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et défendu même par une ancienne loi censorienne 1, comme trop voluptueux. Ces mots « plein de sang et de graisse, » qu'Homère a mis en parlant du ventre des animaux, et qui sont si vrais de cette partie du corps, ont donné occasion à un misérable traducteur 3 qui a mis autrefois l'Odyssée en françois, de se figurer qu'Homère parloit là de boudin, parce que le boudin de pourceau se fait communément avec du sang et de la graisse ; et il l'a ainsi sottement rendu dans sa traduction. C'est sur la foi de ce traducteur que quelques ignorans, et M. l'abbé du dialogue, ont cru qu'Homère comparoit Ulysse à un boudin; quoique ni le grec ni le latin n'en disent rien, et que jamais aucun commentateur n'ait fait cette ridicule bévue. Cela montre bien les étranges inconvéniens qui arrivent à ceux qui veulent parler d'une langue qu'ils ne savent point.

RÉFLEXION VII

Il faut songer au jugement que toute la postérité fera de nos écrits. (Paroles de Longin, ch. xII.)

Il n'y a en effet que l'approbation de la postérité qui puisse établir le vrai mérite des ouvrages. Quelque clat qu'ait fait un écrivain durant sa vie, quelques éloges qu'il ait reçus, on ne peut pas pour cela infailliblement conclure que ses ouvrages soient excellens. De faux brillans, la nouveauté du style, un tour d'esprit qui étoit à la mode, peuvent les avoir fait valoir; et il arrivera peut-être que dans le siècle suivant on ouvrira les yeux, et que l'on méprisera ce que l'on a admiré. Nous en avons un bel exemple dans Ronsard et dans ses imitateurs, comme du Bellay, du Bartas, Desportes, qui, dans le siècle précédent, ont été l'ad

Hujus (Suis) et sumen optimum, si modo fœtus non hauserit. Pline, 1. X1, ch. xxxvII, section 84.

Hinc censoriarum legum paginæ, interdictaque cœnis abdomina, glandia, testiculi, vulvæ, sincipita verrina, etc. Pline, 1. VIII, ch. LI, section 77. (Sillig, 1852, t. II, pages 307 et 133-134.) 2 « Jusque-là M. Despréaux a raison; mais il s'est trompé évidemment lorsqu'il a dit que les mots plein de sang et de graisse se doivent entendre de la graisse et du sang qui sont naturellement dans cette partie du corps de l'animal... Il se trompe, dis-je, car ces mots doivent s'entendre de la graisse et du sang dont on farcissoit cette partie. » Madame Dacier, Remarques sur l'Odyssée, livre XX.

Claude Boitet de Franville, né à Orléans en 1570, mort en 1625. On a de lui: l'Odyssée d'Homère, traduict de grec en françois, suivi de l'Histoire de la prise de Troie, recueillie de plusieurs poêles grees; 1619, in-8; une traduction des Dyonysiaques de Nonnus, le Prince des princes, ou l'Art de régner; le Fidelle historien des affaires de France... de décembre 1620 jusqu'en 1623, etc.

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miration de tout le monde, et qui aujourd'hui ne trouvent pas même de lecteurs 7.

La même chose étoit arrivée chez les Romains à Nævius, à Livius et à Ennius, qui, du temps d'Horace, comme nous l'apprenons de ce poëte, trouvoient encore beaucoup de gens qui les admiroient, mais qui à la fin furent entièrement décriés. Et il ne faut point s'imaginer que la chute de ces auteurs, tant les françois que les latins, soit venue de ce que les langues de leur pays ont changé. Elle n'est venue que de ce qu'ils n'avoient point attrapé dans ces langues le point de solidité et de perfection qui est nécessaire pour faire durer et pour faire à jamais priser des ouvrages. En effet, la langue latine, par exemple, qu'ont écrite Cicéron et Virgile, étoit déjà fort changée du temps de Quintilien, et encore plus du temps d'Aulugelles. Cependant Cicéron et Virgile y étoient encore plus estimés que de leur temps même, parce qu'ils avoient comme fixé la langue par leurs écrits, ayant atteint le point de perfection que j'ai dit.

