettre était très-bien, oh! pour cela on ne peut mieux : ma peine, ma douleur, mes réclamations n'y étaient point dissimulées; je vous assure qu'une fille plus fine que moi y aurait été trompée; cependant on finissait par donner mon consentement. Avec quelle célérité tout fut préparé ! Le jour fut pris, mes habits faits, le moment de la cérémonie arrivé, sans que j'aperçoive aujourd'hui le moindre intervalle entre ces choses. J'oubliais de vous dire que je vis mon père et ma mère, que je n'épargnai rien pour les toucher, et que je les trouvai inflexibles. Ce fut un M. l'abbé Blin, docteur de Sorbonne, qui m'exhorta, et M. l'évêque d'Alep qui me donna l'habit. Cette cérémonie n'est pas gaie par elle-même; ce jour-là elle fut des plus tristes. Quoique les religieuses s'empressassent autour de moi pour me soutenir, vingt fois je sentis mes genoux se dérober, et je me vis prête à tomber sur les marches de l'autel. Je n'entendais rien, je ne voyais rien, j'étais stupide;

on me menait, et j'allais; on m'interrogeait, et l'on répondait pour moi. Cependant cette cruelle cérémonie prit fin; tout le monde se retira, et je restai au milieu du troupeau auquel on venait de m'associer. Mes compagnes m'ont entourée; elles m'embrassent, et se disent: Mais voyez donc, ma soeur, comme elle est belle ! comme ce voile relève la blancheur de son teint! comme ce bandeau lui sied! comme il lui arrondit le visage! comme il étend ses joues! comme cet habit fait valoir sa taille et ses bras!..... Je les écoutais à peine; j'étais désolée; cependant, il faut que j'en convienne, quand je fus seule dans ma cellule, je me ressouvins de leurs flatteries; je ne pus m'empêcher de les vérifier à mon petit miroir; et il me sembla qu'elles n'étaient pas tout-à-fait déplacées. Il y a des honneurs attachés à ce jour; on les exagéra pour moi mais j'y fus peu sensible; et l'on affecta de croire le contraire et de me le dire, quoiqu'il fût clair qu'il n'en était rien. Le soir, au sortir de la prière, la supérieure se rendit dans ma cellule. En vérité, me dit-elle après m'avoir un peu considérée, je ne sais pourquoi vous avez tant de répugnance pour cet habit; il vous fait à merveille, et vous êtes charmante; soeur Suzanne est une très-belle religieuse, on vous en aimera davantage. Çà, voyons un peu, marchez. Vous ne vous tenez pas assez droite ; il ne faut

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