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dans les Douze-Tables, portait le nom de usus auctoritas. L'usucapion, dit Ulpien, est l'acquisition de la propriété par une possession continue d'un an ou de deux ans (dominii adeptio per continuationem possessionis anni vel biennii): d'un an pour les choses mobilières, de deux ans pour les immeubles. Elle s'appliquait aux choses mancipi et aux choses nec mancipi (1). Elle avait lieu dans deux cas, savoir le premier, qui était commun aux choses mancipi et nec mancipi, lorsque, de bonne foi, on avait reçu une chose de quelqu'un qui n'en était pas propriétaire. Dans ce cas, on n'avait reçu que la possession de cette chose; mais, après le temps voulu pour l'usucapion, le domaine romain était acquis. Le second, qui était propre exclusivement aux choses mancipi, lorsqu'on avait reçu une de ces choses par la simple tradition, sans l'intervention d'aucun mode légitime d'acquérir, alors la chose était seulement entrée in bonis; mais après le temps voulu pour l'usucapion, le domaine romain était encore acquis. Ici l'usucapion a pour effet de transformer la possession in bonis en domaine romain (2). L'usucapion ne s'appliquait pas aux immeubles des provinces; ces immeubles, qui ne jouissaient pas du droit civil, ne pouvaient pas s'acquérir en propriété, mais, d'après les édits des présidents, une possession de dix ou vingt ans. donnait à leur égard une prescription, moyen de se faire maintenir en possession (3).

Il était un cas où l'usucapion prenait un caractère et un nom particuliers; le voici : quelquefois on mancipait ou l'on cédait in jure sa chose, avec fiducie (cum fiducia), c'est-à-dire avec une clause par laquelle celui qui la recevait s'obligeait à la rendre dans un cas déterminé. Nous en avons vu un exemple dans l'émancipation des enfants (ci-dessus, p. 244); cela arrivait encore lorsqu'on cédait la chose à un créancier pour sûreté de ses droits, ou à un ami, parce que la chose serait mieux conservée chez lui (4). Quand un pareil contrat avait eu lieu, si celui qui avait aliéné sa chose avec réserve de fiducie venait à la posséder une année, qu'elle fût mobilière ou immobilière, il en reprenait la propriété par cette possession. Cette espèce particulière d'usu

(1) Ulp. Reg. 19. 8. (2) Gaïus. 2. SS 41, 42 et 43. (3) Gaïus. 2. 46. J'aperçois à cela un motif qui me paraît réel. Les préteurs de ces provinces étaient chargés de les régir par un droit qu'ils publiaient dans leurs édits, et qu'ils composaient d'usages locaux, de quelques lois romaines et des principes du droit des gens. Ils admirent dans les provinces l'acquisition des meubles par un an de possession, parce qu'elle n'était pas contraire à l'équité, et que d'ailleurs les meubles, en quelque lieu qu'ils fussent, pouvaient jouir du droit civil et être dans le domaine des citoyens; mais quant aux immeubles qui ne pouvaient être la propriété des particuliers, puisque le sol provincial ne jouissait pas du droit civil et était censé appartenir au peuple ou à César, l'usucapion par deux ans, toute romaine et très-rigoureuse, était inapplicable; les présidents la remplacèrent par une institution prétorienne avec un laps de temps plus équitable. (4) Outre Gaïus, dans lequel je puise ces détails, je trouve encore Cicéron qui parle de la fiducie il cite comme devant garder une entière fidélité, celui qui a reçu quelque chose avec fiducie : « Si tutor fidem præstare debet, si socius, si cui mandaris, si qui << fiduciam acceperit, etc. » (Cicer. Top. 10.)

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capion se nommait usureceptio, reprise de la propriété par l'usage, c'est-à-dire par la possession (1).