Ce n'est donc point la vieillesse des mots et des expressions dans Ronsard qui a décrié Ronsard; c'est qu'on s'est aperçu tout d'un coup que les beautés qu'on y croyoit voir n'étoient point des beautés; ce que Bertaut, Malherbe, de Lingendes et Racan qui vinrent après lui, contribuèrent beaucoup à faire connoître, ayant attrapé dans le genre sérieux le vrai génie de la langue françoise, qui, bien loin d'être en son point de maturité du temps de Ronsard, comme Pasquier se l'étoit persuadé faussement, n'étoit pas même encore sortie de sa première enfance. Au contraire, le vrai tour de l'épigramme, du rondeau et des épîtres naïves ayant été trouvé, même avant Ronsard, par Marot, par Saint-Gelais 10, et par d'autres, non-seulement leurs ouvrages en ce genre ne sont point tombés

Voyez Art poétique, chant I, vers 123 et suivans, p. 93; et satire I, p. 19, note 5.

• Voyez Art poétique, chant 1, p. 93, note 11.

7 Cela a pu être vrai pendant la dernière moitié du dix-septième siècle et pendant tout je dix-huitième; mais sur la fin de celui-ci, la nation allemande ayant été vaincue par les armes françaises.» un rhéteur germain nous a bientôt prouvé que Ronsard et du Bartas étaient de grands poëtes, et que les Racine, les Corneille, les Molière, les Boileau, etc., n'étaient pas même des poètes.

Que l'on ne prenne pas ceci pour une plaisanterie : la ligne guillemetée est tirée d'une réponse faite, en 1825, par un des premiers savans d'outre-Rhin à une lettre où un Français lui avait manifesté sa surprise de l'espèce de manie qu'avaient plusieurs de ses compatriotes de rabaisser ce qui s'était fait et pouvait encore se faire de bon en France, et d'exalter ce qui était peu estimé dans ce dernier pays. B.-S.-P.

8 Quintilien vivait à la fin du premier et Aulu-Gelle dans le deuxième siècle de l'ère vulgaire.

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Voyez Art poétique, chant I, vers 18, p. 92; et vers 123-142,

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dans le mépris, mais ils sont encore aujourd'hui généralement estimés; jusque-là même que pour trouver l'air naïf en françois, on a encore quelquefois recours à leur style; et c'est ce qui a si bien réussi au célèbre M. de La Fontaine. Concluons donc qu'il n'y a qu'une longue suite d'années qui puisse établir la valeur et le vrai mérite d'un ouvrage.'

Mais, lorsque des écrivains ont été admirés durant un fort grand nombre de siècles et n'ont été méprisés que par quelques gens de goût bizarre, car il se trouve toujours des goûts dépravés, alors non-seulement il y a de la témérité, mais il y a de la folie à vouloir douter du mérite de ces écrivains. Que si vous ne voyez point les beautés de leurs écrits, il ne faut pas conclure qu'elles n'y sont point, mais que vous êtes aveugle et que vous n'avez point de goût. Le gros des hommes à la longue ne se trompe point sur les ouvrages d'esprit. Il n'est plus question, à l'heure qu'il est, de savoir si Homère, Platon, Cicéron, Virgile, sont des hommes merveilleux; c'est une chose sans contestation, puisque vingt siècles en sont convenus; il s'agit de savoir en quoi consiste ce merveilleux qui les a fait admirer de tant de siècles, et il faut trouver moyen de le voir, ou renoncer aux belles-lettres, auxquelles vous devez croire que vous n'avez ni goût ni génie, puisque vous ne sentez point ce qu'ont senti tous les hommes.

