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le dessein qu'il a eu de bien faire (4). Toutefois, puisque vous voulez que j'écrive aussi du sublime, voyons, pour l'amour de vous 1, si nous n'avons point fait sur cette matière quelque observation raisonnable, et dont les orateurs (5) puissent tirer quelque sorte d'utilité.

Mais c'est à la charge, mon cher Térentianus, que nous reverrons ensemble exactement mon ouvrage, et que vous m'en direz votre sentiment avec cette sincérité que nous devons naturellement à nos amis; car, comme un sage2 dit fort bien : Si nous avons quelque voie pour nous rendre semblables aux dieux, c'est de faire du bien et de dire la vérité.

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Au reste, comme c'est à vous que j'écris, c'est-àdire à un homme instruit de toutes les belles connoissances (6), je ne m'arrêterai point sur beaucoup de choses qu'il m'eût fallu établir avant que d'entrer en matière, pour montrer que le sublime est en effet ce qui forme l'excellence et la souveraine perfection du discours, que c'est par lui que les grands poëtes et les écrivains les plus fameux ont remporté le prix, et rempli toute la postérité du bruit de leur gloire (7).

Car il ne persuade pas proprement, mais il ravit, il transporte, et produit en nous une certaine admiration mêlée d'étonnement et de surprise, qui est toute autre chose que de plaire seulement, ou de persuader. Nous pouvons dire à l'égard de la persuasion, que, pour l'ordinaire, elle n'a sur nous qu'autant de puissance que nous voulons. Il n'en est pas ainsi du sublime. Il donne au discours une certaine vigueur noble (8), une force invincible qui enlève l'ame de quiconque nous écoute. Il ne suffit pas d'un endroit ou deux dans un ouvrage pour vous faire remarquer la finesse de l'invention, la beauté de l'économie et de la disposition; c'est avec peine que cette justesse se fait remarquer par toute la suite même du discours. Mais quand le sublime vient à éclater où il faut, il renverse tout, comme un foudre et présente d'abord toutes les forces de l'orateur ramassées ensemble. Mais ce que je dis ici, et tout ce que je pourrois dire de semblable, seroit inutile pour vous, qui savez ces choses par expérience, et qui m'en feriez, au besoin, à moi-même des leçons.

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CHAPITRE II

S'il y a un art particulier du sublime, et des trois vices qui lui sont opposés.

Il faut voir d'abord s'il y a un art particulier du sublime; car il se trouve des gens qui s'imaginent que c'est une erreur de le vouloir réduire en art et d'en donner des préceptes. Le sublime, disent-ils, nait avec nous, et ne s'apprend point. Le seul art pour y parvenir, c'est d'y être né; et même, à ce qu'ils prétendent, il y a des ouvrages que la nature doit produire toute seule : la contrainte des préceptes ne fait que les affoiblir, et leur donner une certaine sécheresse qui les rend maigres et décharnés. Mais je soutiens qu'à bien prendre les choses on verra clairement tout le contraire.

Et, à dire vrai, quoique la nature ne se montre jamais plus libre que dans les discours sublimes et pathétiques, il est pourtant aisé de reconnoître qu'elle ne se laisse pas conduire au hasard, et qu'elle n'est pas absolument ennemie de l'art et des règles. J'avoue que dans toutes nos productions il la faut toujours supposer comme la base, le principe et le premier fondement. Mais aussi il est certain que notre esprit a besoin d'une méthode pour lui enseigner à ne dire que ce qu'il faut, et à le dire en son lieu; et que cette méthode peut beaucoup contribuer à nous acquérir la parfaite habitude du sublime car comme les vaisseaux (9) sont en danger de périr lorsqu'on les abandonne à leur seule légèreté, et qu'on ne sait pas leur donner la charge et le poids qu'ils doivent avoir, il en est ainsi du sublime, si on l'abandonne à la seule impétuosité d'une nature ignorante et téméraire. Notre esprit assez souvent n'a pas moins besoin de bride que d'éperon. Démosthène dit en quelque endroit que le plus grand bien qui puisse nous arriver dans la vie, c'est d'être heureux; mais qu'il y en a encore un autre qui n'est pas moindre, et sans lequel ce premier ne sauroit subsister, qui est de savoir se conduire avec prudence. Nous en pouvons dire autant à l'égard du discours (10). La nature est ce qu'il y a de plus nécessaire pour arriver au grand : cependant si l'art ne prend soin de la conduire, c'est une aveugle qui ne sait où elle va *** 5 (11).

