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184 la Porte ottomane, sur l'exécution des mesures qui seraient arrêtées d'un commun accord relativement à la Servie. Mais au moment même où le baron de Lieven allait partir, j'appris que la Porte ottomane avait subitement changé de résolution, et avait confirmé le nouveau souverain choisi par ceux qui avaient eu l'audace de se dire les représentans du peuple servien, et que 'cette résolution avait été notifiée officiellement à mon ambassadeur par un message du reis- effendi.

Je manquerais à ce que je dois à une amitié loyale et sincère, grand et puissant Empereur, si je vous dissimulais le sentiment profond de peine et d'étonnement qu'une pareille résolution m'a causé. Il m'a été douloureux de voir le Sultan s'écarter de la ligne que les stipulations et les traités les plus formels avaient fixée, de le voir oublier les justes droits d'une puissance qui a toujours rendu des services signalés à l'empire ottoman, au milieu des dangers dont il était environné, et cela pour sanctionner le triomphe de la révolte et ratifier l'élection d'un souverain que des sujets traîtres envers leur prince avaient osé proclamer les armes à la main, en un mot pour donner les plus déplorables encouragemens aux précédens les plus dangereux. Je ne pouvais supposer que V. H. continuerait à supporter l'outrage ainsi fait à son autorité suprême. J'aimai mieux croire qu'il y avait eu quelque méprise, et que V. H., informée des faits, ne manquerait point de révoquer des mesures incompatibles avec la dignité de la couronne.

Si la

Dans cette conviction, sans changer ma première détermination, j'envoie de nouveau le baron Lieven dans la Servie, avec ordre de se rendre de là à Constantinople. En même tems je charge mon ministre de vous remettre cette lettre, très illustre Sultan, et de vous exposer franchement mes idées et mes voeux. Porte ottomane a des griefs contre le prince Michel Obrenowitsch, qu'elle établisse la preuve de son crime et le destitue, après avoir délibéré avec la Russie conformément aux traités existans, et donne ensuite à la nation servienne les pouvoirs nécessaires pour procéder à l'élection d'un autre souverain dans la forme prescrite par le hatti-schériff. Un pareil mode de procéder est le seul régulier, légal et honorable; car il concilie lés prérogatives du souverain avec les intérêts des su

jets et les justes droits d'une puissance amie et voisine, 1842 et aucun autre mode ne saurait obtenir mon assentiment.

En ce qui concerne la ligne à suivre par mon gouvernement dans cette triste conjoncture, je declare que jamais je ne traiterai avec la révolte et que je ne reconnaîtrai point l'ordre de choses injuste et illégal qu'elle a créé. C'est d'ailleurs mon dévoir de veiller sur le maintien des traités que j'ai moi-même religieusement observés. Intimement convaincu que je trouverai les mêmes dispositions chez V. H., j'aime à croire que vous apprécierez les sentimens loyaux et sincères qui ont dicté cette lettre et que vous daignerez ordonner aux ministres de la Sublime-Porte, grand et puissant Sultan, de s'entendre avec M. de Boutenieff, pour replacer la question servienne dans un état légal et régulier, et amener ainsi un résultat conforme à nos intentions réciproques. En exprimant à V. H. mes pensées secrètes avec toute la franchise dont les liens qui nous unissent me font un devoir, je vous prie d'agréer l'assuranee de la vive sollicitude que je ne cesserai d'avoir pour tout ce qui intéresse la prospérité de V. H. et la gloire de son règne. Signé: NICOLAS.

II.

En

Réponse du Sultan à l'Empereur Nicolas. date de Constantinople, le 30 Janvier 1843.

V. M. I. nous informe qu'ayant considéré comme une rébellion les troubles de la Servie, vous n'êtes pas satisfait de cet état de choses si contraire à vos principes; que le changement et l'élection du prince n'ayant pas été faits d'une manière légale et selon les règles établies, et les termes des traités n'ayant pas été observés. vous aviez ordonné au baron Lieven d'aller lui-même sur les lieux pour prendre des informations sur l'état des choses existant; de venir de là à Constantinople après avoir rempli sa mission en Servie pour nous communiquer ses observations, et que vous aviez adressé votre envoyé extraordinaire près la SublimePorte pour nous exposer vos vues bienveillantes, nous invitant en même tems à donner les ordres nécessaires à nos ministres pour délibérer sur les moyens de replacer la question sur un terrain légal.

1843

En point de fait, comme tout rassemblement tumultueux, tous desordres, tout espèce de troubles ou de séditions qui peuvent survenir dans un état, doivent engendrer de nombreux inconvéniens, nous ne pouvons qu'apprécier et estimer les opinions sages et les idées éclairées de V. M sur ce chef, d'autant plus que, selon les principes qui règlent nos gouvernemens respectifs, il est de la plus haute importance de mettre tous nos soins à prévenir le retour dans nos états de faits si blâmables. Cependant, dans la question présente, il y a cette différence que la conduite du prince Michel et sa manière d'agir, aussi bien que les plaintes de la nation avaient fait prévoir ces troubles, et que plusieurs fois des conversations à ce sujet avaient eu lieu avec la mission impériale pour terminer cet état de choses. Si les causes de ces troubles et l'état d'oppression de la nation avaient été connus veritablement à V. M. I. comme à nous, il est certain qu'avec l'équité et l'esprit de justice que vous possédez, vous n'auriez pas considéré tout-à-fait cette affaire comme une rebellion, et en cette occasion, vous n'auriez pas regardé la conduite que notre gouvernement s'est vu dans la nécessité d'adopter comme contraire aux principes et aux bons sentimens.