Quand je dis cela néanmoins, je suppose que vous sachiez la langue de ces auteurs; car, si vous ne la savez point, et si vous ne vous l'êtes point familiarisée, je ne vous blâmerai pas de n'en point voir les beautés, je vous blâmerai seulement d'en parler. Et c'est en quoi on ne sauroit trop condamner M. P..., qui, ne sachant point la langue d'Homère, vient hardiment lui faire son procès sur les bassesses de ses traducteurs, et dire au genre humain, qui a admiré les ouvrages de ce grand poëte durant tant de siècles: Vous avez admiré des sottises. C'est à peu près la même chose qu'un aveugle né qui s'en iroit crier par toutes les rues : Messieurs, je sais que le soleil que vous voyez vous paroît fort beau, mais moi, qui ne l'ai jamais vu, je vous déclare qu'il est fort laid.

Mais, pour revenir à ce que je disois, puisque c'est la postérité seule qui met le véritable prix aux ouvrages, il ne faut pas, quelque admirable que vous paroisse un écrivain moderne, le mettre aisément en parallèle avec ces écrivains admirés durant un si grand nombre de siècles, puisqu'il n'est pas même sûr que ses ouvrages passent avec gloire au siècle suivant. En effet, sans aller chercher des exemples éloignés, combien n'avons-nous point vu d'auteurs admirés dans

notre siècle, dont la gloire est déchue en très-peu d'années! Dans quelle estime n'ont point été, il y a trente ans, les ouvrages de Balzac! on ne parloit pas de lui simplement comme du plus éloquent homme de son siècle, mais comme du seul éloquent. Il a effectivement des qualités merveilleuses. On peut dire que jamais personne n'a mieux su sa langue que lui, et n'a mieux entendu la propriété des mots et la juste mesure des périodes; c'est une louange que tout le monde lui donne encore. Mais on s'est aperçu tout d'un coup que l'art où il s'est employé toute sa vie étoit l'art qu'il savoit le moins, je veux dire l'art de faire une lettre; car, bien que les siennes soient toutes pleines d'esprit et de choses admirablement dites, on y remarque partout les deux vices les plus opposés au genre épistolaire, c'est à savoir l'affectation l'enflure; et on ne peut plus lui pardonner ce soin vicieux qu'il a de dire toutes choses autrement que ne le disent les autres hommes. De sorte que tous les jours on rétorque contre lui ce même vers que Maynard a fait autrefois à sa louange :

Il n'est point de mortel qui parle comme lui.

Il y a pourtant encore des gens qui le lisent; mais il n'y a plus personne qui ose imiter son style, ceux qui l'ont fait s'étant rendus la risée de tout le monde.

Mais, pour chercher un exemple encore plus illustre que celui de Balzac, Corneille est celui de tous nos poëtes qui a fait le plus d'éclat en notre temps; et on ne croyoit pas qu'il pût jamais y avoir en France un poëte digne de lui être égalé. Il n'y en a point en effet qui ait plus d'élévation de génie, ni qui ait plus composé. Tout son mérite pourtant, à l'heure qu'il est, ayant été mis par le temps comme dans un creuset, se réduit à huit ou neuf pièces de théâtre qu'on admire, et qui sont, s'il faut ainsi parler, comme le midi de sa poésie, dont l'orient et l'occident n'ont rien valu. Encore, dans ce petit nombre de bonnes pièces, outre les fautes de langue qui y sont assez fréquentes, on commence à s'apercevoir de beaucoup d'endroits de déclamation qu'on n'y voyoit point autrefois. Ainsi, non-seulement on ne trouve point mauvais qu'on lui compare aujourd'hui M. Racine, mais il se trouve même quantité de gens qui le lui préfèrent. La postérité jugera qui vaut le mieux des deux; car je suis persuadé que les écrits de l'un et de l'autre passeront aux siècles suivans: mais jusque-là ni l'un ni l'autre ne doit être mis en parallèle avec Euripide et avec Sophocle, puisque leurs ouvrages n'ont point encore

Voyez Poésies diverses, XIX et XX, p. 142.

le sceau qu'ont les ouvrages d'Euripide et de Sophocle, je veux dire l'approbation de plusieurs siècles.