Telles sont ces pensées : LES TORRENS ENTORTILLÉS DE

dit également et des hommes et de Dieu: c'est donc ainsi qu'il falloit traduire. » Dac. marg. et mss.

Il faut mettre éclater, pour conserver l'image que Longin a voulu donner de la foudre. Dac., mss.

L'auteur avoit parlé du style enflé, et citoit, à propos de cela, les sottises d'un poëte tragique, dont voici quelques restes. Voyez les Remarques (ci-après, n° 11). BOILEAU, 1674 à 1713.

FLAMME, VOMIR CONTRE LE CIEL, FAIRE DE BORÉE SON JOUEUR DE FLUTE, et toutes les autres façons de parler dont cette pièce est pleine; car elles ne sont pas grandes et tragiques, mais enflées et extravagantes. Toutes ces phrases ainsi embarrassées de vaines imaginations troublent et gâtent plus un discours qu'elles ne servent à l'élever; de sorte qu'à les regarder de près et au grand jour, ce qui paroissoit d'abord si terrible devient tout à coup sot et ridicule. Que si c'est un défaut insupportable dans la tragédie, qui est naturelle ment pompeuse et magnifique, que de s'enfler mal à propos; à plus forte raison doit-il être condamné dans le discours ordinaire. De là vient qu'on s'est raillé de Gorgias pour avoir appelé Xercès le JUPITER DES PERSES, et les vautours, DES SÉPULCRES ANIMÉS (12). On n'a pas été plus indulgent pour Callisthène qui, en certains endroits de ses écrits, ne s'élève pas proprement, mais se guinde si haut, qu'on le perd de vue. De tous ceux-là pourtant, je n'en vois point de si enflé que Clitarque. Cet auteur n'a que du vent et de l'écorce; il ressemble à un homme qui, pour me servir des termes de Sophocle, a ouvre une grande bouche pour souffler dans une petite flûte (13). » Il faut faire le même jugement d'Amphicrate, d'Hégésias et de Matris. Ceux-ci quelquefois, s'imaginant qu'ils sont épris d'un enthousiasme et d'une fureur divine, au lieu de tonner, comme ils pensent, ne font que niaiser et badiner comme des enfans.

Et certainement en matière d'éloquence il n'y a rien de plus difficile à éviter que l'enflure; car, comme en toutes choses naturellement nous cherchons le grand et que nous craignons surtout d'être accusés de sécheresse ou de peu de force, il arrive, je ne sais comment, que la plupart tombent dans ce vice, fondés sur cette maxime commune 2:

Dans un noble projet on tombe noblement. Cependant il est certain que l'enflure n'est pas moins vicieuse dans le discours que dans les corps. Elle n'a que de faux dehors et une apparence trompeuse; mais au dedans elle est creuse et vide, et fait quelquefois un effet tout contraire au grand; car, comme on dit fort bien, « il n'y a rien de plus sec qu'un hydropique. »

C'est le sens de la phrase; néanmoins, je crois que le mot du texte qu'on rend ici par gâter, a été altéré. Dac., marg.

2 C'est en effet une maxime: les copistes en ont, mal à propos, voulu faire un vers. Boivin.

Dacier (marg. et rem. impr.) critique cette traduction comme faite d'après une leçon corrompue.

Il falloit, dit Dacier (marg. et impr.), traduire : « C'est le vice où tombent ceux qui, cherchant le merveilleux et l'étudié et

Au reste, le défaut du style enflé, c'est de vouloir aller au delà du grand. Il en est tout au contraire du puéril; car il n'y a rien de si bas, de si petit, ni de si opposé à la noblesse du discours.

