pas trop fait pour le devenir. De temps en temps, elle tirait son manuscrit de son portefeuille; et elle me disait tristement: «Eh bien! il n'y a donc pas moyen d'en rien faire; et il faut qu'il reste là.» Je lui donnai un conseil singulier; ce fut d'envoyer l'ouvrage tel qu'il était, sans adoucir, sans changer, à madame de Pompadour même, avec un bout de lettre qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée lui plut. Elle écrivit une lettre charmante de tous points, mais surtout par un ton de vérité auquel il était impossible de se refuser. Deux ou trois mois s'écoulèrent, sans qu'elle entendît parler de rien ; et elle tenait la tentative pour infructueuse, lorsqu'une croix de SaintLouis se présenta chez elle avec une réponse de la marquise. L'ouvrage y était loué comme il le méritait; on remerciait du sacrifice; on convenait des applications, on n'en était point offensé; et l'on invitait l'auteur à venir à Versailles, où l'on trouverait une femme reconnaissante et disposée à rendre les services qui dépendraient d'elle. L'envoyé, en sortant de chez mademoiselle de La Chaux, laissa adroitement sur sa cheminée un rouleau de cinquante louis. comédie, 1763. Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé, traduites du grec de Longus, par Amyot, avec une double traduction; Paris, 1757. Cette nouvelle traduction de Le Camus mérite encore d'être lue après celle que vient de publier M. Courier à Sainte-Pélagie, où il était détenu pour un écrit sur l'acquisition du domaine de Chambord. Paris, 1821. ÉDITS. Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la bienveillance de madame de Pompadour; mais nous avions affaire à une fille dont la modestie et la timidité égalaient le mérite. Comment se présenter là avec ses haillons? Le docteur leva tout de suite cette difficulté. Après les habits, ce furent d'autres prétextes, et puis d'autres prétextes encore. Le voyage de Versailles fut différé de jour en jour, jusqu'à ce qu'il ne convenait presque plus de le faire. Il y avait déjà du temps que nous ne lui en parlions pas, lorsque le même émissaire revint, avec une seconde lettre remplie des reproches les plus obligeants, et une autre gratification équivalente à la première, et offerte avec le même ménagement. Cette action généreuse de madame de Pompadour n'a point été connue. J'en ai parlé à M. Collin, son homme de confiance et le distributeur de ses grâces secrètes. Il l'ignorait; et j'aime à me persuader que ce n'est pas la seule que sa tombe recèle. Ce fut ainsi que mademoiselle de La Chaux manqua deux fois l'occasion de se tirer de la dé tresse. Depuis, elle transporta sa demeure sur les extrémités de la ville, et je la perdis tout-à-fait de vue. Ce que j'ai su du reste de sa vie, c'est qu'il n'a été qu'un tissu de chagrins, d'infirmités et de misère. Les portes de sa famille lui furent opiniâtrément fermées. Elle sollicita inutilement l'intercession de ces saints personnages qui l'avaient persécutée avec tant de zèle. Cela est dans la règle. -Le docteur ne l'abandonna point. Elle mourut sur la paille, dans un grenier, tandis que le petit tigre de la rue Hyacinthe, le seul.amant qu'elle ait eu, exerçait la médecine à Montpellier ou à Toulouse, et jouissait, dans la plus grande aisance, de la réputation méritée d'habile homme, et de la réputation usurpée d'honnête homme. Mais cela est encore à près dans la règle. S'il y a un bon et honnête Tanié, c'est à une Reymer que la Providence l'envoie; s'il y a une bonne et honnête de La Chaux, elle deviendra le partage d'un Gardeil (1), afin que tout soit fait pour le mieux. peu Mais on me dira peut-être que c'est aller trop vite que de prononcer définitivement sur le caractère d'un homme d'après une seule action; qu'une règle aussi sévère réduirait le nombre des gens de bien au point d'en laisser moins sur la terre que l'Évangile du chrétien n'admet d'élus dans le ciel ; qu'on peut être inconstant en amour, se piquer même de peu de religion avec les femmes, sans être dépourvu d'honneur et de probité; qu'on n'est le maître ni d'arrêter une (1) Gardeil est mort le 19 avril 1808, à l'âge de 82 ans. On a de lui une Traduction des OEuvres médicales d'Hippocrate, sur le texte grec, d'après l'édition de Foës. Toulouse, 1801. ÉDITS. passion qui s'allume, ni d'en prolonger une qui s'éteint; qu'il y a déjà assez d'hommes dans les maisons et les rues qui méritent à juste titre le nom de coquins, sans inventer des crimes imaginaires, qui les multiplieraient à l'infini. On me demandera si je n'ai jamais ni trahi, ni trompé, ni délaissé aucune femme sans sujet. Si je voulais répondre à ces questions, ma réponse ne demeurerait pas sans réplique, et ce serait une dispute à ne finir qu'au jugement dernier. Mais mettez la main sur la conscience, et ditesmoi, vous, monsieur l'apologiste des trompeurs et des infidèles, si vous prendriez le docteur de Toulouse pour votre ami?... Vous hésitez ? Tout est dit; et sur ce, je prie Dieu de tenir en sa sainte garde toute femme à qui il vous prendra fantaisie d'adresser votre hommage. FIN DE CECI N'EST PAS UN CONTÈ. |