Au reste, il ne faut pas s'imaginer que, dans ce nombre d'écrivains approuvés de tous les siècles, je veuille ici comprendre ces auteurs, à la vérité anciens, mais qui ne se sont acquis qu'une médiocre estime, comme Lycophron, Nonnus, Silius Italicus, l'auteur des tragédies attribuées à Sénèque 1, et plusieurs autres à qui on peut, non-seulement comparer, mais à qui on peut, à mon avis, justement préférer beaucoup d'écrivains modernes. Je n'admets dans ce haut rang que ce petit nombre d'écrivains merveilleux dont le nom seul fait l'éloge, comme Homère, Platon, Cicéron, Virgile, etc. Et je ne règle point l'estime que je fais d'eux par le temps qu'il y a que leurs ouvrages durent, mais par le temps qu'il y a qu'on les admire. C'est de quoi il est bon d'avertir beaucoup de gens qui pourroient mal à propos croire ce que veut insinuer notre censeur, qu'on ne loue les anciens que parce qu'ils sont anciens, et qu'on ne blame les modernes que parce qu'ils sont modernes; ce qui n'est point du tout véritable, y ayant beaucoup d'anciens qu'on n'admire point, et beaucoup de modernes que tout le monde loue. L'antiquité d'un écrivain n'est pas un titre certain de son mérite; mais l'antique et constante admiration qu'on a toujours eue pour ses ouvrages est une preuve sûre et infaillible qu'on les doit admirer.

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1 Voyez satire x1, p. 49, note 2.

2 C'est la seule à laquelle Perrault ait fait une réponse. Nous en citerons quelques fragmens. B.-S.-P.

3 En 1694, il y avait seulement il n'en est pas ainsi de Pindare, et, en marge, Longin, ch. xvi... Perrault (Rép., p. 6) se récria beaucoup et sur cette citation erronée, qui était évidemment une faute typographique, et sur l'omission du reste du passage de Longin, comme si ce que Boileau dit ensuite ne montre pas qu'il avoue que Longin trouve des fautes dans Pindare... Boileau corrigea, en 1701, la citation (xxvII pour xvi), et rétablit le passage, à l'exception d'un mot qu'on va indiquer. B.-S.-P.

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Il faut ici mal à propos... Voyez plus loin ce chap. xxvII.

« Peut-être sais-je assez de grec pour faire voir à M. D... qu'il n'en sait guère, et qu'il s'est trompé plus d'une fois dans ses critiques.» Perrault, Rep., p. 8. B.-S.-P.

• Ces deux phrases, depuis les mots un diseur, étaient en italiques dans l'édition de 1694, et il y avait (p. 197) en marge: Paralleles, t. I, p. 255, et t. III, p. 163, 183... Boileau cut le toit

n'en trouve-t-on point? Mais en même temps il déclare que ces fautes qu'il y a remarquées ne peuvent point être appelées proprement fautes, et que ce ne sont que de petites négligences où Pindare est tombé à cause de cet esprit divin dont il est entraîné, et qu'il n'étoit pas en sa puissance de régler comme il vouloit. C'est ainsi que le plus grand et le plus sévère de tous les critiques grecs parle de Pindare, même en le censurant.

Ce n'est pas là le langage de M. P..., homme qui sûrement ne sait point de grec 3. Selon lui, Pindare non-seulement est plein de véritables fautes, mais c'est un auteur qui n'a aucune beauté; un diseur de galimatias impénétrable, que jamais personne n'a pu comprendre, et dont Horace s'est moqué quand il a dit que c'étoit un poëte inimitable. En un mot, c'est un écrivain sans mérite, qui n'est estimé que d'un certain nombre de savans, qui le lisent sans le concevoir, et qui ne s'attachent qu'à recueillir quelques misérables sentences dont il a semé ses ouvrages. Voilà ce qu'il juge à propos d'avancer sans preuve dans le dernier de ses Dialogues. Il est vrai que, dans un autre de ces Dialogues, il vient à la preuve devant madame la présidente Morinet, et prétend montrer que le commencement de la première ode de ce grand poëte ne s'entend point. C'est ce qu'il prouve admirablement par la traduction qu'il en a faite; car il faut avouer que si Pindare s'étoit énoncé

