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MON PORTRAIT ET MON HOROSCOPE.

De la nature enfant gâté,

Tel on m'a fait, je crois, dans un moment d'ivresse,
Tel, sans remords, je suis resté.

De la triste raison, de l'austère sagesse,
Remettant les conseils du jour au lendemain,

A soixante ans passés, la marotte à la main,
De sa rivale turbulente

Je suis, le dos courbé, les bataillons falots,
Et quelquefois, autour de ma tête tremblante,
De Momus on entend résonner les grelots.
Près de vous j'aurais pu connaître

Un rôle plus décent, s'il n'est pas aussi doux;
C'est celui de rire des fous

Quand il n'est plus saison de l'être.
Mais pour ce rôle il faut peut-être
Avoir un grand sens, être vous.
A mon âge, il est difficile

De passer sous une autre loi,

Et vous avez, sage Lucile,

Du moins quinze ans encore à vous moquer de moi.
Oui, quinze ans, soyez-en certaine.

De vieux soupirs gonflé, brûlé de vieux desirs,
Je sentirai ce cœur, à la quatre-vingtaine,

Battre pour vos menus plaisirs.
Mais lorsque sur mon sarcophage,
Une grande Pallas, qui se désolera,
Du doigt aux passants montrera
Ces mots gravés : Ci gît un sage;
N'allez pas, d'un ris indiscret,
Démentir Minerve éplorée,

Flétrir ma mémoire honorée,

Dire: Ci-git un fou. Gardez-moi le secret.

ÉPÎTRE A BOISSARD. *

Vous savez,

d'une verve aisée,

Joindre au charme du sentiment

L'éclat piquant de la pensée ; Oncques ne fut un rimeur si charmant. Vous avez la vigueur d'Hercule, Et soupirez plus tendrement Que ne fit autrefois Tibulle; Oncques ne fut un si parfait amant. Obligeant, sans autre espérance Que le plaisir d'avoir bien fait, Qui vous tient lieu de récompense; Oncques ne fut un rimeur si parfait. Puisse la déesse volage,

Qui sourit sans discernement
Souvent au fol, et rarement au sage,

Se corriger ce nouvel an,
Et tourner à votre avantage

Le temps de son aveuglement

Dont je dis cent fois peste et rage,
Quand je vois au dernier étage
Apollon logé tristement;

Apollon, dieu de l'enjouement,

* Auteur de Fables. Paris, 1773. ÉDITS.

Chantre ennemi de l'indigence,

Et qui, dans un peu plus d'aisance, Fredonnerait bien autrement;

Mais sur les souhaits d'un poète,

Qui, gai du Nuits qu'il a flûté,

Voit doublement la vérité,

Et

perce

mieux qu'aucun prophète

De l'avenir l'obscurité,

Prenez, ami, l'heureux présage

Que, par un équitable usage

Du pouvoir dont il fit abus,

Le destin réglant la mesure

De ses présents sur vos vertus, (Jà de Vénus vous avez la ceinture)

Aurez un jour la bourse de Plutus, C'est lors, que défiant l'envie D'aigrir la douceur de vos jours, Vous mèneréz joyeuse vie

Entre les ris et les amours.

CHARADE

A MADAME DE PRUNEVAUX.

Ma première enivre le monde :
Pour la traiter avec mépris,

Il faudrait être la seconde,

Et leur ensemble a quelque prix.

De ma première on fait un cas extrême,

Vous l'avez souvent à la main.

Ma seconde est en vous, ma seconde est vous-même,' Et mon tout partagé formerait votre sein.

Si l'on s'en tient au lot de ma dernière,
Il faut s'attendre à des jaloux ;
Mais au défaut de la première
L'esprit languit dans la poussière,
Et la beauté se fane sans époux.

Utile en paix, utile en guerre, Desir et poison des humains, Un insensé me tira de la terre ;

Je corrompis son cœur et je souillai ses mains;

Voilà ma syllabe première :

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