Qu'est-ce donc que puérilité? Ce n'est visiblement autre chose qu'une pensée d'écolier, qui, pour être trop recherchée, devient froide. C'est le vice où tombent ceux qui veulent toujours dire quelque chose d'extraor dinaire et de brillant, mais surtout ceux qui cherchent avec tant de soin le plaisant et l'agréable; parce qu'à la fin, pour s'attacher trop au style figuré, ils tombent dans une sotte affectation.

Il y a encore un troisième défaut opposé au grand, qui regarde le pathétique. Théodore l'appelle une fureur hors de saison, lorsqu'on s'échauffe mal à propos, ou qu'on s'emporte avec excès quand le sujet ne permet que de s'échauffer médiocrement. En effet, on voit très-souvent des orateurs qui, comme s'ils étoient ivres, se laissent emporter à des passions qui ne conviennent point à leur sujet, mais qui leur sont propres, et qu'ils ont apportées de l'école; si bien que, comme on n'est point touché de ce qu'ils disent, ils se rendent. à la fin odieux et insupportables, car c'est ce qui arrive nécessairement à ceux qui s'emportent et se débattent mal à propos devant des gens qui ne sont point du tout émus. Mais nous parlerons en un autre endroit de ce qui concerne les passions".

CHAPITRE III

Du style froid.

Pour ce qui est de ce froid ou puéril dont nous parlions, Timée en est tout plein. Cet auteur est assez habile homme d'ailleurs; il ne manque pas quelquefois par le grand et le sublime il sait beaucoup, et dit même les choses d'assez bon sens (14); sice n'est qu'il est enclin naturellement à reprendre les vices des autres, quoique aveugle pour ses propres défauts, et si curieux au reste d'étaler de nouvelles pensées, que cela le fait tomber assez souvent dans la dernière puérilité. Je me contenterai d'en donner ici un ou deux exemples, parce que Cécilius en a déjà rapporté un assez grand nombre. En voulant louer Alexandre le Grand, « Il a,

le plus souvent l'agréable, échouent dans le style figuré, et se perdent dans une affectation ridicule. »

De 1674 à 1685 il y a en effet quelques-uns, ainsi que s'ils étoient ivres, ne disent point les choses de l'air dont elles doivent être diles; mais ils sont entraînés de leur propre impétuosité, et Tombent sans cesse en des emportemens d'écolier et de déclamateur, si bien que, etc.- Autre correction faite sur l'avis de Dacier. I avait observé marg.) que Poileau semblait ici rapporter à la seule prononciation ce que Longin entend aussi des choses mêmes. 1 en avait fait un traité, qui est perdu.

dit-il, conquis toute l'Asie en moins de temps qu'Isocrate n'en a employé à composer son panégyrique (15). » Voilà, sans mentir, une comparaison admirable d'Alexandre le Grand avec un rhéteur (16). Par celte raison, Timée, il s'ensuivra que les Lacédémoniens le doivent céder à Isocrate, puisqu'ils furent trente ans 1 à prendre la ville de Messène, et que celui-ci n'en mit que dix à faire son panégyrique.

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Mais à propos des Athéniens qui étoient prisonniers de guerre dans la Sicile, de quelle exclamation penseriez-vous qu'il se serve? Il dit « que c'étoit une punition du ciel, à cause de leur impiété envers le dieu Hermès, autrement Mercure, et pour avoir mutilé ses statues; vu principalement qu'il y avoit un des chefs de l'armée ennemie qui tiroit son nom d'llermès (17) de père en fils, savoir Hermocrate, fils d'Hermon. » Sans mentir, mon cher Térentianus, je m'étonne qu'il n'ait dit aussi de Denys le Tyran, que les dieux permirent qu'il fût chassé de son royaume par Dion et par Héraclide, à cause de son peu de respect à l'égard de Dios et d'Héraclès, c'est-à-dire de Jupiter et d'Hercule 4.