(peut-être était-ce une pure inadvertance) de mettre en italiques ce qui n'était qu'un résumé et non point une copie littérale des pages indiquées. Aussitôt Perrault (Kép., p. 9 à 11 se récrie vivement contre ce défaut de bonne foi, Il convient, il est vrai, que dans un des passages cités (t. III, p. 184), il a parlé du galimatics impénétrable de Pindare, mais il ajoute qu'il a eu raison en cela, parce que, s'il est vrai qu'il y a de belles choses dans l'indare, il est plus vrai encore qu'il y en a d'inintelligibles... Il termine par répéter lui-même, et en italiques (p. 10), ce que contient l'un des autres passages des Paralleles (t. III, p. 163) cités par Boileau; et voici comment il le rapporte : « Les savans, en lisant Pindare, passent légèrement sur ce qu'ils n'entendent pas, et ne s'arrêtent qu'aux beaux traits qu'ils transcrivent dans leurs recueils... Mais ici il ne fait guère preuve, lui-même, de bonne foi, car il a altéré tout le commencement de ce passage, commencement qui, selon toute apparence, avait échauffé la bile de son adversaire. Le voici (t. Ill, p. 162, 163): « Si les savans lisoient Pindare, avec résolution de bien comprendre ce qu'il dit, ILS S'EN REBUTEROIENT BIEN VITE, et ils en parleroient ENCORE PLUS MAL QUE NOUS; mais ils passent légèrement sur tout ce qu'ils, etc.

Saint-Marc, qui s'attache ordinairement à chercher des torts ou des fautes à Boileau, s'est bien gardé de parler de cette altération, quoiqu'il eût sous ses yeux les Paralleles. A l'égard de presque tous les éditeurs suivans, attachés à la méthode que nous avons déjà remarquée, ils citent les Paralleles, uniquement d'après Saint-Marc, et sans nommer celui-ci, au risque de prendre ses erreurs sur leur propre compte.

Au reste, Boileau, cédant sans doute à sa paresse, au lieu de relever l'altération, se borna, dans les éditions suivantes (1701 et 1713), à substituer des caractères romains aux italiques, et à mettre simplement à sa citation marginale, Parallèles de M. P**, t. I et t. III. B.-S.-P.

Paralleles, t. I, p. 28. Brosselle. Lettre, p. 6 à 9. B.-S.-P.

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Voyez aussi Perrault,

comme lui, La Serre1 ni Richesource2 ne l'emporte-roient pas sur Pindare pour le galimatias et pour la bassesse.

On sera donc assez surpris ici de voir que cette bassesse et ce galimatias appartiennent entièrement à M. P..., qui, en traduisant Pindare, n'a entendu ni le grec, ni le latin, ni le françois. C'est ce qu'il est aisé de prouver. Mais pour cela il faut savoir que Pindare vivoit peu de temps après Pythagore, Thalès et Anaxagore, fameux philosophes naturalistes, et qui avoient enseigné la physique avec un fort grand succès. L'opinion de Thalès, qui mettoit l'eau pour le principe des choses, étoit surtout célèbre. Empédocle, Sicilien qui vivoit du temps de Pindare même, et qui avoit été disciple d'Anaxagore, avoit encore poussé la chose plus loin qu'eux; et non-seulement avoit pénétré fort avant dans la connoissance de la nature, mais il avoit fait ce que Lucrèce a fait depuis, à son imitation, je veux dire qu'il avoit mis toute la physique en vers. On a perdu son poëme; on sait pourtant que ce poëme commençoit par l'éloge des quatre élémens, et vraisemblablement il n'y avoit pas oublié la formation de l'or et des autres métaux. Cet ouvrage s'étoit rendu si fameux dans la Grèce, qu'il y avoit fait regarder son auteur comme une espèce de divinité.