De la cession in jure (in jure cessio). La cession in jure est un mode civil d'aliénation qui produit le même effet que la mancipation (2); elle s'applique aux choses mancipi comme aux choses nec mancipi. Déjà nous en avons fait connaître le caractère (ci-dessus, p. 105 et 335); elle n'est que le simulacre d'une action de vendication; elle exige trois personnes présentes: celui qui cède la chose (in jure cedens), celui qui vendique (vindicans), celui qui déclare la propriété (addicens). Celui qui cède, c'est le maître; celui qui vendique, c'est la personne à qui l'on cède; celui qui déclare la propriété, c'est le préteur, et dans les provinces le président (3). S'agissait-il, par exemple, d'un esclave, celui à qui on le cédait disait en le tenant: Hunc ego hominem ex jure Quiritium meum esse aio, et il remplissait les autres forlités de la vendication; après quoi le préteur demandait au cédant si, de son côté, il ne vendiquait pas l'esclave; sur sa négation ou sur son silence, aucun renvoi devant un juge n'étant nécessaire, puisqu'il n'y avait pas contestation, le préteur prononçant lui-même et disant le droit (jus dicens — addicens), déclarait la chose appartenir à celui qui l'avait vendiquée. On voit d'où vient à cet acte la dénomination (que je ne crois pas du reste primitive) de in jure cessio: parce que les parties sont, non pas en jugement devant un juge (in judicio), mais seulement devant le magistrat chargé d'indiquer le droit (in jure). On voit aussi d'où vient l'expression addicere, attribuer la chose en disant le droit (4). C'est là, dit Gaïus, une action de la loi (legis actio); c'est-à-dire l'application d'une action de la loi; car, bien que cette cession ne fùt qu'un moyen d'aliénation, elle se faisait par le simulacre d'une action de la loi (l'action per sacramentum), avec les formalités de la vendication, par conséquent devant les magistrats du peuple (magistratus populi), ceux devant qui devaient être portées les actions. La cession in jure n'était pas d'un usage aussi fréquent que la mancipation; car il était assez inutile de recourir au préteur ou au président de la province, pour faire, avec plus de difficulté, une aliénation qu'on pouvait faire par soi-même, en présence de ses amis (5). Cependant ce qui forçait dans bien des cas à employer la cession in jure, c'était que ni la tradition ni la mancipation ne pouvaient s'appliquer aux choses incorporelles (à l'exception des servitudes rurales), tandis qu'on pouvait céder in jure ces choses; par exemple, un

(1) G. 2. 59 et suiv. (2) G. 2. 22. —(3) Ulp. Reg. 19. 9 et suiv. (4) La décomposition étymologique du mot addicere en fixe clairement le sens. Ad, particule de direction, d'attribution, qui indique la direction donnée à la chose, l'attribution qui en est faite; dicere, le moyen employé, en disant le droit. De même dans adjudicare: ad, direction, attribution de la chose; judicare, le moyen, en jugeant.-- Voici toutefois l'explication que donne FESTUS sur ce mot: « Addicere est proprie idem dicere et approbare di«< cendo. » (5) Gaïus. 2. 24 et suiv. - Id. 4. § 16.

usufruit, une hérédité, la tutelle légitime, la liberté (1). Ainsi, nous avons déjà vu la cession de la tutelle légitime (p. 292); celle de la qualité de père, pour opérer l'adoption (p. 224); celle de la liberté pour opérer l'affranchissement (p. 166). Il est à remarquer cependant que les créances ne pouvaient être cédées in jure; elles étaient encore moins susceptibles de tradition ou de mancipation. Nous verrons plus tard, en traitant des obligations, par quels moyens on pouvait en transporter l'avantage à un autre (2).

