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Et l'esprit le plus beau, l'auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au sort de l'Angéli1.
Faut-il donc désormais jouer un nouveau role?
Dois-je, las d'Apollon, recourir à Barthole?
Et, feuilletant Louet allongé par Brodeau 2,
D'une robe à longs plis balayer le barreau ?
Mais à ce seul penser je sens que je m'égare.
Moi! que j'aille crier dans ce pays barbare,

Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un dédale de lois,
Et, dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes 4;
Où Patru gagne moins qu'Uot et le Mazier 5,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier 6 !
Avant qu'un tel dessein m'entre dans la pensée,
On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée;
Arnauld à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin bigot".

Quittons donc pour jamais une ville importune,
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune;
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main;
Où la science triste, affreuse, délaissée,
Est partout des bons lieux comme infâme chassée;
Où le seul art en vogue est l'art de bien voler;
Où tout me choque; enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme si froid ne seroit plein de bile,

A l'aspect odieux des mœurs de cette ville?
Qui pourroit les souffrir? et qui, pour les blâmer,
Malgré muse et Phébus n'apprendroit à rimer?
Non, non, sur ce sujet, pour écrire avec grace,
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse;
Et, sans aller rêver dans le double vallon,
La colère suffit, et vaut un Apollon $.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie. A quoi bon ces grands mots? doucement, je vous prie : Ou bien montez en chaire, et là, comme un docteur, Allez de vos sermons endormir l'auditeur : C'est là que bien ou mal on a droit de tout dire. Ainsi parle un esprit qu'irrite la satire, Qui contre ses défauts croit être en sûreté, En raillant d'un censeur la triste austérité; Qui fait l'homme intrépide, et, tremblant de foiblesse, Attend pour croire en Dieu que la fièvre le presse; Et, toujours dans l'orage au ciel levant les mains, Dès que l'air est calmé, rit des foibles humains. Car de penser alors qu'un Dieu tourne le monde, Et règle les ressorts de la machine ronde, Ou qu'il est une vie au delà du trépas, C'est là, tout haut du moins, ce qu'il n'avouera pas.

Pour moi, qu'en santé même un autre monde étonne, Qui crois l'âme immortelle, et que c'est Dieu qui tonne, Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lieu. Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu

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Célèbre fou que M. le Prince (le grand Condé) avoit amené avec lui des Pays-Bas, et qu'il donna au roi. BOILEAU, 1713. Il gagnoit beaucoup d'argent, ajoute Boileau dans une note manuscrite, et tous les gens de qualité lui en donnoient parce qu'ils craignoient ses bons mots. »

2 Brodeau a commenté Louct. BOILEAU, 1713. Barthole, juisconsulte, né à Sasso-Ferrato (marche d'Ancône) en 1313, mort à Pérouse en 1356; Georges Louet, jurisconsulte, évêque de Tréguier, mort en 1608 avant d'avoir pris possession de son évêché; Julien Brodeau, avocat au parlement de Paris, originaire de Tours, mort à Paris en 1653.

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Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers:

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Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime,
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher;
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et, sans qu'un long détour t'arrête, ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur,
Dans ce rude métier, où mon esprit se tue,
En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir:
Quand je veux dire « blanc, » la quinteuse dit « noir. »
Si je veux d'un galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure 1;
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile, et la rime Quinault 2.
Enfin, quoi que je fasse, ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Triste, las et confus, je cesse d'y rêver;

Et, maudissant vingt fois le démon qui m'inspire,
Je fais mille sermens de ne jamais écrire.
Mais, quand j'ai bien maudit et Muses et Phébus,
Je la vois qui paroît quand je n'y pense plus :
Aussitôt, malgré moi, tout mon feu se rallume;
Je reprends sur-le-champ le papier et la plume;
Et de mes vains sermens perdant le souvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor si pour rimer, dans sa verve indiscrète,
Ma muse au moins souffroit une froide épithète,
Je ferois comme un autre *, et, sans chercher si loin,
J'aurois toujours des mots pour les coudre au besoin.
Si je louois Philis, EN MIRACLES FÉCONDE,

Je trouverois bientôt, A NULLE AUTRE SECONDE;

Si je voulois vanter un objet NOMPAREIL,

Je mettrois à l'instant, PLUS BEAU QUE LE SOLEIL;
Enfin, parlant toujours d'ASTRES et de MERVEILLES,
De CHEFS-D'ŒUVRE DES CIEUX, de BEAUTÉS SANS PAREILLES;
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrois aisément, sans génie et sans art,
Et transposant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mers vers recousus mettre en pièces Malherbe 5.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots,

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N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne sauroit souffrir qu'une phrase insipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vide;
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma sa pensée,
Et, donnant à ses mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la raison!
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,
Mes jours, pleins de loisir, couleroient sans envie.
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur, exempt de soins, libre de passion,
Sait donner une borne à son ambition;

Et, fuyant des grandeurs la présence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune :
Et je serois heureux si, pour me consumer,
Un destin envieux ne m'avoit fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frénésie
De ses noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un démon jaloux de mon contentement
M'inspira le dessein d'écrire poliment,
Tous les jours malgré moi, cloué sur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin passant ma vie en ce triste métier,
J'envie, en écrivant, le sort de Pelletier ".

Bienheureux Scudéri 7, dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume!
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être forinés en dépit du bon sens;
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire;
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers!
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l'art asservir son génie!
Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir.
Il n'a point en ses vers l'embarras de choisir;
Et, toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en soi-même il s'admire.

MENAGE. On lit dans l'Épitre à Chapelain :
J'abandonnai Bélinde, en miracles féconde;

Et pour qui je brûlois d'une ardeur sans seconde. François de Malherbe, né à Caen vers 1555, mort en 1628. Poëte du dernier ordre qui faisoit tous les jours un sonnet. BOILEAU, 1713.

7 C'est le fameux Scudéri, auteur de beaucoup de romans, et frère de la fameuse mademoiselle de Scudéri. BOILEAU, 1713. Georges de Scudéri, de l'Académie françoise, gouverneur de NotreDame-de-l-Garde, à Marseille, né au Havre-de Grace en 1601, mort à l'aris en 1667.

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