Cependant, comme nous n'avons trouvé que des avantages dans les questions importantes et variées qui ont été réglées de concert avec V. M., nous n'aurions pas usé de précipitation dans la nomination du prince, si nous avions eu le tems de vous consulter à cet égard et de connaître vos vues dans toute leur étendue. Au contraire, les notes de notre gouvernement eussent-elles été de nature à violer les traités, nous aurions préféré, pour ces changemens, décider la question à l'amiable, selon l'opinion de notre gouvernement, et avoir recours, avec une franchise et une sincérité entières et le respect voulu, à la magnanimité de V. M. I. La condition qui consacre la dignité princière une fois enfreinte, la clause du firman qui est une partie du traité devient nulle et non avenue, et la question de l'élection revient aux articles du traité qui dit que la nation a le privilège de choisir elle-même son chef. D'un côté, nous considérant ainsi comme autorisés; de l'autre l'urgence de la question nous pressant, nous nous sommes trouvés forcés de procéder à la nomination du prince, en accep

tant de choix de la nation. Quoique nous n'eussions 1843 pas en ce moment les moyens de consulter l'opinion de V. M. I., rien cependant n'a été négligé pour bien connaître le sentiment et comprendre les vues de votre mission impériale sur ce sujet.

De plus, la conduite violente du prince Michel, son départ de la Servie, l'abandon de son poste et la résolution qu'il avait prise de chercher un asile ailleurs que dans notre forteresse impériale, étaient autant de faits qui nous amenaient à nous soumettre à l'inconvénient d'un changement dans la dignité princière. En admettant que la liberté prise par la nation, de procéder à une élection sans y être autorisée, fut en ellemême un acte de nature à assumer une grande responsabilité, la nation, en demandant l'autorisation du commandant de la forteresse et des commissaires de la Porte, avait au moins mis à couvert cette responsabilité. Quant aux commissaires, ils s'excusent en disant qu'ils n'ont accordé leur autorisation que parce qu'ils craignaient de plus serieuses conséquences en présence des cabales et des intrigues du parti vaincu, de manière que l'élection du nouveau prince a eu lieu jusqu'à un certain point par notre propre autorisation.

Malgré le désir que nous avions de remplir nos devoirs et de soumettre les considérations qui précèdent à V. M. I. en réponse à sa lettre, immediatement après l'avoir reçue, pour dissiper ses doutes et consolider encore les liens d'amitié qui nous unissent, nous avons cependant jugé convenable d'attendre les informations que devait nous donner le baron Lieven. Le baron étant arrivé dans notre capitale, nous avons pris connaissance de toutes les communications et informations qu'il nous a transmises verbalement ou par écrit. Nous l'avons fait venir ainsi que l'ambassadeur de V. M. I., et nous leur avons fait l'accueil le plus gracieux. Les renseignemens que nous a donnés le baron Lieven n'ont pas tout-à-fait coïncidé avec les rapports adressés à notre gouvernement, ni les documens que nos commissaires nous avaient adressés.

avec

Les arrangemens préparés par le baron Lieven et l'ambassadeur de V. M. 1., relativement à cette question, dans les conférences et entrevues qu'ils ont eues à diverses reprises avec nos ministres d'après nos ordres, sont loin d'être compatibles avec la dignité et les

184 droits de notre souveraineté, dont le maintien nous est garanti particulièrement par les traités auxquels V. M. fait elle-même allusion dans sa lettre. En même tems, ces arrangemens nous ont inspiré la crainte de créer quelques nouvelles difficultés, et de donner lieu à l'emploi de mesures violentes. La tranquillité qui règne en ce moment dans la Servie, et l'absence de toutes plaintes de la part de la nation contre notre gouvernement, plaintes qui seules auraient pu motiver l'exercice des droits de V. M., sont la meilleure et la plus irréfragable preuve du respect qui est porté à tout ce qui se rattache aux droits établis. C'est pourquoi, plein de. confiance dans la parfaite amitié et les dispositions bienveillantes dont V. M. nous a donné tant de preuves jusqu'à ce jour, nous avons jugé à propos de soumettre à l'appréciation de V. M. le véritable état des choses.

Après avoir communiqué confidentiellement à votre ambassadeur nos opinions sur ce point, nous adressons cette lettre amicale à V. M., et nous espérons que V. M. rendra de son côté justice à notre sincère et fidèle communication. Je compte également sur la continuation de la parfaite confiance qui existe entre les deux gouvernemens, et sur le maintien constant des relations de profonde amitié qui nous unissent et dont la durée sera toujours chère à nos coeurs en toutes cir

constances.

2.

Ukase de l'Empereur de Russie adressé au sénat dirigeant, le 20 janvier 1843, relatif à la faculté d'entrepôt dans les ports russes.

Les classes commerciales de plusieurs nations, qui sont principalement intéressées dans le commerce avec la Russie, ont exprimé le désir, ainsi qu'il nous en a été donné connaissance par le vice-chancelier et le ministre des finances, que les marchandises importées en Russie puissent, au choix de ceux qui les importent,

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