Mais pourquoi m'arrêter après Timée ? Ces héros de l'antiquité, je veux dire Xénophon et Platon, sortis de l'école de Socrate, s'oublient bien quelquefois euxmêmes jusqu'à laisser échapper dans leurs écrits des choses basses et puériles. Par exemple, ce premier dans le livre qu'il a écrit de la république des Lacédémoniens « On ne les entend, dit-il, non plus parler que si c'étoient des pierres. Ils ne tournent non plus les yeux que s'ils étoient de bronze. Enfin vous diriez qu'ils ont plus de pudeur que ces parties de l'œil (18) que nous appelons en grec du nom de vierges. » C'étoit à Amphicrate, et non pas à Xénophon, d'appeler les prunelles dès vierges pleines de pudeur. Quelle pensée, bon Dieu! parce que le mot de CORÉ, qui signifie en grec la prunelle de l'œil, signifie aussi une vierge, de vouloir que toutes les prunelles universellement soient des vierges pleines de modestie; vu qu'il n'y a peutêtre point d'endroit sur nous où l'impudence éclate

Ce ne fut que vingt ans... Il y a une lettre à corriger dans le texte de Longin. Dac., marg. et impr.

Hermès, en grec, veut dire Mercure. BOILEAU, 1674 à 1698 (note supprimée dans les éditions de 1701 et 1713).

3 Dacier (impr.) soutenait que Boileau n'expliquait pas bien ici la pensée de Timée.

Zeus Atós, Jupiter; 'Hpzzλs, Hercule. BOILEAU, 1674 à 1713. Il eût été beaucoup mieux d'écrire, pourquoi m'arrêter à Timée? car s'arrêter après quelqu'un n'est pas s'arrêter à quelqu'un. Dac., marg. et mss.

De 1674 à 1682 il y a enfin ils ont, etc... Le changement fait au texte a été proposé en toutes lettres, par Dacier (mss.). 7 Après avoir écrit seroit beaucoup plus correct. Dac., mss. Il n'y avoit point de murailles à Sparte... BOILEAU, 1674 à 1713.

plus que dans les yeux! Et c'est pourquoi Homère, pour exprimer un impudent : « Homme chargé de vin, dit-il, qui as l'impudence d'un chien dans les yeux. » Cependant Timée n'a pu voir une si froide pensée dans Xénophon, sans la revendiquer comme un vol (19) qui lui avoit été fait par cet auteur. Voici donc comme il l'emploie dans la vie d'Agathocle: « N'est-ce pas une chose étrange qu'il ait ravi sa propre cousine qui venoit d'être mariée à un autre, qu'il l'ait, dis-je, ravie le lendemain même de ses noces? car qui est-ce qui eût voulu faire cela, s'il eût eu des vierges aux yeux, et non pas des prunelles impudiques (20)? » Mais que dirons-nous de Platon, quoique divin d'ailleurs, qui, voulant parler de ces tablettes de bois de cyprès où l'on devoit écrire les actes publics, use de cette pensée «Ayant écrit toutes ces choses, ils poseront dans les temples ces monumens (21) de cyprès? » Et ailleurs, à propos des murs: « Pour ce qui est des murs, dit-il, Mégillus, je suis de l'avis de Spartes, de les laisser dormir à terre, et de ne les point faire lever9. » Il y a quelque chose d'aussi ridicule dans Hérodote (22), quand il appelle les belles femmes le mal des yeux. Ceci néanmoins semble en quelque façon pardonnable à l'endroit où il est, parce que ce sont des barbares qui le disent dans le vin et la débauche 10; mais ces personnes n'excusent pas la bassesse de la chose, et il ne falloit pas, pour rapporter un méchant mot 11, se mettre au hasard de déplaire à toute la postérité.

CHAPITRE IV

De l'origine du style froid.

