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Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l'auteur1,
Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n'alarmoit souvent les oreilles pudiques!
Le latin, dans les mots, brave l'honnêteté :
Mais le lecteur françois veut être respecté;
Du moindre sens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la satire un esprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.

D'un trait de ce poëme en bons mots si fertile,
Le François, né malin, forma le vaudeville 2,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,

Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant.

La liberté françoise en ses vers se déploie;

Cet enfant de plaisir veut naitre dans la joie.
Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux,

Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux que l'athéisme élève,
Conduisent tristement le plaisant à la Grève3.
Il faut, même en chansons, du bon sens et de l'art.
Mais pourtant on a vu le vin et le hasard
Inspirer quelquefois une muse grossière,
Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l'auteur altier de quelque chansonnette
Au même instant prend droit de se croire poëte :
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet;
Il met tous les matins six impromptus au net.
Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,

Si bientôt, imprimant ses soltes rêveries,
Il ne se fait graver au-devant du recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.

CHANT III

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux":
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D'OEdipe tout sanglant fit parler les douleurs",
D'Oreste parricide exprima les alarmes 8,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.

22 d'octobre 1613. Il a laissé seize satires, des épîtres, des élégies, des odes, des stances et des épigrammes. La première édition de ses satires est de Paris, 1608, in-4. Cf. sur Régnier, l'ouvrage de M. Sainte-Beuve déjà cité : Tableau de la poésie française au seisieme siècle. Paris, 1845, in-12.

Boileau avait écrit d'abord :

Heureux, si moins hardi, dans ses vers pleins de sel,
Il n'avoit point traîné les Muses au b....!

Arnauld lui fit changer ces deux vers.

Ce mot vient-il de Voir de ville, chanson populaire, ou bien de Vau-de-Vire, ou Val-de-Vire, en Normandie, où chantait Olivier Basselin au quinzième siècle?

3 Ces deux vers ont trait à la triste fin de Petit, auteur du Paris ridicule, poëme d'un burlesque très-ingénieux et bien supérieur à la Rome ridicule de Saint-Amand, dont il est une imitation. Petit fut découvert assez singulièrement pour l'auteur de quelques chansons impies et libertines qui couroient dans Paris. Un jour qu'il étoit hors de chez lui, le vent enieva de dessus unc table placée sous la fenêtre de sa chambre quelques carrés de papier, qui tombèrent dans la rue. Un prêtre, qui passoit par là, les ramasse et voyant que c'étoit des vers impies, il va sur-lechamp les remettre entre les mains du procureur du roi. Au moyen des mesures qui furent prises, Petit fut arrêté dans le moment qu'il rentroit, et l'on trouva dans ses papiers les brouillons des chansons qui couroient aiors. Malgré tout ce que purent faire des personnes du premier rang que sa jeunesse intéressoit pour lui, il fut condamné à être pendu et brûlé. Ce pocte très-bien

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Vous donc, qui d'un beau feu pour le théâtre épris, Venez en vers pompeux y disputer le prix, Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages Où tout Paris en foule apporte ses suffrages, Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés, Soient au bout de vingt ans encor redemandés?? Que dans tous vos discours la passion émue Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue 10.

fait de sa personne, étoit fils d'un tailleur de Paris, et très en état de se faire un grand nom par un meilleur usage de ses talents. Je tiens ce détail de quelqu'un qui l'avoit connu, lui et sa famille. Saint-Marc. - Claude Petit, ou Lepetit, était né vers 1640, et mourut probablement à la fin de 1665. On a de lui: L'École de l'intérêt et l'Université d'amour, songes véritables ou vérités songées; galanterie morale traduite de l'espagnol (d'A. P. Buena). Paris, 1662, in-12; l'Heure du berger, demy-roman comique, ou roman demy-comique. Paris, 1662, in-12; Chronique scandaleuse, ou Paris ridicule. Cologne (Amsterdam, Elzevir), 1668, petit in 12 de 47 pages; c'est probablement une seconde édition; les Plus belles pensées de saint Augustin, mises en vers françois. Paris, 1666, in-16; ouvrage posthume publié par Pierre du Pelletier, qui parle du supplice récent de son ami.

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