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C'EST en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur 2:
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif :
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif3.
O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces 5.

L'Art poêlique fut composé de 1669 à 1674. Lorsqu'il parut en 1674, in-4, les ennemis de Boileau prétendirent que ce n'était qu'une traduction d'Horace. L'auteur leur répondit (édition de 1674, grand in-12. Voir la fin de la Préface I, page 3): «<lls trouveront bons que je les remercie ici du soin qu'ils prennent de publier que ma Poétique est une traduction de la Poétique d'Horace car, puisque dans mon ouvrage qui est d'onze cents vers, il n'y en a pas plus de cinquante ou soixante tout au plus imités d'llorace, ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du reste qu'en le supposant traduit de ce grand poëte... » Ce qui n'empêcha pas Pradon de répéter l'accusation dix ans plus tard.

Avant Boileau, il avait paru en français. sur l'art poétique, de nombreux ouvrages dont on trouvera une liste dans la Bibliotheqre française de l'abbé Goujet, t. II, p. 458-477.

Parmi tous les jugements à la louange de l'Art poétique de Boileau publiés, depuis sa publication, nous n'en citerous qu'un seul, d'abord à cause de sa valeur, et puis parce que, pour nous, il résume tous les autres. « L'Art poétique, dit M. Nisard, Histoire de la littérature française, t. II, p. 564, l'Art poétique est quelque chose de plus que l'ouvrage d'un homme supérieur. C'est la déclaration de foi littéraire d'un grand siècle. Les doctrines en avaient été débattues entre les grands poëtes de ce siècle, Molière, Racine, La Fontaine, Boileau, dans des entretiens dont il est demeuré des traditions. Ia Fontaine y fait allusion dans le début des Amours de Psyché. Il parle de quatre amis dont la connaissance avait commencé par le Parnasse... »

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La nature, fertile en esprits excellens, Sait entre les auteurs partager les talens: L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme; L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme : Malherbe d'un héros peut vanter les exploits; Racan, chanter Philis, les bergers et les bois : Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime Méconnoît son génie, et s'ignore soi-même : Ainsi tel autrefois qu'on vit avec Faret9 Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret 10, S'en va, mal à propos, d'une voix insolente, Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,

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Faret, auteur du livre intitulé l'Honnête homme, et ami de Saint-Amant. BOILEAU, 1713. Nicolas Faret, de Bresse, un des premiers de l'Académie française en 1653. Il fut secrétaire, puis intendant du comte d'Harcourt, et mourut le 21 de novembre 1646, âgé de cinquante ans. Faret et Saint-Amant avaient suivi le comte d'Harcourt dans son expédition contre les îles de SaintHonorat et de Sainte-Marguerite. On a de lui: Histoire chronologique des Ottomans, à la suite de l'Histoire de Georges Castriol; une traduction de l'Histoire romaine d'Eutropius; Des vertus nė cessaires à un prince pour bien gouverner ses sujets; l'Honnête homme, ou l'Art de plaire à la cour; Poésies diver es, dans les recueils du temps, etc. Faret n'a dù sa réputation de buveur qu'à la rime facile que son nom donnait à Cabaret; il a toujours vécu comme la bonne compagnie de son temps.

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Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.
Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime:
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix'.
La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiroient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensoient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès: laissons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie 2.
Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir;
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt l'on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face 5;
Il me promène après de terrasse en terrasse;
Ici s'offre un perron; là règne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.

Il compte des plafonds les ronds et les ovales;
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales*. »>

1 Scribendi recte, sapere est et principium et fons.

HORACE, Art poétique, vers 309.

Cf. Cinguené, Histoire littéraire de l'Italie, t. VI, pages 436158.

3 Scudéri, 1. III d'Alaric, emploie près de cinq cents vers à la description d'un palais; il commence par la façade, pour finir par le jardin.

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Vers de Scudéri. BOILEAU, 1713. On lit dans Alaric, 1. III:

Ce ne sont que festons, ce ne sont que couronnes.

Omne supervacuum pleno de pectore manat.

HORACE, Art poétique, vers 337. Mais malheur à l'auteur qui veut toujours instruire: Le secret d'ennuyer est celui de tout dire.

VOLTAIRE, Disc. vi, vers 171-172.

In vitium ducit culpæ fuga, si caret arte.
HORACE, Art poétique, vers 31.

Decipimur specie recti: brevis esse laboro,
Obscurus fio...

HORACE, Art poétique, vers 25 26.

Aut dum vitat humum, nubes et inania captat. HORACE, Art poétique, vers 230. Sectantem lævia, nervi Peficiunt animique; professus grandia turget:

Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant;
L'esprit rassasié la rejette à l'instant 5.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Un vers étoit trop foible, et vous le rendez dur;
J'évite d'être long, et je deviens obscur 7;
L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop nue;
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue 8.
Voulez-vous du public mériter les amours,

Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endormc.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier 9.

Heureux qui, dans ses vers, sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs 10.
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté 11
Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté :
On ne vit plus en vers que pointes triviales;
Le Parnasse parla le langage des halles;

La licence à rimer alors n'eut plus de frein;
Apollon travesti devint un Tabarin 12.
Cette contagion infecta les provinces,

Du clerc et du bourgois passa jusques aux princes: .

10

Serpit humi tutus nimium, timidusque procellæ...
HORACE, Art poétique, vers 26-28.
Et citharædus

Ridetur, chorda qui semper oberrat eadem.

HORAGE, Art poétique, vers 355-356,
Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci,
Lectorem delectando pariterque monendo.
Hic meret æra liber Sosiis....

HORACE, Art poétique, vers 343-345. "Le style burlesque fut extrêmement en vogue depuis le commencement du dernier siècle jusque vers l'an 1660 qu'il tomba. BOILEAU, 1713. Saint-Marc cite un chanoine d'Embrun, Jacques Jacques, qui aurait mis en vers burlesques la Passion de Jésus-Christ. Le Virgile trave ti, de carron, a seul survécu à cette vogue, et encore est-il bien difficile aujourd'hui de le lire

en entier.

12 On ignore le lieu et la date de la naissance de Tabarin; il parait cependant à peu près certain qu'il était d'origine italienne et que Tabarin n'était qu'un nom de tréteaux. Il servit de 1618 à 1630 de compère à Montdor, un charlatan qui débitait un onquent quelconque sur la place Dauphine et serait mort de mort violente dans une terre qu'il avait acquise aux environs de Paris. Ses parades ont été publiées pour la première fois sous le titre de Rec eil général des rencon res, questions,... tabariniques. Paris, 1622, petit in-12; et récemment sous le titre de : OEuvres completes de Tabarin, par Gustave Aventin (Venant). Paris, P. Jannet, 1858, 2 vol. in-16.

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