Pindare, venant donc à composer sa première ode olympique à la louange d'Hiéron, roi de Sicile, qui avoit remporté le prix de la course des chevaux, débute par la chose du monde la plus simple et la plus naturelle, qui est que, s'il vouloit chanter les merveilles de la nature, il chanteroit, à l'imitation d'Empédocle, Sicilien, l'eau et l'or, comme les deux plus excellentes choses du monde; mais que, s'étant consacré à chanter les actions des hommes, il va chanter le combat olyır pique, puisque c'est en effet ce que les hommes font de plus grand; et que de dire qu'il y ait quelque autre combat aussi excellent que le combat olympique, c'est prétendre qu'il y a dans le ciel quelque autre astre aussi lumineux que le soleil. Voilà la pensée de Pindare mise dans son ordre naturel, et telle qu'un rhétheur la pourroit dire dans une exacte prose. Voici comme Pindare l'énonce en poëte: « Il n'y a

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Voyez satire 1, vers 176, et note 6, p. 19.

Jean de Soudier, sieur de Richesource, modérateur de l'Académie, mourut en 1694. On a de lui: Conférences académiques et oratoires, accompagnées de leurs résolutions, Paris, 1661-1665, trois parties, in-4°, et l'Eloquence de la Chaire, ou la Rhétorique des prédicateurs, Paris, 1673, in-12.

La particule & veut aussi bien dire en cet endroit puisque et comme, que si; et c'est ce que Benoit a fort bien montré dans l'ode III, où ces mots pistas, etc., sont répétés. BOILEAU, 1713.

Le traducteur latin n'a pas bien rendu cet endroit, μnzéte σκόπει ἄλλο φαεινὸν ἄστρὸν, ue contemplaris aliud visibile asram, qui doivent s'expliquer dans mon sens : Ne puta quod vi

rien de si excellent que l'eau; il n'y a rien de plus éclatant que l'or, et il se distingue entre toutes les autres superbes richesses comme un feu qui brille dans la nuit. Mais, ô mon esprit! puisque c'est des combats que tu veux chanter, ne va point te figurer ni que dans les vastes déserts du ciel, quand il fait jour*, on puisse voir quelque autre astre aussi lumineux que le soleil, ni que sur la terre nous puissions dire qu'il y ait quelque autre combat aussi excellent que le combat olympique. »

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Pindare est presque ici traduit mot pour mot et je ne lui ai prêté que le mot de SUR LA TERRE, que le sens amène si naturellement, qu'en vérité il n'y a qu'un homme qui ne sait ce que c'est que traduire qui puisse me chicaner là-dessus. Je ne prétends donc pas, dans une traduction si littérale, avoir fait sentir toute la force de l'original, dont la beauté consiste principalement dans le nombre, l'arrangement et la magnificence des paroles. Cependant quelle majesté et quelle noblesse un homme de bon sens n'y peut-il pas remarquer, même dans la sécheresse de ma traduction! Que de grandes images présentées d'abord, l'eau, l'or, le feu, le soleil! Que de sublimes figures ensemble, la métaphore, l'apostrophe, la métonymie! Quel tour et quelle agréable circonduction de paroles ! Cette expression: « Les vastes déserts du ciel, quand il fait jour, » est peut-être une des plus grandes choses qui aient jamais été dites en poésie. En effet, qui n'a point remarqué de quel nombre infini d'étoiles le ciel paroît peuplé durant la nuit, et quelle vaste solitude c'est au contraire dès que le soleil vient à se montrer? De sorte que, par le seul début de cette ode, on commence à concevoir tout ce qu'Horace a voulu faire entendre quand il a dit que « Pindare est comme un grand fleuve qui marche à flots bouillonnans, et que de sa bouche, comme d'une source profonde, il sort une immensité de richesses et de belles choses. >>

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deatur aliud astrum; ne te figure pas qu'on puisse voir un autre astre, etc. BOILEAU, 1715.