Toutes ces affectations cependant, si basses et si puériles, ne viennent que d'une seule cause, c'est à savoir de ce qu'on cherche trop la nouveauté dans les pensées, qui est la manie surtout des écrivains d'aujourd'hui. Car du même endroit que vient le bien, assez souvent vient aussi le mal. Ainsi voyons-nous

Pe 1674 à 1682 il y a de les laisser dormir, et de ne les point faire lever tandis qu'ils sont couchés par terre. Il y a, etc. — Nouvelle correction faite d'après l'avis de Dacier qui (marg.) avait traité de ridicule l'expression couchés par terre.

19 Dacier (impr.) pense que, pour mieux rendre la pensée de Longin, il faudrait « que des barbares qui le disent, et qui le disent même dans le vin, etc. »

11 Il y avait d'abord : mais comme ces personnes ne sont pas de fort grande considération, il ne falloit pas pour en rapporter un méchant mot, etc. Le changement fut provoqué par Dacier. Il soutient, en effet (mss.), que rien dans le texte ne correspond aux mots personnes de peu de considération, et que d'après une correction judicieuse de Le Fèvre, on devrait traduire à peu près : « Mais avec tout cela, comme il y a de la bassesse, il ne faut pas s'exposer à déplaire, etc. »

que ce qui contribue le plus en de certaines occasions à embellir nos ouvrages; ce qui fait, dis-je, la beauté, la grandeur, les graces de l'élocution, cela même, en d'autres rencontres, est quelquefois cause du contraire, comme on le peut aisément reconnoître dans les «hyperboles » et dans ces autres figures qu'on appelle

pluriels. En effet, nous montrerons dans la suite combien il est dangereux de s'en servir. Il faut donc voir maintenant comment nous pourrons éviter ces1 vices qui se glissent quelquefois dans le sublime. Or nous en viendrons à bout sans doute, si nous acquérons d'abord une connoissance nette et distincte du véritable sublime, et si nous apprenons à en bien juger, ce qui n'est pas une chose peu difficile, puisque enfin de savoir bien juger du fort et du foible d'un discours ce ne peut être que l'effet d'un long usage, et le dernier fruit, pour ainsi dire, d'une étude consommée. Mais, par avance, voici peut-être un chemin pour y parvenir.

CHAPITRE V

Des moyens en général pour connoître le sublime.

Il faut savoir, mon cher Térentianus, que, dans la vie ordinaire, on ne peut point dire qu'une chose ait rien de grand, quand le mépris qu'on fait de cette chose tient lui-même du grand. Tels sont les richesses, les dignités, les honneurs, les empires et tous ces autres biens en apparence qui n'ont qu'un certain faste au dehors, et qui ne passeront jamais pour de véritables biens dans l'esprit d'un sage, puisqu'au contraire ce n'est pas un petit avantage que de les pouvoir mépriser. D'où vient aussi qu'on admire beaucoup moins ceux qui les possèdent que ceux qui, les pouvant posséder, les rejettent par une pure grandeur d'ame.

Nous devons faire le même jugement à l'égard des ouvrages des poëtes et des orateurs. Je veux dire qu'il faut bien se donner de garde d'y prendre pour sublime une certaine apparence de grandeur, bâtie ordinairement sur de grands mots assemblés au hasard, et qui n'est, à la bien examiner, qu'une vaine enflure de

Il faudroit les vices. Dac., marg.

Longin dit seulement que ce ne sont pas des biens extraordinaires ou excessifs, ce qui présente, on le voit, un sens fort différent. Dac., mss.

De 1674 à 1682 il y a : ... ces matières, entendra réciter un ouvrage, si après l'avoir oui plusieurs fois, il ne sent point qu'il lui élève l'ame, et lui laisse dans l'esprit une idée qui soit même audessus de ses paroles; mais si au contraire, en le regardant avec attention, il trouve qu'il tombe, etc...