De l'adjudication (adjudicatio). Ce que nous en avons dit (p. 109 et 335) donne l'idée première. Il faut remarquer qu'ici les parties sont, non pas in jure, devant le magistrat; mais in judicio, devant le juge. Aussi, ce dernier n'attribue pas la propriété en disant le droit (non addicit), mais il la donne, en jugeant (adjudicat). Ce pouvoir, conféré au juge par la législation romaine, d'adjuger, c'est-à-dire de faire passer la propriété de l'une des parties à l'autre, est chose caractéristique et digne d'être remarquée. A l'époque historique que nous examinons, c'est-à-dire au temps de Gaïus et d'Ulpien, la procédure par formules étant en vigueur, il s'agit d'un juge nommé aux parties par le magistrat, et investi de ses pouvoirs par la formule. Les formules qui, entre autres facultés, lui confèrent celle d'adjuger, sont au nombre de trois : celles pour le partage d'une hérédité (per formulam familiæ erciscunda); pour celui d'une chose commune (per formulam communi dividundo); pour la fixation des limites (per formulam finium regundorum). Ce moyen d'acquérir le domaine romain est, comme les deux précédents, commun tant aux choses mancipi qu'aux choses nec mancipi (3). Malgré ce sens technique des mots adjudicare, adjudicatio, on les trouve quelquefois, quoique bien rarement, employés pour désigner l'effet ordinaire d'une sentence (4).

De la loi (lex). La loi est citée spécialement par Ulpien comme un moyen d'acquérir commun aux choses mancipi et nec mancipi. Cet auteur donne pour exemples: le legs (celui per vindicationem) en vertu de la loi des Douze-Tables; et le caducum, c'està-dire cette partie d'une libéralité testamentaire qui, étant faite à une personne non mariée ou sans enfants, en vertu de la loi PAPIA POPPEA devenait caduque (caducum), et pouvait être vendiquée par les autres héritiers ou légataires qui avaient des en

(1) « In jure cedi res etiam incorporales possunt, velut ususfructus, et tutela legi<< tima, et libertas» (Ulp. Reg. 19. 11). S'il restait quelques doutes sur le mode d'affranchissement par la vindicte, ce dernier mot d'Ulpien suffirait pour les dissiper, et pour convaincre que cet affranchissement n'était que la cession in jure de la liberté. Il est vrai que quelques éditions d'Ulpien ne portent pas ce mot; on lit à la place: et tutela legitima liberta, erreur évidente; car ce n'était pas seulement la tutelle de l'affranchie qu'on pouvait céder in jure, mais toute tutelle légitime de femme (p. 292). (2) Gaïus. 2. 38. (3) Ulp. Reg. 19. 16. — (4) Dig. 20. 1. De pignor. 16. § 5. f. Marc. 20. 4. Qui potior. 12. pr. f. Marc.

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fants. Ulpien cite encore, sur la même ligne, l'ereptorium, c'està-dire la libéralité testamentaire qui est enlevée, pour cause d'indignité, à la personne à qui elle était faite, et attribuée par la loi soit à une autre personne, soit au fisc (Hist. du droit, p. 255)(1). Quant au legs, nous verrons plus loin qu'il y avait des distinctions à faire, selon les termes dans lesquels il avait été fait. Tels étaient les moyens civils d'acquérir la propriété des objets particuliers. Nous ne parlons pas encore des moyens d'acquérir une masse universelle de biens: ce sera plus tard, en étudiant les successions, que nous développerons ce sujet. Peutêtre trouvera-t-on un peu long ce préliminaire; mais on ne tardera pas à se convaincre qu'il était indispensable. Il nous conduit naturellement à examiner ce qu'était devenu, à l'époque de Justinien, le système du droit relatif aux choses, et là nous attend le spectacle d'un changement presque complet, et de la disparition définitive des anciens principes.

Des choses, d'après les Instituts de Justinien.

Superiore libro de jure personarum exposuimus; modo videamus de rebus quæ vel in nostro patrimonio vel extra patrimonium nostrum habentur. Quædam enim naturali jure communia sunt omnium, quædam publica, quædam universitatis, quædam nullius, pleraque singulorum, quæ ex variis causis cuique adquiruntur sicut ex subjectis apparebit.

Dans le livre précédent, nous avons exposé le droit quant aux personnes, Venons-en maintenant aux choses; elles sont ou dans notre patrimoine, ou hors de notre patrimoine. En effet, les unes sont, par le droit naturel, communes à tous, d'autres publiques, d'autres à des corporations, d'autres à personne, la plupart à des particuliers. Ces dernières peuvent être acquises à chacun de plusieurs manières, comme on le verra ci-après.