5 Voyez épigrammes xxvIII, p. 149.

C'est ce que nie Perrault, Rép., p. 19. B.-S.-P.

7 Je ne sais ce que c'est qu'une circonduction de paroles... Circumductio... signifie tromperie. Perrault, Rép., p. 22. Il falloit dire circonlocution. Saint-Marc. - MM. Paunou, Amar et de SaintSurin pensent que c'est, en effet, ce que Boileau a voulu dire. Nous serions tentés de croire qu'il a essayé d'introduire dans notre langue le mot circonduction, qui, en latin, selon l'observation de Saint-Marc, signifie au propre, conduire autour. B.-S.-P. 8 Horace, 1. IV, ode 1, vers 7 et 8. B.-S.-P. Parall., t. I, p. 28; Lett., p. 6; Rép., p. 43. B.-S.-P.

་་

qui brille comme le feu durant la nuit, éclate merveilleusement parmi les richesses qui rendent l'homme superbe. Mais, mon esprit, si tu désires chanter des combats, ne contemples point d'autre astre plus lumineux que le soleil pendant le jour, dans le vague de l'air; car nous ne saurions chanter des combats plus illustres que les combats olympiques. » Peut-on jamais voir un plus plat galimatias? « L'eau est très-bonne à la vérité, » est une manière de parler familière et comique qui ne répond point à la majesté de Pindare. Le mot d'aptar ne veut pas simplement dire en grec BON, mais MERVEILLEUX, DIVIN, EXCELLENT ENTRE LES CHOSES EXCELLENTES. On dira fort bien en grec qu'Alexandre et Jules César étoient port: traduira-t-on qu'ils étoient de BONNES GENS? D'ailleurs, le mot de BONNE EAU en françois tombe dans le bas, à cause que cette façon de parler s'emploie dans des usages bas et populaires, A L'ENSEIGNE DE LA BONNE EAU, A LA BONNE EAU-DE-VIE. Le mot d'A LA VÉRITÉ en cet endroit est encore plus familier et plus ridicule, et n'est point dans le grec, où le piv et le sont comme des espèces d'enclitiques qui ne servent qu'à soutenir la versification. « Et l'or qui brille 2. Il n'y a point d'ET dans le grec, et qui n'y est point non plus. « Éclate merveilleusement parmi les richesses. » MERVEILLEUSEMENT est burlesque en cet endroit. Il n'est point dans le grec, et se sent de l'ironie que M. P... a dans l'esprit, et qu'il tâche de prêter même aux paroles de Pindare en le traduisant. « Qui rendent l'homme superbe. » Cela n'est point dans Pindare, qui donne l'épithète de superbe aux richesses mêmes, ce qui est une figure très-belle; au lieu que dans la traduction, n'y ayant point de figure, il n'y a plus par conséquent de poésie. «Mais, mon esprit, » etc., C'est ici où M. P... achève de perdre la tramontane; et, comme il n'a entendu aucun mot de

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Dans l'édition de 1694 il y a: Excellent par excellence. — Je ne connois point cette phrase, dit Perrault (Rep., p. 27). Voilà encore une corretion faite sur l'avis d'un ennemi. B.-S.-P. * Perrault Rép., p. 50 à 32 objecte que Boileau a lui-même employé l'expression qui brille (page 225, colonne 2), mais il oublie, ou feint d'oublier, que c'est après le mot feu et non pas après le mot or... Quoi qu'il en soit, il parait que l'objection a déterminé Boileau à mettre dans la seconde édition des Réflexions (1701 et 1715) la note suivante (elle n'est pas dans celle de 1694). S'il y avoit l'or qui brille, dans le grec, cela feroit un solécisme; car il faudroit que aibópevov fût l'adjectif de xpusos. »

B.-S.-P.

3 On avait mis dans l'édition de 1694 puxéri au lieu de unds. Perrault a profité adroitement de cette faute d'impression pour éluder la critique de son hyper-ridicule car, qu'il n'était pas possible de défendre. Il supposa que Boileau attaquait ici l'expression NE contemples point de sa traduction (colonne 1, ligne 4) et répondit (p. 36) que précisément il avait traduit par ue, le premier mot grec.