De 1683 à 1700 il y a nous récitera quelque ouvrage si, après avoir oui cet ouvrage plusieurs fois, nous ne sentons point qu'il

paroles, plus digne en effet de mépris que d'admiration; car tout ce qui est véritablement sublime a cela de propre quand on l'écoute, qu'il élève l'ame, et lui fait concevoir une plus haute opinion d'elle-même, la remplissant de joie et de je ne sais quel noble orgueil, comme si c'étoit elle qui eût produit les choses qu'elle vient simplement d'entendre.

Quand donc un homme de bon sens et habile en ces matières nous récitera quelque endroit d'un ouvrage, si, après avoir ouï cet endroit plusieurs fois, nous ne sentons point qu'il nous élève l'âme, et nous laisse dans l'esprit une idée qui soit même au-dessus de ce que nous venons d'entendre; mais si, au contraire, en le regardant avec attention, nous trouvons qu'il tombe et ne se soutienne pas, il n'y a point là de grand, puisque enfin ce n'est qu'un son de paroles, qui frappe simplement l'oreille, et dont il ne demeure rien dans l'esprit. La marque infaillible du sublime, c'est quand nous sentons qu'un discours (23) nous laisse beaucoup à penser, qu'il fait d'abord un effet sur nous auquel il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de résister, et qu'ensuite le souvenir nous en dure et ne s'efface qu'avec peine. En un mot, figurezvous qu'une chose est véritablement sublime, quand vous voyez qu'elle plaît universellement et dans toutes ses parties; car lorsqu'en un grand nombre de personnes différentes de professions et d'âge, et qui n'ont aucun rapport ni d'humeurs ni d'inclinations, tout le monde vient à être frappé également de quelque endroit (24) d'un discours, ce jugement et cette approbation uniforme de tant d'esprits, si discordans d'ailleurs, est une preuve certaine et indubitable qu'il y a là du merveilleux et du grand.

CHAPITRE VI

Des cinq sources du grand.

Il y a, pour ainsi dire, cinq sources principales du sublime; mais ces cinq sources présupposent comme pour fondement commun 5 une faculté de bien parler, sans quoi tout le reste n'est rien.

Cela posé, la première et la plus considérable est

nous élève l'ame, et nous laisse dans l'esprit une idée qui soit même au-dessus de ses paroles; mais si au contraire, etc.

Cette seconde version fut proposée littéralement par Dacier (mss.), à l'exception du commencement, qu'il traduisait comme il suit : « Quand donc vous entendez quelque ouvrage d'un homme de bon sens et habile en ces matières, et après l'avoir ouï, etc. » Dacier (impr.) traduit ceci un peu différemment, tandis que La Harpe, dans le Lycée, se borne à retoucher la traduction de Boileau.

5 FONDEMENT de sources n'est pas françois. Longin parle d'un fond commun aux cinq sources, etc... Dac., mss.

⚫ une certaine élévation d'esprit qui nous fait penser heureusement les choses, » comme nous l'avons déjà montré dans nos commentaires sur Xénophon.

La seconde consiste dans le pathétique; j'entends par pathétique cet enthousiasme et cette véhémence naturelle qui touche et qui émeut. Au reste, à l'égard de ces deux premières, elles doivent presque tout à la nature, et il faut qu'elles naissent en nous; au lieu que les autres dépendent de l'art en partie.

La troisième n'est autre chose que les « figures tournées d'une certaine manière. » Or les figures sont de deux sortes les figures de pensée, et les figures de diction.

Nous mettons pour la quatrième « la noblesse de l'expression, » qui a deux parties: le choix des mots, et la diction élégante et figurée.

Pour la cinquième, qui est celle, à proprement parler, qui produit le grand et qui renferme en soi toutes les autres, c'est la composition et l'arrangement des paroles dans toute leur magnificence et leur dignité. »

Examinons maintenant ce qu'il y a de remarquable dans chacune de ces espèces en particulier; mais nous avertirons en passant que Cécilius en a oublié quelques-unes, et entre autres le pathétique et certainement, s'il l'a fait pour avoir cru que le sublime et le pathétique naturellement n'alloient jamais l'un sans l'autre et ne faisoient qu'un, il se trompe, puisqu'il y a des passions qui n'ont rien de grand, et qui ont même quelque chose de bas, comme l'affliction, la peur, la tristesse; et qu'au contraire il se rencontre quantité de choses grandes et sublimes où il n'entre point de passion. Tel est entre autres ce que dit Homère avec tant de hardiesse en parlant des Aloïdes 2(25):

Pour détrôner les dieux, leur vaste ambition
Entreprit d'entasser Osse sur Pélion.