La division des choses que les commentaires de Gaïus et le Digeste présentent comme la principale est celle des choses de droit divin et des choses de droit humain (2). Mais les rédacteurs des Instituts de Justinien, laissant de côté cette distinction dont ils ne parleront que d'une manière accessoire, divisent d'abord les choses en choses hors de notre patrimoine et choses dans notre patrimoine,

Sont hors de notre patrimoine, premièrement, les choses qui appartiennent à des masses en commun, mais qui ne sont à personne en particulier (res publicæ, en général); secondement, celles qui ne sont réellement à personne (res nullius).

Sont dans notre patrimoine, les choses qui appartiennent à des particuliers (res privatæ, res singulorum).

Le mot res est général, et s'applique à toutes ces choses également; les expressions bona, pecunia sont spéciales, et s'appliquent seulement aux choses dans notre patrimoine (3).

Des choses qui appartiennent à des masses en commun, mais

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qui ne sont à personne en particulier. Toutes ces choses reçoivent souvent des jurisconsultes la dénomination de res publica, prise en général. C'est ce que prouvent les Commentaires de Gaïus et plusieurs fragments du Digeste (1). Mais, plus spécialement, elles se divisent en trois espèces : les choses dont l'usage est commun à tout le monde (res communes); les choses qui appartiennent au peuple (res publica, proprement dites); les choses qui sont à des corporations (res universitatis). Quoique toutes ces choses soient à des masses en commun, elles ne sont à personne en particulier; aussi les considère-t-on comme hors de notre patrimoine : Nullius in bonis esse creduntur; ipsius enim universitatis esse creduntur » (2).

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I. Et quidem naturali jure communia sunt omnium hæc: aer, aqua profluens, et mare, et per hoc littora maris. Nemo igitur ad littus maris accedere prohibetur, dum tamen villis, et monumentis et ædificiis abstineat, quia non sunt juris gentium, sicut et mare.

1. Suivant le droit naturel, sont communs à tous l'air, l'eau courante, la mer, et par suite ses rivages. L'accès du rivage de la mer n'est donc interdit à personne, pourvu qu'on s'abstienne de toucher aux maisons de campagne, aux monuments, aux édifices; car ces objets ne sont point, comme la mer, du droit des gens.

Les choses communes ne sont réellement à personne en propriété; mais chacun peut en user, ou même en extraire et s'en approprier des éléments. C'est la nature même de ces choses qui les range dans cette classe: ainsi il est physiquement impossible à qui que ce soit d'être propriétaire de la mer, de l'air, du soleil ou des étoiles; mais chacun jouit des avantages que procurent ces objets, chacun même s'approprie l'eau salée qu'il puise dans la mer, la quantité d'air qu'il respire, les rayons du soleil qu'il absorbe, et acquiert réellement la propriété de ces fragments, lorsqu'ils en sont susceptibles par leur nature.

Quant aux rivages de la mer, quelques observations sont nécessaires. On entend par là non pas tous les terrains adjacents, mais seulement les bords sur lesquels s'étendent les flots le plus loin élancés; cette partie, en effet, les vagues l'arrachent au pouvoir de l'homme. Celse néanmoins pensait que les rivages qui se trouvent dans l'empire romain sont au peuple romain (3). Mais telle n'était pas l'opinion généralement adoptée; car les rivages, tels que nous les avons définis, ne sont pas dans le territoire de l'empire, ils forment la ligne où s'arrête le territoire. Il est vrai que le peuple a le droit, pour défendre son territoire, de veiller sur la côte, de s'opposer aux envahissements du rivage, et c'est dans ce sens seulement qu'il faut entendre la phrase de Celse. En considérant en masse les rivages de la mer, on voit que, de même que la mer et toutes les choses communes, ils ne

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(1) D. 1. 8. 1. f. Gaïus. 41. 1. 14. f. Nerat. 50. 16. 17. f. Ulp. (2) D. 1, 8. 1. f. Gaïus. (3) D. 43. 8. 3. f. Cels.

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