La faute d'impression fut réparée, non pas seulement dans l'édition de 1713, comme le prétend Du Montheil (1729), mais dans l'édition de 1701, ainsi que l'observe avec raison Saint-Marc nous avons dix exemplaires des deux formats, qui tous ont unde).

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cet endroit où j'ai fait voir un sens si noble, si majestueux et si clair, on me dispensera d'en faire l'analyse. Je me contenterai de lui demander dans quel lexicon, dans quel dictionnaire ancien ou moderne, il a jamais trouvé que prè en grec, ou NE en latin, voulût dire CAR. Cependant c'est ce cAR qui fait ici toute la confusion du raisonnement qu'il veut attribuer à Pindare. Ne sait-il pas qu'en toute langue, mettez un CAR mal à propos, il n'y a point de raisonnement qui ne devienne absurde? Que je dise, par exemple : « Il n'y a rien de si clair que le commencement de la première ode de Pindare, et M. P... ne l'a point entendu, » voilà parler très-juste. Mais, si je dis : « Il n'y a rien de si clair que le commencement de la première ode de Pindare, car M. P... ne l'a point entendu, » c'est fort mal argumenté, parce que d'un fait très-véritable je fais une raison très-fausse 4, et qu'il est fort indifférent, pour faire qu'une chose soit claire ou obscure, que M. P... l'entende ou ne l'entende point.

Je ne m'étendrai point davantage à lui faire connoitre une faute qu'il n'est pas possible que lui-même ne sente. J'oserai seulement l'avertir que, lorsqu'on veut critiquer d'aussi grands hommes qu'Homère et que Pindare, il faut avoir du moins les premières teintures de la grammaire, et qu'il peut fort bien arriver que l'auteur le plus habile devienne un auteur de mauvais sens entre les mains d'un traducteur ignorant, qui ne l'entend point, et qui ne sait pas même quelquefois que NI ne veut pas dire CAR.

Après avoir ainsi convaincu M. Perrault sur le grec et sur le latin, il trouvera bon que je l'avertisse aussi qu'il y a une grossière faute de françois dans ces mots de sa traduction : « Mais, mon esprit, ne contemples point, » etc., et que CONTEMPLE, à l'impératif, n'a point d's 5. Je lui conseille donc de renvoyer cette s6 au mot

On voit par là que l'indication des variantes n'est pas aussi inutile que le prétend Souchay. B.-S.-P.

Dans l'édition de 1694, au lieu des deux lignes suivantes, l'alinéa finissait ainsi : et qu'il y a un grand nombre de choses fort claires que M. P.. n'entend point... Cela ne se lait guères avec ce qui précède, aussi Perrault le critiqua (Rép., p. 58): « C'est, dit-il, le plus profond galimatias qui se soit jamais fait... et Boileau, toujours docile, y substitua, en 1701, ce qu'on lit ci-dessus. B.-S.-P.

5 Voici encore une circonstance où Perrault (Rép., p. 39) élude adroitement la critique. Il soutient qu'il y a contemple dans ses éditions de Paris, ce qui est vrai, et que la faute aura été commise dans une édition de Hollande (d'où prend occasion de faire remarquer qu'il est un peu plus lu que Boileau ne voudrait le faire croire); mais il oublie que la faute est dans sa lettre (p. 7), aussi imprimée à Paris. B.-S.-P.

Texte de 1713, in-4 et in-12, suivi par Brossette, Du Montheil, Souchay, MM. Didot (1800, Thiessé (1828), etc.... Il nous paraît préférable, d'après l'observation suivante, à l'expression cet 8, qui était dans les éditions de 1694 et 1701, suivies par Saint-Marc et MM. Daunou, de Saint-Surin, Amar et Viollet-Leduc.

« 11 faut écrire cette s et non pas cel s, car s est un substantif féminin, dit Perrault (Rép., p. 41). M. Daunou approuve cette

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