Ce qui suit est encore bien plus fort:

Ils l'eussent fait sans doute, etc.

Et dans la prose, les panégyriques et tous ces discours qui ne se font que pour l'ostentation ont partout du grand et du sublime, bien qu'il n'y entre point de passion pour l'ordinaire. De sorte que, même entre les orateurs, ceux-là communément sont les moins

Voyez pour ces cinq parties, ch. vi et suiv.

C'étoient des géants qui croissoient tous les ans d'une coudée en largeur et d'une aune en longueur. Ils n'avoient pas encore quinze ans lorsqu'ils se mirent en état d'escalader le ciel. Ils se tuèrent l'un l'autre par l'adresse de Diane. Olyssée, I. XI, v. 510. BOILEAU, 1674 à 1713.

* De 1674 à 1682 il y a : plein, pour ainsi d're... Dacier (mss)

propres pour le panégyrique, qui sont les plus pathéti ques; et, au contraire, ceux qui réussissent le mieux dans le panégyrique s'entendent assez mal à toucher les passions.

Que si Cécilius s'est imaginé que le pathétique en général ne contribuoit point au grand, et qu'il étoit par conséquent inutile d'en parler, il ne s'abuse pas moins; car j'ose dire qu'il n'y a peut-être rien qui relève davantage un discours qu'un beau mouvement et une passion poussée à propos. En effet, c'est comme une espèce d'enthousiasme et de fureur noble qui anime l'oraison, et qui lui donne un feu et une vigueur toute divine.

CHAPITRE VII

De la sublimité dans les pensées.

Bien que des cinq parties dont j'ai parlé, la première et la plus considérable, je veux dire cette élévation d'esprit naturelle », soit plutôt un présent du ciel qu'une qualité qui se puisse acquérir, nous devons, autant qu'il nous est possible, nourrir notre esprit au grand et le tenir toujours plein et enflé3, pour ainsi dire, d'une certaine fierté noble et géné➡

reuse.

Que si on demande comme il s'y faut prendre, j'ai déjà écrit ailleurs que cette élévation d'esprit étoit une image de la grandeur d'ame, et c'est pourquoi nous admirons quelquefois la seule pensée d'un homme, encore qu'il ne parle point, à cause de cette grandeur de courage que nous voyons: par exemple, le silence d'Ajax aux enfers, dans l'Odyssée; car ce silence a je ne sais quoi de plus grand que tout ce qu'il auroit. pu dire.

La première qualité donc qu'il faut supposer en un véritable orateur, c'est qu'il n'ait point l'esprit rampant. En effet, il n'est pas possible qu'un homme qui n'a toute sa vie que des sentimens et des inclinations basses et serviles puisse jamais rien produire qui soit merveilleux ni digne de la postérité. Il n'y a vraisemblablement que ceux qui ont de hautes et de solides pensées qui puissent faire des discours élevés; et c'est particulièrement aux grands hommes qu'il échappe de dire des choses extraordinaires. Voyez, par exemple (26),

observa que le mot plein ne demandait pas cette modification pour ainsi dire... Boileau intercala, en 1683, et enflé; mais Dacier (impr., ib., p. 159) observa aussitôt qu'elle ne se rapportait pas mieux à cette expression qu'à l'autre, et proposa une traduction qui, comme celle de Boileau, fut désapprouvée par Tollius.

C'est dans le onzième livre de l'Odyssée, v. 551, où Ulysse fait des soumissions à Ajax; mais Ajax ne daigne pas lui répon dre. BOILEAU, 1674 à 1713.

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